Eiffel au cinéma, un chantier de vingt-cinq ans : Partie 2 - Depardieu, Adjani, Besson et Ridley Scott
Pathé

Avant Romain Duris et Martin Bourboulon, plusieurs acteurs et réalisateurs ont voulu tourner ce biopic de Gustave Eiffel...

Cet article a été publié initialement dans le Première n°517 (avril 2021).

Une aventure faite de stop-and-go incessants durant un quart de siècle, et une issue heureuse : Eiffel, grand film d’amour sur fond de construction de la célèbre tour, a pu voir le jour sous la direction de Martin Bourboulon.

Alors qu'il sort enfin en salles cette semaine, voici le récit de son incroyable épopée.

Par Thierry Cheze


Emma Mackey, l'atout Eiffel : "Mon envie de cinéma français était de plus en plus forte"

La première partie est à lire ici

La romancière commence à écrire son scénario et fait la tournée des studios. Sans succès. Jusqu’au jour où un cinéaste qui sort d’un succès [elle refuse de le nommer] demande à la rencontrer. Il veut qu’Eiffel soit son prochain film et a organisé le rendez-vous avec la Paramount pour valider le projet. Comme dans un rêve. Jusqu’à ce que ce petit monde se retrouve après le deal sur le parking de la Paramount, où elle vit une scène surréaliste. « Le réalisateur est rejoint par sa femme qui se décompose en voyant mon producteur. Et tout le monde repart sans un mot. » La femme du réalisateur était en fait l’ex du producteur avec qui elle avait vécu une relation toxique dont elle a mis quinze ans à se remettre. Quinze ans au cours desquels son ex a lui aussi refait sa vie, en devenant producteur sous un autre nom ! Un scénario de série Z hélas bien réel. Le réalisateur renonce. Caroline Bongrand rentre en France, sous le choc. Mais de ses notes prises au cours de cette aventure, elle en tire un roman [Pitch, 1999]. « Il cartonne, et un jour, sur France Inter, j’explique que ce film ne se fera jamais. Trop français pour les Américains et avec un budget trop américain pour les Français. » Sauf qu’en sortant, elle reçoit un coup de fil d’Artmédia. Depardieu, qui a écouté l’émission, veut faire le film avec Isabelle Adjani. La comédienne est partante et a même contacté Luc Besson qui tient à le réaliser. Mais le fol espoir sera de courte durée quand, en juin 2000, Caroline Bongrand rencontre le cinéaste. « Il m’explique qu’il trouve cette histoire tellement belle qu’il veut la signer et que mon nom n’apparaîtra pas. Je lui dis que je ne peux pas accepter. Mais il m’assure que personne n’a les reins assez solides pour faire un film aussi cher. Et que si lui ne le fait pas, le film ne se fera jamais... » Caroline Bongrand ne cède pas. À raison puisque peu après, le producteur Christian Fechner lui demande d’adapter son scénario en français. Ce à quoi elle s’emploie avec celui qu’elle vient d’épouser, le scénariste Martin Brossollet. « Passionné par l’ingénierie, il imagine toutes les scènes techniques autour de la construction. Son apport a été essentiel. » Fechner est enthousiaste... mais la maladie le rattrape. « Il nous assure alors qu’il n’aura pas la force physique de porter un projet aussi lourd. » Le producteur s’éteindra trois ans plus tard, en 2008.

Exclu - Romain Duris : Comment je suis devenu Eiffel

Le projet d’une vie

Voilà donc de nouveau Eiffel stoppé net. Mais le hasard va lui donner un coup de pouce quand Martin Brossollet oublie le scénario dans un lieu où Christophe Barratier le découvre. « Dans la foulée, poursuit Caroline Bongrand, Christophe Barratier me contacte pour réaliser le film, avec Jacques Perrin à la production. » Sauf que rien ou presque ne va se passer et les deux hommes ne renouvellent pas l’option sur les droits. Peu après, Caroline Bongrand tombe sur une connaissance de jeunesse : le producteur Manuel Munz. Eiffel vient vite dans la conversation. « Il me dit : “C’est dingue. On l’a tous devant les yeux et personne n’y a pensé !” » Munz se lance dans le projet avec Olivier Dahan comme réalisateur. Et ce, pile au moment où Pathé appelle Caroline Bongrand : Jérôme Seydoux a lu le scénario et veut produire le film. Elle lui explique pourquoi ce n’est plus possible. Puis Christophe Barratier la rappelle, lui avoue qu’Eiffel est le projet de sa vie et lui donne un story-board de 100 pages. « Je lui promets de le rappeler si Manuel n’arrive pas à monter le film. Mais je suis sûre que ça va marcher. »

Sauf que les années vont passer et que trouver le financement tient de la mission impossible. Munz a beau s’associer avec Paula Weinstein (Blood Diamond) qui engage le dramaturge Martin Sherman pour adapter le scénario en anglais, rien n’y fait. Pire, agacé d’avoir été mis à l’écart de ces décisions, Dahan jette l’éponge. Nous sommes en 2017. Eiffel semble de nouveau condamné. Sauf miracle bien sûr. Comme cet appel de la femme de Ridley Scott à qui une copine de Caroline Bongrand, fan du scénario, l’a transmis. Elle lui dit que Ridley veut en faire son prochain film... avant de comprendre que le projet est déjà passé par d’autres mains, alors qu’ils ne développent que des sujets nouveaux. Le fol espoir s’envole une seconde fois.

C’est au même moment que le directeur de production François Hamel vient dîner chez la productrice Vanessa van Zuylen avec qui il a travaillé sur Un homme à la hauteur. Il voit des tours Eiffel dans tout l’appartement. « Ma passion depuis toujours », explique-t-elle. Hamel lui parle alors de ce scénario qui circule chez Pathé. Certain que ce film est fait pour elle, il lui fait passer le script. Coup de foudre immédiat. La productrice trouve les coordonnées de Caroline Bongrand et l’appelle. La scénariste lui explique la situation. « Vanessa m’assure alors qu’elle réussira à faire le film. Je suis fascinée par sa confiance en elle. » Et ce ne sont pas que des mots. Alors qu’une clause du contrat indique que racheter les droits à Manuel Munz, c’est aussi racheter des dettes énormes, elle trouve les solutions. Le deal est aussi scellé avec Pathé. Caroline Bongrand, aidée de Christophe Barratier, se met au travail de réécriture pour parvenir à un budget de 23 millions. Mais les choses patinent. Et quand les deux femmes apprennent que Philippe Lioret prépare un film sur le même sujet, elles doivent changer de braquet, et de coscénariste.

A suivre...

Eiffel au cinéma, un chantier de vingt-cinq ans : Partie 3 - Un thriller à la True Detective