Treize ans après Héros, Bruno Merle réussit son retour derrière la caméra avec une chronique familiale riche en surprises.
Treize ans se sont écoulés depuis Héros, votre premier et seul long métrage à ce jour. Bien que sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes, il avait dans la foulée reçu un accueil critique houleux sans parvenir à trouver son public. Est-ce que durant ce laps de temps, vous aviez déjà tenté de revenir derrière la caméra ?
Bruno Merle : Je ne vous cache pas qu’il y a eu d’abord une petite phase où il a fallu se remettre debout. Mais ensuite je me suis remis à écrire et j’ai, comme beaucoup, connu la litanie des projets qui finalement n’ont pas vu le jour, certains parfois à quelques jours seulement du tournage. Puis je me suis attaché à l’écriture du Prince oublié qui a pris énormément de temps avant que, finalement, je ne cède mon « bébé » à Michel Hazanavicius
C’est à ce moment- là que naît Felicita ?
Exactement. Car, même si c’était à Michel, ça a forcément été dur de lâcher Le Prince oublié. J’ai donc voulu écrire un film que personne ne pourrait me prendre car il ne vaudrait pas cher et serait risqué à produire. J’ai écrit Felicita en moins d’un an. Et celui-là, j’étais certain qu’il verrait le jour, même s’il fallait que je l’autofinance. Et puis, très vite j’ai rencontré Bruno Nahon qui m’a dit qu’il était partant pour le produire.
Quel est le point de départ de Felicita ? L’envie de raconter une histoire de famille pas comme les autres, ce père, cette mère et leur fille qui, à la veille de la rentrée des classes n’entendent pas que s’éteigne le vent de l’insouciance avec la fin des vacances d’été ?
C’est d’abord l’envie de prolonger ce rapport père-fille que j’avais développé dans Le Prince oublié. Mais, très vite, cette idée n’est devenue qu’une partie d’un grand tout. Car j’ai surtout eu envie ici de parler de la marge à travers la liberté qu’on peut trouver en se faufilant entre les cases. Quels choix vont faire dans les mois et les années qui viennent les parents de cette jeune fille ? Une vie bien rangée avec la maison, le chien et un travail peinard ou l’errance, la liberté avec les conséquences que cela implique. Puis une fois cette base posée, je me suis imposé des défis formels. Je voulais que ce film soit un jeu de pistes
Un jeu de pistes entre réalisme et fantastique. Un mélange qui constitue votre marque de fabrique…
Je crois que c’est mon endroit à moi. J’aime m’affranchir des genres et exprimer ma liberté d’auteur comme mes personnages expriment la leur. J’ai envie de parler au plus grand nombre, je ne veux pas que le bizarre soit un exercice de style. Il doit être au contraire très premier degré, s’inscrire dans un arc de récit et de personnages. Je ne veux pas manipuler pour manipuler. Ni, à l’inverse me cloisonner, surtout quand comme ici le film raconte le contraire : comment chacun peut trouver son endroit et sa liberté, qu’on ait envie d’être normé ou en marge. Si ma manière de conduire ce récit et de le réaliser n’avait pas obéi à la même logique, j’aurais été à côté de la plaque
Le film s’ouvre d’ailleurs sur une scène qui donne le ton de ce qui va suivre. Les deux parents y font croire à leur fille qu’elle a été adoptée. Avant qu’on découvre que ce n’était qu’un jeu. C’est une manière de proposer un pacte au spectateur, de lui donner les règles pour ce qui va suivre ?
Dans mon scénario originel, cette scène n’arrivait que bien plus tard. Elle n’a pris cette place inaugurale qu’au montage. Mais elle permet en effet de donner au spectateur le ton de ce qui va suivre pour savoir s’il a envie qu’on se perde ensemble. Pour moi, plus les années passent, plus la seule règle qui compte quand j’écris, c’est de surprendre. J’ai donc voulu pousser le truc à fond en construisant ce film comme un jeu de pistes dont on ne sait jamais s’il va partir à gauche ou à droite. Et cette première scène est aussi un peu le reflet de ma manière à moi de « torturer » mes propres enfants en leur faisant régulièrement croire des choses qui se révèlent fausses… (rires)
Ce rapport très personnel au sujet ne se révèle jamais excluant. Mais était- ce une de vos craintes au départ ?
J’ai toujours eu peur de parler de moi car je ne voyais pas qui cela pourrait intéresser. J’ai donc longtemps mis de la distance entre ce que je vivais et ce que j’écrivais. Mais là, c’était impossible. Il fallait que je me serve de moi puisque ma relation avec ma fille a en partie nourri le point de départ de Felicita. Je ne pouvais donc pas me cacher et en même temps il me fallait prendre garde de ne pas rester dans l’entre soi. C’est pour cela que j’ai voulu Pio Marmaï dans le rôle du père. C’est un acteur à la palette incroyablement large et donc enfermé dans aucune case. Tout le monde peut instantanément s’identifier à lui. Sa présence permet que le film soit partagé par le plus grand nombre
C’était la même évidence que Rita, votre fille, jouerait sa fille à l’écran ?
Oui, dès le départ. D’abord parce qu’elle joue depuis toujours. Mais aussi parce que quand j’écrivais Le Prince oublié, on avait beaucoup partagé tous les deux. C’est la première fois qu’elle lisait un de mes scénarios, qu’elle s’impliquait. J’ai donc eu envie de poursuivre ces échanges joyeux avec Felicita où son personnage est nourri par elle qui a été habituée à rebondir sur les vannes depuis sa plus tendre enfance. Même si ça m’arrive de m’en mordre les doigts ! (rires)
Et comment est arrivée Camille Rutherford pour compléter ce trio ?
J’ai fait des essais alors que je ne crois pas trop à cet exercice. Il y a tellement de comédiens qui sont excellents en audition et moins convaincants sur le plateau… et l’inverse ! Mais là, comme je n’avais pas d’évidence, j’ai vu 3 comédiennes, dont Camille que j’avais repérée dans plusieurs films. Toutes les trois ont passé ces essais avec Rita. Mais dès que Camille a eu fini les siens, l’évidence a surgi dans ce rôle pourtant complexe à embrasser. Il fallait de la force pour s’imposer entre ce père dans la surenchère permanente et cette fille d’une maturité renversante. Il fallait qu’elle soit tout à la fois maternante, drôle, jamais dominée par le monstre de jeu et d’énergie qu’est Pio tout en arrivant à créer son propre personnage. Camille cochait toutes les cases et elle s’est emparée merveilleusement de cette mère, si essentielle au récit
Avez- vous éprouvé du stress à revenir sur un plateau après 13 ans sans tourner ?
Un petit trac bien sûr mais rien de plus. D’abord parce qu’il s’agissait d’un projet à taille humaine. Mais surtout parce que j’adore travailler avec les comédiens. Et puis, tourner c’est très concret pour moi. Il faut chaque jour avant tout veiller à tenir les délais en résolvant les problèmes très terre à terre qui s’enchaînent. Il n’y a pas le temps pour penser à autre chose.
Avez-vous déjà un autre projet en tête ?
Je viens de vivre des années assez magiques. J’ai donc envie d’enchaîner et je travaille sur une série télé pour Arte. Mais je veux aussi revenir rapidement au cinéma. J’ai aimé tourner à petit échelle – 19 jours de tournage – et j’espère réitérer tout cela dans la même idée d’un film très personnel.
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