Le comédien de Tous les matins du monde et des Galettes de Pont-Aven s'est éteint à l'âge de 87 ans.
C’était une voix. Une voix de basse, avec une diction parfaite, un souffle chaud, et un corps immense, imposant. Jean-Pierre Marielle avait ce côté grand seigneur, avec un je-ne-sais-quoi naïf qui lui conférait une aura presque lunaire. Il y avait ce mélange rare de grivoiserie et de tendresse absolue. L'acteur s'est éteint à 87 ans des suites d'une maladie et avec lui, c’est un pan du cinéma français populaire qui disparaît. De la race des Rochefort (en mois dandy), Carmet (en plus suave) et Serrault, avec sa disparition, c'est une gouaille, un grain de folie, et une époque qui fout le camp…
On connaît les débuts de l’histoire : après une jeunesse dijonnaise, Jean-Pierre Marielle monte à Paris au début des années 50, s'inscrit au cours d'art dramatique, et traîne avec Belmondo, Rochefort et la bande de la rue Blanche. Conservatoire, Comédie-Française, des pièces rive gauche et puis le cinéma. Comme ça, en passant. Alors que certains de ses copains de promo cimentent la nouvelle vague, lui écume le cinéma de papa (de Decoin à Grangier), enchaîne les seconds rôles et se façonne une réputation de comique. Il faut attendre la fin des années 60 pour qu’enfin on le prenne au sérieux. Un Jean-Daniel Pollet (L'Amour c'est gai), un de Broca mineur (Le Diable par la queue), ça y est, Marielle est lancé. Dans des rôles comiques souvent, mais plus troubles qu’avant, dérangeants et généralement en phase avec la révolution sociale en cours. Pour Marielle c’est une décennie en or dans laquelle il joue les veules, les séducteurs au cœur tendre, les maîtres du vice ou les beaufs concupiscents. Avec cette manière inégalable de réciter des dialogues gouleyants, de faire sonner Audiard, Rappeneau ou Aurenche comme personne.
On le voit dans Sex Shop de Claude Berri, où il joue le dentiste lubrique, organisateur de partouze qui tente de corrompre le jeune héros (un libraire qui se reconvertit dans les choses du sexe). Dans Dupont Lajoie il campe à la perfection un de ces beaufs du camping coincés entre la pétanque, le pastis, les blagues dégueulasses, les regards torves et le racisme rance jusqu’à ce que l'un des leurs, Georges Lajoie (Carmet), passe à l’acte. Il enchaîne de manière métronomique des Lautner amusants (La Valise, On aura tout vu), un Molinaro, deux Tavernier grandioses (Que la fête commence et Coup de torchon) et case au milieu de tout cela le film de Joel Séria Les Galettes de Pont-Aven. Ce succès post-Valseuses des années 70, est une comédie culte multirediffusée dont on connaît les répliques par cœur. Marielle y grave pour l’éternité son personnage de grande gueule, amateur de femmes et d’alcools, libertin et libertaire. Cette figure de con sans foi ni loi, écrite sur mesure, le poursuivra longtemps et il la déclinera dans d’autres films de Joel Séria. Mais à la fin des années 70 et sur toute la décennie suivante, s’il continue de faire le mariole, il affirme aussi son talent dramatique. Il tourne pour Sautet (Quelques jours avec moi) et dans le polar de Laurent Heynemann, Les mois d'avril sont meurtriers, .
Nouveau tournant dans les années 90 où entre des Blier tardifs, des Leconte essentiels (Le Parfum d’Yvonne et Les Grands Ducs) et un Berri sous-estimé (Uranus où il se révèle très émouvant) il tourne son plus grand succès Tous les matins du monde de Corneau. Pris dans un tourbillon de viole de gambe et de décors fastueux, on a oublié que le film était un récitatif sec, une œuvre mangée par l’ombre de la vieillesse et jouée à la perfection par Marielle qui incarne le maître de Marin Marais, Monsieur de Sainte-Colombe, avec une superbe et une émotion époustouflantes. En 92, il rate de peu le César du meilleur acteur pour ce rôle inoubliable.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : Marielle était un immense acteur, capable de jouer tous les registres, de passer de la comédie populaire, au film d’auteur ou à la production hollywoodienne avec une même aisance, et surtout sans jamais cesser d’être aimé du public. Ces dernières années, il apparaissait dans des comédies et quelques réalisations télés de Josée Dayan… Il semblait plus fatigué, un peu moins vif. Mais il y avait toujours cette voix. Inimitable.
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