Le premier long de Filippo Meneghetti met en scène la passion amoureuse cachée entre deux femmes retraitées. Retour sur sa genèse.
Face à trois films auréolés du label Cannes 2020 (ADN, Eté 85 et Gagarine) et un autre primé à Sundance (Mignonnes), Deux, le premier long de Filippo Meneghetti a créé la surprise cette semaine. La commission du CNC chargée de désigner le candidat français à l’Oscar du film en langue étrangère a en effet choisi de désigner celui qui, en janvier dernier avait été couronné du Grand Prix du festival Premiers plans d’Angers. Un couronnement pour un film dont la carrière en salles avait été brutalement interrompue par le premier confinement, pour ne réunir que 49 180 spectateurs.
Ce lesbian story drama, comme le désigne la presse anglo- saxonne, met en scène la passion impossible à vivre au grand jour de deux retraitées septuagénaires qui s’aiment en secret depuis 20 ans. L’une, Nina, vit seule. L’autre, Madeleine, est veuve et mère de deux enfants auprès desquels elle n’a jamais réussi à faire son coming out. Et suite à un échange vif entre les deux femmes autour de ce sujet, Madeleine va faire un AVC qui la laisse fortement diminuée, poussant Nina à user de stratagèmes pour pouvoir continuer à la voir et à se glisser dans son processus de convalescence, alors que pour la famille de Madeleine, elle n’est qu’une voisine comme les autres.
C’est en puisant dans ses souvenirs de jeunesse que Filippo Meneghetti a eu l’idée de Deux. « J’ai été témoin de situations similaire qui m’ont marqué et concernaient des personnes qui ont énormément compté pour moi car elles m’ont donné le goût du cinéma. Je m’étais promis de leur rendre hommage si un jour je réalisais un film ». Ce film ne raconte cependant pas précisément l’histoire de ces deux femmes. Le déclic est venu d’un échange, un jour, avec un de ses amis qui lui a confié que ses deux voisines du dessus, tout juste veuves, laissaient ouvertes les portes entre leurs deux appartements pour se sentir moins seules. « Cette anecdote a fait son chemin dans ma tête et ce d’autant plus que dans notre société contemporaine obsédée par la jeunesse et la perfection des corps, l’envie de raconter une histoire autour de personnages d’un certain âge me taraudait depuis longtemps ».
Meneghetti entame alors l’écriture de Deux avec sa coscénariste Malysone Bovorasmy, avec la volonté d’un récit compact (il ne dépasse pas au final les 90 minutes, en dépit de ses nombreux rebondissements) « pour ne pas laisser le temps aux spectateurs le temps de prendre ses aises et faire naître l’émotion le plus tard possible et de manière insidieuse, jamais frontale ». Leur travail se nourrit aussi des manifestations anti- mariage pour tous qui se déroulent au même moment. « Cela a constitué pour nous un élément de motivation. Car on constatait concrètement que le sujet que nous étions en train d’aborder n’était absolument pas réglé dans la société française et traversait tous les âges. Développer Deux était donc aussi un moyen de mieux comprendre ces réactions qui me sont étrangères. »
Et il le fait avec aussi une volonté de mêler les genres. Deux peut ainsi se lire comme un film sociétal et un drame familial évolue aussi dans une ambiance de cinéma fantastique quand, après l’AVC de Madeleine, Nina semble de plus en plus prête à tout pour écarter ceux qui l’empêchent de passer du temps avec elle. « Je n’avais aucune envie d’enfermer ce récit dans le naturalisme et le réalisme. Je savais d’emblée que je tournerai cet apparent mélodrame comme un thriller. Parce qu’aucun outil ne me semble plus adapté pour raconter une telle obsession dévastatrice. » Un parti pris qui explique notamment le choix de tourner ce quasi hui- clos en scope, avec son directeur de la photo Aurélien Marra, avec qui il avait déjà collaboré sur son court La Bête, un pur film de genre qui jouait avec les codes du fantastique et de l’horreur.
Enfin, ce film repose sur deux comédiennes impressionnantes qui habitent leurs rôles avec une telle évidence qu’on pourrait les croire écrits pour elle. A tort. « Je ne pense jamais à des comédiens avant d’écrire un scénario car si jamais à l’arrivée, ils déclinent ma proposition, le travail de deuil est compliqué à faire. » Ce n’est donc qu’une fois la deuxième version du scénario terminée qu’il s’est penché sur le sujet avec la directrice de casting Brigitte Moidon et une idée directrice : avoir deux actrices issues d’univers très différents, à l’image des personnages qu’elles allaient incarner. L’une venue du cinéma, l’autre du théâtre. Barbara Sukowa et Martine Chevallier. « Barbara – dont j’admire les compositions chez Fassbinder, Von Trotta, Cronenberg… - m’a tout de suite paru idéale pour Nina. Cette égérie d’un cinéma d’auteur international n’a a priori rien à faire dans la petite ville du Sud où se déroule l’action. Et je voulais que ce contraste opère dès qu’on la découvrirait à l’image ». Et c’est Brigitte Moidon qui lui a soufflé le nom de Martine Chevallier dont il a été convaincu en allant la voir sur scène. « Et je ne remercierai jamais aussi Barbara et Martine de la confiance qu’elles m’ont faite. Elles savaient que je voulais représenter l’âge de façon honnête en filmant leurs visages et leurs corps de très près. Elles ont toutes les deux eu ce courage et cette audace- là. » Leurs performances comptent évidemment énormément dans le choix du comité français de propulser Deux dans la course à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Avec cette question qui revient chaque année depuis le dernier lauréat français de la catégorie en 1993 : qui succèdera enfin à l’Indochine de Régis Wargnier ?
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