85 ans avant Michelle Yeoh, Merle Oberon était la première actrice asiatique nommée pour un Oscar. Que reste-il de son héritage aujourd’hui ?
Le cinéma américain des années 1930 a été marqué par la blondeur de ses comédiennes, stars absolues du circuit Hollywoodien, avec Carole Lombard, Mae West, Jean Harlow… Une question reste toutefois en suspens : que reste-il aujourd’hui des actrices racisées de l’époque ? Le seul nom qui ait encore une résonance aujourd’hui est celui d'Anna May Wong, actrice sino-américaine qui a connu une résurgence ces derniers mois avec le vrai-faux portrait qu’en fait Damien Chazelle dans Babylon, avec Li Jun Li dans le rôle de Lady Fay Zhu, actrice chinoise délaissée par la profession à cause de son orientation sexuelle. Anna May Wong n’a néanmoins jamais été nommée pour un Oscar, contrairement à Merle Oberon, oubliée aujourd’hui, mais considérée comme l’une des plus grandes comédiennes de son temps.
Entertainment Weekly lui consacre un beau portrait, que vous pouvez lire ici en VO, à l'occasion de la 95e cérémonie des Oscars, qui se déroulera ce dimanche et qui compte notamment en lice pour la statuette de la meilleure comédienne la Malaisienne Michelle Yeoh (pour Everything Everywhere All at Once).
Le post de Michelle Yeoh critiquant Cate Blanchett a-t-il violé le règlement des Oscars ?Merle Oberon fût la première actrice “asiatique” à être nommée pour un Oscar en 1936 pour L’Ange des Ténèbres de Sidney Franklin, où elle y interprète… une aristocrate britannique du nom de Kitty Vane. Une représentation erronée, qui semble aujourd’hui datée, à une époque où les actrices assument avec force leurs origines. Tout le destin de Merle Oberon a pourtant été marqué par ce problème d’identité, refusant durant toute sa vie de reconnaître ses racines. Estelle Merle O’Brien Thompson, de son nom d’emprunt Merle Oberon, est née à Bombay, dans ce qui était autrefois l’Inde Britannique, en 1911. Son père était un anglais, tandis que sa mère était d’origine eurasienne, en partie issue du Sri Lanka. Elle avait également des racines Maori. Durant une grande partie de sa vie, la vérité lui fût tenue secrète : la femme que Merle considère comme sa mère est en réalité sa grand-mère, qui cacha l’identité de sa vraie génitrice, violée à l'âge de 14 ans, pour éviter à tout prix le scandale.
À l’âge de 17 ans, Merle s’empresse de quitter l’Inde pour rejoindre le Royaume-Uni, où elle rencontre le réalisateur Alexander Korda, qui va la conforter dans cette obsession de devenir “blanche”, idée déjà présente dans la tête de Merle lors de son adolescence dans les écoles indiennes. “Elle imitait l’accent Britannique et les colons. Elle ne se sentait pas incluse au coeur de cette Inde traditionnelle dans laquelle elle avait grandi” commente la journaliste et auteur Halle Bondy pour Entertainment Weekly. Le processus de blanchissement de l’actrice passe notamment par une coloration de son visage à l’aide d’un produit extrêmement chimique qui contenait du mercure et de l’ammoniaque. Le producteur Samuel Goldwyn et Alexander Korda, devenu son mari, lui donnent le pseudonyme d’Oberon au début des années 1930, jouant un rôle décisif dans son intégration à Hollywood.
L’actrice est devenue complètement obsédée par sa couleur de peau au fil des années, jusqu’à colorier le visage de sa “mère” en blanc sur un portrait. À chaque voyage qu’elle entreprend à ses côtés, elle s’obstine à la faire passer pour sa bonne. “Merle était désignée comme une actrice exotique, terme acceptable pour le monde hollywoodien de cette époque, mais pointer ses origines Maori et Sri Lankaise aurait été mal vu” commente Halle Bondy. “Les gens se disaient à l’époque : 'Oh, elle vient de Tasmanie', mais personne ne savait exactement où le pays se situait (...) Les studios faisaient de toi ce qu’ils voulaient. (...) Sa beauté lui permettait de perpétuer ce mensonge qui lui a permis de prospérer dans un Hollywood bien plus raciste que celui d’aujourd’hui.”
Oberon connaît une carrière exceptionnelle dans les années 1930 et 1940, avec L'Ange des Ténèbres, qui lui valut une nomination aux Oscars. Elle apparaît également dans une adaptation applaudie des Hauts de Hurlevents au côté de Laurence Olivier en 1939. Cette fin de décennie révèle néanmoins des failles, avec de nombreuses personnes qui commencent à se rendre compte des origines cachées de l’actrice, allant jusqu’à la considérer comme une prostituée de luxe, avec son accent qui connaît de nombreuses irrégularités dans les films où elle apparaît. Les problèmes causés par le produit chimique et par un accident de voiture détériorent progressivement son visage à la fin des années 1930, nécessitant de nombreux réglages techniques sur les plateaux pour cacher les marques.
En 1978, l’actrice est invitée en Tasmanie pour “célébrer” ses origines, où on lui rend hommage en nommant un cinéma à son nom. Au cours d’une réception, elle finit par nier son lien avec la Tasmanie, avant de rapidement quitter le pays. 5 ans plus tôt, elle joue dans son dernier film, Interval, consacré à une jeune femme qui ne connaît pas ses véritables racines. Selon Halle Bondy, “elle commençait à se remettre en question. On ne saura jamais si elle s’est réconciliée avec ses origines”, pointant le problème sur un possible manque de confiance en soi lié au climat raciste qui régnait sur Hollywood à cette époque. “Parce que l’on parlait de racisme à tout instant, elle a probablement choisi d’intérioriser ses origines à un certain degré.”
La vérité entourant l’actrice éclate finalement quatre ans après sa mort, avec la publication d’une biographie où son pays de naissance, l’Inde, est révélé aux yeux du monde. La question de son héritage en tant qu’actrice asiatique reste donc entière. Michelle Yeoh, nommée cette année pour Everything Everywhere All at Once, est ainsi considérée officiellement comme la première actrice d’origine asiatique nommée aux Oscars à assumer pleinement ses racines, mais d’un point de vue théorique, Merle Oberon demeure la première actrice asiatique nommée de l’histoire du cinéma. Reste à savoir si Michelle Yeoh remportera la statuette ce dimanche pour le film des Daniels. “Je pense malgré tout que Merle aurait été fière de savoir que son origine aurait pu être un avantage aujourd’hui (...) Elle en profiterait pleinement”, conclut finalement Halle Bondy.
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