Vaches extraterrestres, planète en bois, communisme et Alien sans Ripley : découvrez les longs-métrages Alien restés perdus dans l’espace, alors que la saga est intégralement disponible sur Cine+ et Prime Video.
Au commencement était l’échec. Et la mort. Pas celle de Ripley, mais celle d’un film. Les origines du premier Alien font en effet penser à un parasite surgi d’un cadavre. Alien, le 8ème passager (d’abord appelé Star Beast) avait été écrit par Dan O’Bannon (également scénariste du Total Recall de Verhoeven) à partir des restes du projet Dune d’Alejandro Jodorowsky. Fomentée par Ridley Scott, cette épouvante qui allait lancer un nouveau style de cinéma hybride était donc née d’un film jamais fini. Depuis, on le sait: il a engendré la quasi totalité du cinéma américain de science-fiction, mais aussi pondu beaucoup d’œufs non éclos. Car les films Alien que vous avez vus ne sont que la face visible d’une planète très sombre. Bienvenue dans une galaxie où personne ne vous entend échouer.
Alien 2 par Ridley Scott
Le succès d’Alien, le 8ème passager aurait naturellement dû faire revenir Ridley Scott aux commandes d’Alien 2. D’ailleurs, il y avait un temps pensé. À la sortie du deuxième opus, Aliens, le retour, Scott revenait sur son projet avorté dans le magazine Screen Fantasies. Selon lui, cette suite « aurait dû expliquer ce qu’était l’Alien et d’où il venait. Mais c’était trop compliqué à réaliser parce qu’il aurait fallu montrer beaucoup de planètes, de civilisations et d’univers différents. Pour moi, l’Alien était l’un des derniers survivants venus de Mars, le descendant d’une race d’êtres qui s’étaient entre-tués… Je crois que j’étais un peu seul à vouloir aller dans cette direction.» Scott n’entrera jamais en préproduction. Il lâchera la franchise, préférant repartir sur une autre baleine blanche, un projet d’adaptation de Dune (qui sera finalement tourné par David Lynch). En abandonnant la saga Alien, il suivait également Alan Ladd, le patron de la Fox (à l’origine de Star Wars et Alien) qui venait de quitter le studio pour lancer la Ladd Company et qui allait produire quelques années plus tard l’autre chef-d’œuvre SF de Scott : Blade Runner. C’est donc James Cameron qui écrivit en 1983 Aliens, le retour à partir d’une simple consigne: « Ripley avec des soldats.» Cameron, alors en pleine écriture de Rambo 2, la mission, livra le script d’Aliens, le retour qu’il allait finalement réaliser.
Alien 3 communiste
Après le succès d’Aliens, le retour (septième au box-office de l’année 1986 aux États-Unis, malgré tout loin derrière le militarisme pop et reaganien de Top Gun), il fallait faire un troisième Alien. David Giler, producteur de la franchise, décida d’engager le romancier William Gibson en 1987 pour écrire le scénario d’un troisième épisode. Inventeur du cyberpunk avec son roman séminal Neuromancien (1984), lauréat du prix Hugo, Gibson rend sa copie en 1988: un scénario hyper détaillé, écrit dans la douleur, où Ripley et Hicks (le space marine survivant d’Aliens joué par Michael Biehn) sont sauvés de la dérive spatiale par un commando de guérilleros communistes cherchant à abattre l’entreprise Weyland-Yutani. Mais un alien (caché dans le ventre de l’androïde Bishop) extermine le bataillon dans un centre commercial spatial. Trop explicitement politique, trop radical, le script déçut Giler et son partenaire Walter Hill (producteur des films depuis le début). Gibson quitta la franchise et laissa son scénario à la Fox. Une seule idée de son script survécut dans le Alien 3 de David Fincher: les codes-barres tatoués derrière les têtes des personnages.
Alien 3 sans armes ni Ripley
En 1988, un pubard finlandais nommé Renny Harlin signe le succès surprise de l’été avec Le Cauchemar de Freddy, quatrième film de la série Les Griffes de la nuit. D’un seul coup, Hollywood s’arrache ce jeune cinéaste. La Fox finit par lui demander de reprendre le script de Gibson qu’il s’empresse de réécrire avec Eric Red (Hitcher, Aux frontières de l’aube). Red et Harlin vont explorer de nombreuses pistes: une première ébauche voit Ripley partir à la recherche des origines de l’Alien, une autre montre l’Alien s’écraser sur terre et terroriser les hommes dans un champ de maïs… mais rien ne correspond aux attentes du studio. Sigourney Weaver, très engagée dans le combat contre les armes à feu, a quant à elle une demande intangible: il ne doit pas y avoir d’armes dans le film. Ce qu’Eric Red retient de ces nombreux meetings, c’est surtout qu’il doit écrire – juste au cas où la production veuille se séparer de l’actrice-star – un film sans Ripley. L’absence d’armes survivra dans le Alien 3 de Fincher… En attendant l’accord du studio, Harlin, lui, part réaliser pour la Fox 58 minutes pour vivre, la suite de Piège de cristal qui sortira en 1990.
Alien 3 et 4 à la suite
Toujours avec Harlin et Red, la Fox évoque l’idée de tourner Alien 3 et 4 à la suite et de les sortir à peu de temps d’intervalle sur le modèle de Retour vers le futur 2 et 3. Dans ce diptyque, le principe était de faire un Alien 3 se déroulant de nouveau sur la planète LV426 (la planète centrale de la franchise où l’équipage du Nostromo découvre les œufs aliens, et qui a été colonisée dans Aliens) mais sans Ripley. Le concept de ce projet était de faire revenir l’héroïne sur LV426 dans Alien 4 pour « sauver la situation». Pour des raisons financières, ce projet très coûteux sera vite abandonné.
Alien 3 avec des vaches
Qu’importe, Eric Red développe alors un nouveau script. Cette fois-ci l’action se passe dans une station spatiale appelée North Star, peuplée de rednecks du futur: au programme, accent texan et vaches spatiales. Sam Smith, le héros, est un marine, le seul survivant d’une unité envoyée à la rescousse de la mission d’Aliens, le retour. Sam, qui vient d’échapper au massacre d’une attaque alien, doit affronter des «xénomorphes» nouvelle espèce. Walter Hill avait spécifié à Red qu’il fallait toujours imaginer de nouvelles créatures. Red invente alors l’Alien-vache (à six pattes et bardé de pointes de métal) ainsi qu’un Alien-moustique de cinq mètres d’envergure… Il y a aussi un Alien-blob, censé être une « pieuvre de quinze kilomètres de large » (sic) composée par la fusion de ses victimes, de bétail, d’animaux et même de bâtiments pour justifier sa taille colossale. Renny Harlin aurait tellement détesté ce script qu’il se serait arrangé pour se faire virer du poste de réalisateur d’Alien 3.
Alien 3 en prison (et sans Ripley)
Nous sommes en 1989, et rien n’avance : le scénariste David Twohy est alors engagé par le studio pour concevoir un nouveau script d’Alien 3, toujours sans Ripley, car Sigourney Weaver est en plein procès avec la 20th Century Fox pour une sombre histoire de bénéfices non versés après le succès d’Aliens, le retour. Twohy invente une prison spatiale appelée Moloch où la corporation humaniste Weyland-Yutani utilise le corps des prisonniers pour faire pousser des aliens. À la fin du film, Styles, le héros-prisonnier, s’évade avec l’aide d’un médecin (féminin) et fait exploser Moloch ainsi que les nouveaux Aliens imaginés par Twohy: un Alien argenté, un Alien-caméléon, des Aliens-frères siamois… Problème: le temps que Twohy rende sa copie, le président de la Fox, Joe Roth, demande de réintégrer Ripley dans la saga. Furieux, Twohy renonce. Il se vengera quelques années plus tard en écrivant Pitch Black : son Alien 3 à lui sortit en 2000 et rendit Vin Diesel célèbre dans la peau de Riddick, un condamné à mort qui affronte des Aliens féroces sur une planète abandonnée. Tiens tiens.
Alien 3 avec des moines sur une planète en bois
Sigourney Weaver revient donc dans la franchise et met tout en œuvre pour contrôler le choix du script et du réalisateur. Le nouveau venu s’appelle Vincent Ward, cinéaste néo-zélandais célèbre pour son Navigator, une espèce de comédie à base de paradoxes temporels et qui raconte l’histoire de paysans du XIVème siècle transportés dans notre monde moderne. À peine engagé, la deadline est fixée: Alien 3 doit sortir pour Pâques 1990. Ward se met vite au travail avec le scénariste John Fasano (48 heures de plus). Leur film devait se dérouler sur Arceon, une petite planète en bois construite et dirigée par des moines refusant la technologie. Ripley s’écrase sur Arceon et doit lutter contre un Alien-vache tout droit sorti du script d’Eric Red. Las : la production n’aime pas le scénario, les relations entre Ward et H.R. Giger (de retour sur le design) sont mauvaises… Ward est finalement viré début 1990 alors que les décors sont en train d’être construits aux studios anglais de Pinewood. David Fincher reprendra le flambeau en 1991 et tournera dans la douleur son Alien 3, à partir d’un script de Walter Hill et David Giler cannibalisant les idées de tous les précédents essais. Même l’Alien-vache.
Alien 4 sur Terre avec un clone de Newt
Peu rentable aux États-Unis, Alien 3 fut néanmoins un succès à l’international, et un Alien 4 est vite mis en chantier. Le studio qui cherche de nouveaux noms contacte alors Joss Whedon, en plein développement de Buffy contre les vampires, pour écrire ce nouvel épisode. Parmi ses dizaines de versions du scénario, on trouve notamment un troisième acte se déroulant sur Terre et un clone de Newt (la petite fille d’Aliens) comme héroïne. Le problème, c’est que la Fox ne sait pas trop ce qu’elle veut, et la production change d’avis constamment. Finalement on demande à Whedon de ressusciter Ripley (morte à la fin du 3). Et la partie terrestre est annulée à cause du budget énorme qu’elle aurait demandé. Il faut maintenant trouver un réalisateur. Si Danny Boyle, Peter Jackon et Bryan Singer sont les premiers choix de la Fox, le studio s’arrête finalement sur Jean-Pierre Jeunet, alors en train de préparer Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, dont le précédent film La Cité des enfants perdus avait frappé dans l’œil des studios. Jeunet est peu convaincu par le script de Whedon. Il fait réécrire cinq fois la fin et part finalement aux US. L’expérience est catastrophique (ne parlant pas anglais, il se sent isolé et prend un peu de haut la franchise Alien), et la seule idée choc du film (les parties sexuelles – visibles et hermaphrodites – de l’hybride Alien qui arrive à la fin du film) sera censurée à l’aide d’effets numériques.
Alien 5 par Ridley Scott et James Cameron
Les résultats décevants d’Alien, la résurrection ainsi que les critiques négatives plongèrent la franchise en cryogénie. Victime collatérale: un script d’Alien 5 également écrit par Whedon qui se déroulait sur Terre. Il faut attendre le milieu des années 2000 pour que l’Alien se réveille. À cette époque, Sigourney Weaver, Ridley Scott et James Cameron se mettent à réfléchir ensemble à un nouvel opus. Sigourney souhaitait notamment explorer le côté « Jekyll et Hyde » de sa Ripley clonée, hybride, mi-humaine mi-alien. Comme toujours hyperactif, Cameron écrit alors en 2003 un premier jet d’Alien 5 qui devait être réalisé par Ridley Scott. Ce prequel explorait l’origine des œufs trouvés sur LV426… Mais la mise en chantier d’Aliens VS Predator lui ôta toute envie d’écrire : « vous allez buter la crédibilité de la franchise si vous faites ça », aurait-il déclaré aux cadres de la Fox. Ce qui n’empêcha pas le studio de lancer le projet Aliens VS Predator, et Cameron de partir sur Pandora pour concrétiser Avatar au sein de la Fox.
Alien : Engineers, alias Paradise, alias Prometheus
L’idée d’un prequel d’Alien ne fut pas perdue pour autant. En 2009, la Fox lance officiellement le projet, avec Scott dans le rôle du producteur. Le studio refuse que Carl Erik Rinsch (petit protégé de Scott et réalisateur de pub au sein de son studio) le tourne. Scott est donc forcé de repasser derrière la caméra, tandis que Rinsch se dissout dans l’enfer de la fantasy nippone 47 Ronin avec Keanu Reeves (qui sera un gros flop en salles). À cette époque, on livre à Sir Ridley un script intitulé Alien : Engineers signé Jon Spaiths. Le scénario raconte comment une expédition scientifique découvre des extraterrestres aux pouvoirs quasi divins (les «Ingénieurs » du titre) qui seraient à l’origine de la création des Aliens. En 2010, le scénariste Damon Lindelof (Lost) vient réécrire copieusement le projet, tout en gardant la structure et les personnages. Le projet est désormais titré Paradise, d’après le poème Paradis perdu de John Milton sur la chute des anges rebelles après la création du monde par Dieu (une métaphore filée qui continuera sur Alien: Covenant). Et, en janvier 2011, c’est le PDG de la Fox qui trouva finalement le titre : Prometheus. Le film sortit en juin 2012 et se fit assassiner par la critique. Mais Prometheus fut un succès suffisant pour mettre en chantier une suite… intitulée initialement Paradise Lost. Rien ne se perd, tout se transforme.
Alien 5 par Neill Blomkamp
Début 2015, panique sur l’Internet. Neill Blomkamp publie sur Instagram des concept arts d’une suite d’Alien réunissant Ripley et Hicks. Le réalisateur de District 9 et Elysium, alors en pleine promo de son film de robot Chappie, confirme en mars de la même année que son prochain film sera la suite de la franchise Alien, et que le studio entend mettre en chantier plusieurs épisodes. Blomkamp avait rencontré Sigourney Weaver sur le tournage de Chappie et le courant était très bien passé entre eux. Mais en octobre de la même année, le projet est annulé: la Fox préfère mettre le turbo sur Paradise Lost alias Prometheus 2, qui deviendra finalement Alien : Covenant. Un prequel direct du 8e passager sorti en 2017 reconnectant pour de bon Prometheus et le premier Alien. Restent les concept arts de Blomkamp, dans l’esprit « chair et métal » de la franchise. « J’avais l’idée d’un film situé dans le même univers que les deux premiers Alien, sans être une suite du film de James Cameron», a expliqué Blomkamp au site Funhaus. « Le personnage principal était complètement différent parce que je pensais que Sigourney ne ferait jamais un autre Alien. Je lui en ai parlé en tournant Chappie et elle m’a dit que non, elle n’en ferait pas d’autre parce qu’elle pensait que l’histoire de Ripley ne s’était pas finie correctement. Donc je suis parti pour Vancouver, et en plein montage de Chappie, j’ai réfléchi à une suite directe au Aliens de Cameron. J’ai passé environ un an à bosser dessus. Seuls Sigourney et un concept artist que j’avais engagé étaient au courant. On a bricolé un script et des artworks, on l’a envoyé à la Fox. Ils avaient l’air très enthousiastes, et puis Ridley est arrivé en tant que producteur et ça s’est annulé. » Depuis, Blomkamp a fondé son propre studio nommé Oats et a livré sur le Net Rakka, un court-métrage tordu de SF gore. Pendant ce temps, Alien : Awakening, la suite d’Alien: Covenant écrite par John Logan, est paraît-il toujours dans les tuyaux. Awakening devrait être le prélude à un remake d’Alien : le 8ème passager, relançant une fois de plus la franchise cosmique.
Aliens VS Predator en bon film
La franchise Aliens VS Predator, réunissant deux monstres emblématiques de la Fox, compte aussi des projets perdus. En 2004, Aliens VS Predator fut un énorme hit (même le plus gros des deux franchises, du moins jusqu’à la sortie de Prometheus). Mais avant le film, AVP était une BD de 1989 créée par Chris Warner (Barb Wire) et Randy Stradley (fondateur de Dark Horse Comics) qui raconte la baston entre les deux espèces sur la lointaine planète Ryushi. Et dès 1991, Peter Briggs, un jeune scénariste anglais, envoie un scénario inspiré du comic d’origine à la Fox. Le studio l’embauche mais aucun de ses essais n’aura le feu vert, la Fox préférant concentrer ses efforts sur Alien 3, d’autant que Sigourney Weaver déteste l’idée d’un film Aliens VS Predator. C’est Briggs qui introduit le personnage d’hybride Alien/Predator qu’on retrouvera à la fin du film d’Anderson, quinze ans plus tard. Un premier jet signé James DeMonaco (futur auteur d’American Nightmare) et Kevin Fox, réputé très proche de l’esprit fun du comic, est rejeté par la Fox, qui préfère embaucher Paul W.S. Anderson (Resident Evil) à la réalisation et Shane Shalerno (Armageddon) au script. Le duo s’inspire de la nouvelle Les Montagnes hallucinées de Lovecraft pour raconter une chasse à l’homme dans une pyramide antédiluvienne construite par les Predators en Antarctique. Ironie de l’histoire: la rumeur veut que la mise en chantier de Prometheus ait sonné le glas chez la Fox de la version cinéma des Montagnes hallucinées, la baleine blanche de Guillermo del Toro, jugée trop semblable au Ridley Scott. Le fin mot de l’histoire revient à James Cameron – qui déteste viscéralement Alien 3 – qui a aimé Aliens VS Predator pourtant peu apprécié à sa sortie (et c’est un euphémisme) : « De tous les films Alien, je le classe numéro trois. » Soit en dessous du premier Alien et de son Aliens. Mais quel est le meilleur des deux ? Cela, Cameron ne l’a pas dit.
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