Dans le biopic Forgiven, Forest Whitaker incarne Desmond Tutu, figure militante de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud et président de la Commission de la vérité et de la réconciliation. Rencontre.
Votre transformation physique dans Forgiven est épatante mais c’est surtout votre travail sur la voix de Desmond Tutu qui me reste en tête. Comment l’avez-vous abordée ?
C'était tout un processus. J'ai eu la chance de le rencontrer par le passé et ça m'a permis d'avoir un aperçu de sa personne. Mais ce n’était pas assez : j’ai regardé des tas de discours pour m'imprégner de sa gestuelle, de son rire, de sa façon de parler. Je me suis renseigné le plus possible sur lui, j’essayais de comprendre la façon dont il pense en lisant des livres qui l’ont marqué, les biographies qui lui ont été consacrées. N’importe quoi qui me permettait d’en savoir plus. J’ai travaillé avec un coach vocal, relu le script des dizaines de fois et tout doucement, j’ai fini par mettre le doigt sur cette voix. L’essentiel pour moi était de projeter la passion et la joie qu'il dégage.
Vous restez fidèle à votre réputation de vous impliquer totalement dans vos rôles.
(Rires.) On n’a pas tous les jours la chance d’incarner un homme de paix de ce calibre. À chaque film, j’apprends quelque chose sur moi. Je fais ce métier pour comprendre le lien que j'ai avec les autres. Avec l’humanité. Le message du film, sur la compréhension d’autrui et la capacité à pardonner, me touchait particulièrement. Et il se trouve que je me sens proche de Desmond Tutu et de ses combats car je suis moi-même impliqué dans l’humanitaire. Je crois profondément à la médiation et à la résolution des conflits par le dialogue.
Ces derniers années, vous avez alterné entre grosses productions et films indépendants. Quand vous tournez dans des blockbusters comme Rogue One : A Star Wars Story ou Black Panther, c’est pour pouvoir vous permettre de faire un film comme Forgiven ?
Non. Je ne pense pas ma carrière de cette façon. Ce n’est jamais une décision consciente de gagner de l'argent par-ci, par-là. C’est juste que ce sont des rôles qui me font envie et il se trouve qu’il s’agit de grosses productions. Quand je joue Saw Gerrera dans Star Wars, je le fais parce que c’est un personnage intéressant, un révolutionnaire qui s’est perdu à force de se battre contre le mal. Il y avait une dualité en lui absolument passionnante. Pour Black Panther, le film m’intéressait et c’était l'occasion de retravailler avec Ryan Coogler, dont j'avais produit Fruitvale Station.
Votre métier de producteur est-il devenu pour vous aussi important que celui d’acteur ?
Je le crois, oui. J’ai commencé il y a longtemps avec des films comme Green Dragon et American Gun. Je voulais permettre à des histoires que personne ne racontait de voir le jour. Et au fil du temps, l’objectif est également devenu de faire émerger les voix de gens de couleur. Dès 2003, je produisais Chasing Papi, qui était une comédie au casting entièrement latino. Ces derniers temps, j’ai travaillé sur Fruitvale Station donc, mais aussi Dope ou Sorry to Bother You, avec des réalisateurs et des réalisatrices dont le talent me semblait évident.
Du cinéma avec une conscience sociale forte.
Exactement. Avec ma société de production, on essaie de faire la lumière sur certains sujets de société habituellement mis sous le tapis, et de regarder en face les problèmes. Des choses que certains ne veulent pas voir ou dont ils n’ont pas conscience. Avec des réalisateurs de couleur qui ont un point de vue unique sur le monde.
Que vous inspire la lente évolution d’Hollywood sur les cinéastes et acteurs de couleur ?
Il a fallu du temps. Des portes s’ouvrent, plus de projets voient le jour. Comme il y a un appétit indéniable du public pour des films avec plus de diversité, les studios commencent à s'y intéresser. Beaucoup de réalisateurs, de réalisatrices et de gens de couleurs différentes - de cultures différentes - prennent enfin la parole. On les voit autrement. Et des plateformes comme Netflix permettent l’émergence de projets qui n’auraient sûrement jamais vu jour dans le circuit classique. J’ai dernièrement produit pour eux un film sur la rappeuse Roxanne Shante (Roxanne Roxanne, NDLR), et il a visiblement beaucoup de succès. C’est un moment passionnant dans l’histoire du cinéma.
Forgiven, le 9 janvier au cinéma.
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