GALERIE
JEAN-CLAUDE LOTHER / JEAN-CLAUDE LOTHER

Le réalisateur raconte les coulisses de Dans la peau de Blanche Houllebecq, sa troisième collaboration avec l’auteur de Soumission, après L’Enlèvement de Michel Houellebecq et Thalasso

Quand décidez- vous de ce troisième volet houellebecquien ?

Guillaume Nicloux : Il n'y a jamais rien de prémédité dans ces projets- là car ils sont déconnectés d'une méthodologie et d'une infrastructure classique. Ils obéissent à une règle qui ne peut pas toujours s'appliquer au cinéma : être dans cette énergie qui permet de ne pas mettre en sommeil le désir et pouvoir très rapidement se lancer dans la fabrication du film, avec une idée d’expérimentation. Car même s'il y a un document écrit, on fabrique ce film ensemble au moment où l'objet se met en branle, et il obéit à une procédure particulière. Par exemple, je donne des dialogues à certains des protagonistes et pas à d'autres, j’interviens pendant les prises... Et sur ce socle, chacun peut apporter sa contribution, par des saillies verbales spontanées, inattendues… Je tourne avec quatre caméras en permanence pour capter en une seule prise ce qui se produit et ne pas avoir à le rejouer. Mettre en place ce bordel organisé prend beaucoup de temps. Et c’est beaucoup plus épuisant qu’un film classique, je vous assure. Je ne pourrais pas en enchaîner deux à la suite.

Quel a été le déclic de ce Dans la peau de Blanche Houellebecq ?

Le désir de retrouver Michel et très rapidement celui de l’associer à Blanche Gardin. Car ces deux- là constituent pour moi les deux faces d'une même pièce. Deux personnalités très fortes que tout oppose politiquement et idéologiquement, mais qui, dès le départ ont une admiration commune. Michel aime beaucoup l’humoriste Blanche et Blanche aime beaucoup la poésie de Michel, dont elle a interprété L’Amour, l’amour sur Arte. Et moi, j’ai besoin d’avoir leur confiance réciproque pour me lancer et je puisse écrire en immédiatement pensant à eux. Car si Blanche me dit non par exemple, le film n’existe pas ou devient tout autre.

Comment travaillez- vous à partir du moment où elle vous donne son accord ?

A partir de ce désir de les réunir, naît l’envie de les projeter dans un univers géographique et géopolitique qui rejoint une préoccupation autour de la décolonisation et l'anticolonialisme, que j’avais amorcée avec Les Confins du monde puis poursuivie d'une façon plus centrée sur le communautarisme avec La Tour. Avec ici un contexte plus brûlant car le film se tourne à un moment charnière où la Polynésie obtient encore plus d'autonomie et où le scandale sanitaire du chlordécone résonne toujours fort aux Antilles. C’est pour cela qu’on y voit deux représentants de ce courant indépendantiste et que le film s’ouvre sur une écrivaine indépendantiste, Maryse Condé, qui, impose une tonalité à ce qui va suivre en disant toute une partie du combat peut être effectuée avec l'arme du rire.

DANS LA PEAU DE BLANCHE HOUELLEBECQ : UN JOYEUX BAZAR TORDANT ET BANCAL [CRITIQUE]

Comment vivez- vous les tournages de ces films pas comme les autres ?

Ce sont des expériences très intenses et très jubilatoires. Un mélange très bizarre de concentration et de relâchement total. C'est à la fois très studieux et très déconnant. Car je ne dois jamais oublier qu’il s’agit d’une comédie. Ce qui domine c’est cette volonté d'expérimenter ensemble, avec l'obligation de se dire qu'il va en sortir quelque chose d'unique et qu'on doit en sortir différent. Ca peut paraître très prétentieux mais on ne le vit pas ainsi sur le plateau. A ce moment- là, le regard de l'autre n'a pas d'importance, il n'y a plus d'ego, eux comme moi disparaissent derrière ce qui se fabrique.

Vous tournez dans la chronologie ?

Oui, c’est capital car le but est de capter et de profiter de tous les accidents qui peuvent se produire pour rebondir. C'est pour cette raison par exemple qu'on a tourné à la toute fin le dernier plan de la voiture dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq, puisque Michel roulait à 285 km/h… et qu'il y avait un risque que l'on se tue ! Il y a cette cette excitation de se dire qu'à tout moment le tragique peut arriver. Mais le tragique dans la comédie aussi. Les accidents au sens figuré, pas seulement au sens propre

Le sosie de François Hollande qu’on aperçoit fait partie des hasards du tournage ?

Non, là, c’était totalement prévu. Car comme ils sont rares, il fallait le trouver en amont du tournage. J’ai même proposé à François Hollande de jouer son propre rôle, comme je l’avais demandé – sans succès car sa présence aurait coûté à elle seule dix fois le budget du film ! – à Sylvester Stallone dans Thalasso. L’ancien Président a refusé et il a eu mille fois raison. Car le sosie apporte une part de fantastique qui épouse le récit et permet de prolonger le concours de sosies qui en constitue la colonne vertébrale. Mais tout cela est fait avec bienveillance. Comme pour boucler une boucle puisque dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq, Michel prétendait avoir été enlevé par François Hollande car il lui faisait de l'ombre. Cette rencontre par le biais d'un sosie permet de les réconcilier puisque le sosie de François Hollande l'accueille, le libère et le sauve. Il y a donc une espèce d'apaisement dans lequel Michel peut aussi confier qu’il s'est sans doute trompé dans la façon dont il a présenté les choses.

Comment manipule t’on des personnalités aussi inflammables que Michel Houellebecq et Blanche Gardin ?

Je joue sur une porosité permanente entre ce que les gens peuvent fantasmer d’eux et qui ils sont réellement. Mais aussi de l’évolution de la situation chez chacun. Ainsi, deux mois avant le tournage, Michel est encore dans la shortlist des Nobélisables. Puis à la suite de son entretien dans Front Populaire avec Michel Onfray, il se retrouve diabolisé. Et moi, je place cette nouvelle situation d’entrée de jeu au cœur du récit en organisant une confrontation avec Blanche Gardin qui lui demande des explications. Ca crée la dynamique du film auquel Michel doit se confronter pour que les choses avancent.

Qu’est- ce qui est écrit en amont du tournage dans ces échanges entre eux deux ?

Michel est au courant que la discussion va s'opérer de cette façon. J’organise avec Blanche la manière dont elle va poser ces questions et lancer le débat. Puis je laisse à Michel le soin de répondre le plus naturellement et le plus sincèrement possible aux questions.

En qui votre regard sur Michel Houellebecq a évolué depuis votre première rencontre ?

Le changement fait partie de la nature humaine. Je ne peux pas croire que le vieillissement n'agit pas ni sur les cellules du cerveau, ni sur la pensée. Michel a donc changé, comme notre relation a changé. C’est une alchimie qui mute en permanence. Je ne peux pas préciser exactement quoi mais oui, ni lui, ni moi, ni notre relation ne sont exactement les mêmes depuis notre première rencontre

Quels échos trouvent ces films avec Houellebecq ont des échos dans vos autres longs métrages  ?

Chez moi, tout est imbriqué. On peut croire que mes films s'opposent les uns aux autres et n'ont pas forcément de lien apparent, quand je pense du documentaire Les Rois de l’arnaque à un film fantastique comme La Tour ou de ce film avec Michel Houellebecq à celui sur Sarah Bernhardt que je viens de terminer. Mais d'une certaine façon, ils se répondent et ils s'opposent. Il y a des dynamiques qui font que chaque film en entraîne un autre. Je reste sur la même route mais dans un véhicule différent.

Vous avez déjà parlé d’un quatrième volet avec Michel Houellebecq ?

Pas du tout, ni avec Blanche. Mais je n’avais jamais parlé dans faire un deuxième après le premier, ni un troisième après le deuxième. Alors…

Dans la peau de Blanche Houellebecq. De Guillaume Nicloux. Avec Michel Houellebecq, Blanche Gardin, Luc Schwarz… Durée : 1h28. Sortie le 13 mars 2024