Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
ASTÉRIX – LE SECRET DE LA POTION MAGIQUE ★★★☆☆
De Louis Clichy et Alexandre Astier
L’essentiel
Quatre ans après Le Domaine des dieux, Astier et Clichy confirment leur maîtrise de l’univers Astérix. Toujours savoureux, même si moins surprenant.
De l’aveu de tous (des critiques aux ayants droit), Astérix – Le Domaine des dieux était la meilleure adaptation des aventures du petit Gaulois – avec Mission Cléopâtre d’Alain Chabat. Fan devant l’éternel, pratiquement dépositaire de l’humour « goscinnien » à travers Kaamelott, Alexandre Astier avait réussi son coup en restant fidèle à l’univers tout en se l’appropriant et en l’ancrant dans la modernité.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A ADORÉ
LES CONFINS DU MONDE ★★★★☆
De Guillaume Nicloux
Il y a cette image incroyable à l’orée du film : Gaspard Ulliel, en position christique, plein cadre, s’effondre. Dès cette ouverture, lente et majestueuse, on sait que l’on va, non pas suivre, mais être Tassen, ce soldat déphasé qui entame son voyage (venger son frère mort dans un massacre indochinois en retrouvant ses bourreaux).
Gaël Golhen
PUPILLE ★★★★☆
De Jeanne Herry
De Jeanne Herry, réalisatrice du bancal Elle l’adore, on n’attendait pas ça. Pas ça ? Du réalisme documentaire, de l’ambition formelle, un découpage audacieux, des contre-emplois emballants (Gilles Lellouche en parent d’accueil, renversant)... Tout ça est dans Pupille, récit à quatre voix sur la façon dont est encadrée en France une adoption d’enfant abandonné à la naissance.
Christophe Narbonne
LETO ★★★★☆
De Kirill Serebrennikov
Le premier plan de Leto (« été », en russe) est stupéfiant : trois groupies dans une arrière-cour, en noir et blanc, tentant d’entrer en douce dans une salle de concert. On pourrait être à Liverpool en 64, à Londres en 76, à Manchester en 88. On pourrait être dans Control, A Hard Day’s Night, Velvet Goldmine, Désordre, Not Fade Away... Sauf qu’on est à Leningrad au début des 80s, un espace-temps pas vraiment répertorié dans les encyclopédies rock. Un monde où il est interdit de danser dans les concerts et où les disques du Velvet s’échangent comme des trésors de guerre. Kirill Serebrennikov tricote un biopic sur des stars de l’ère soviétique inconnues sous nos latitudes (Viktor Tsoi et Mike Naumenko) et le décalage linguistique et culturel va nous obliger à regarder ces clichés de la coming of age story électrique comme si on nous les racontait pour la première fois. La troupe de jeunes gens sublimes, le triangle amoureux au coeur du récit, les feux de joie sur la plage la nuit et les étreintes désespérées au petit matin... Parce que la musique binaire trouble l’ordre public, parce que la poésie trash est prohibée, parce que tout peut vraiment s’arrêter du jour au lendemain, alors chaque instant prendra ici un éclat nouveau, presque cristallin. Les passages supposément grisants (des séquences clippesques au son de Psycho Killer ou Perfect Day) sont constamment minés par un coryphée qui précise que ces chouettes moments « ne sont jamais arrivés ». L’Été s’achève et laisse tout le monde face à ses rêves fracassés. Hébétés et perdus. Comment dit-on Dazed and Confused en russe ?
Frédéric Foubert
PIG ★★★★☆
De Mani Haghighi
Téhéran, de nos jours. Un groupe de préadolescentes voilées marchent dans la rue en se chamaillant, les yeux rivés sur leurs portables, quand soudain un attroupement les détourne des préoccupations de leur âge (mecs et « likes ») ; elles s’approchent et découvrent, horrifiées, une tête coupée sur le trottoir, portant sur le front l’inscription « cochon » en persan. Claquant la porte au réalisme social iranien, Mani Haghighi (huit films à son actif) choisit le cadre de la comédie sanglante pour dérouter d’un même geste les censeurs et nos attentes. À notre connaissance, Pig est le premier film à s’attaquer aussi frontalement au système, avec cette histoire de tueur en série qui élimine les cinéastes, à l’exception de ceux qui sont blacklistés. Ne pas être dans son viseur, c’est le drame existentiel qui ronge Hasan Kasmai (Hasan Ma’juni), artiste en mauvaise posture, obligé de tourner sous contrôle des pubs absurdes, lâché par son actrice fétiche, attaqué sur les réseaux sociaux et dépassé par son ennemi juré au sein de l’intelligentsia. À travers cet antihéros aussi charismatique qu’imbuvable, dont l’ego est inlassablement brusqué (avec une ferveur qu’on qualifierait presque de « latine »), c’est l’hypocrisie de tous qui est pointée d’un doigt sarcastique. Pires que l’État et ses sbires (dont un vieux flic impassible à fort potentiel comique), il y a les trolls d’internet et les auteurs mégalos qui se drapent dans leur aura de martyrs. Le sarcasme est brutal, la provocation cinglante, et on ne regardera plus le cinéma iranien du même œil.
Michaël Patin
CASSANDRO, THE EXOTICO ! ★★★★☆
De Marie Losier
Flamboyant. Physique. Exubérant. Tel est Cassandro, le héros du documentaire de Marie Losier. Ce catcheur mexicain apparaît dans son Lycra rose serti de flammes, les cheveux parfaitement bouclés et maintenus fermement par une quantité de laque à faire flipper n’importe quelle couche d’ozone. Cassandro est un performeur autant sur le ring que dans la vie, ressentant intensément et assumant tout, vraiment tout, les blessures comme les victoires, avec un panache déconcertant. Pour lui qui est gay, être « Exotico » (à l’origine, des catcheurs hétéros parodiant avec grossièreté l’homosexualité) est un combat pour la tolérance qu’il mène au plus profond de sa chair malmenée par les coups. Le film dresse le portrait d’un athlète exceptionnel, qui trouve sa mission et sa rédemption dans un sport qui a tout d’une religion.
Perrine Quennesson
PREMIÈRE A AIMÉ
MONSIEUR ★★★☆☆
De Laurent Delahousse
Voilà pile un an, disparaissait une des grandes plumes de la littérature française, Jean d’Ormesson. Une des plus populaires et médiatiques aussi. On ne sera donc pas surpris qu’il ait lui-même suggéré à Laurent Delahousse que ce projet de documentaire qu’ils évoquaient régulièrement dans leurs discussions soit à destination du cinéma. Et ce premier long métrage se révèle une belle réussite, tranchant avec le travail du présentateur sur “Un jour, un destin”. Nulle trace ici de voix off explicative ou de récit scolairement construit. Plutôt que de raconter 'Jean d’O' de A à Z en mode chronologique, Delahousse propose des fragments de ses 1001 vies – romancier, journaliste, Académicien, homme de droite, mari, père, grand- père…- qui forment le plus ludique des kaléidoscopes, avec en outre quelques touches de fiction. Il y a bien sûr de l’admiration dans le regard que Delahousse porte sur D’Ormesson. Mais Monsieur n’a pour autant rien d’une hagiographie servile. D’abord parce qu’on y sent souvent l’écrivain parfois fatigué voire agacé par la présence de la caméra ou une question sans que le cinéaste ne se dérobe. Ensuite parce que les témoignages de ses proches le remettent sans cesse en perspective. A commencer, d’une lucidité sans faille, par celle qui a retranscrit les textes du romancier pendant 38 ans.
Thierry Chèze
MARCHE OU CRÈVE ★★★☆☆
De Margaux Bonhomme
Il y a d’abord les cris, les crises et le regard des autres. Puis l’impossibilité d’aller de l’avant, l’envie de respirer, trouver une échappatoire à la routine mécanique et pesante. C’est le quotidien d’Élisa, 17 ans, obligée de s’occuper de sa sœur aînée, Manon, qui est handicapée, alors que leurs parents sont en pleine séparation. Avec Marche ou crève, Margaux Bonhomme signe un premier film réaliste et sans fard, chronique d’une famille déchirée par le handicap d’un de ses membres. Au plus près de ses personnages, notamment la cadette incarnée avec ardeur par une Diane Rouxel fragile et incandescente, la réalisatrice filme les moments les plus tendres comme les plus difficiles sans jugement ni prétention. Il en découle un drame à la finesse palpable et au fatalisme crève-cœur.
François Rieux
WHAT YOU GONNA DO WHEN THE WORLD’S ON FIRE ? ★★★☆☆
De Roberto Minervini
Après nous avoir plongés dans l’envers white trash du rêve US dans The Other Side (2015), le cinéaste italien nous dévoile son contrechamp afro-américain. Nous sommes toujours dans le sud des États-Unis, en Louisiane, entre La Nouvelle Orléans et Baton Rouge. La méthode d’approche reste la même : une immersion intense au milieu de la population locale (obtenue en systématisant les longs plans-séquences), laquelle est captée dans des cadres si soignés qu’on se demande régulièrement si l’on n’est pas devant une fiction. Les « personnages » principaux ici : le chef Kevin de la communauté indienne de Mardi Gras, en pleine préparation de somptueux costumes ; Ronaldo, 14 ans, et son frère de 9 ans, Titus, qui philosophent sur leur avenir menacé par le marasme ambiant ; mais aussi Judy, charismatique célibataire en lutte contre la fermeture programmée de son bar ; et enfin Krystal Muhammad, l’actuelle présidente des Black Panthers, qui enquête sur les incessantes brutalités policières et manifeste au nom du Black Power. Tous subissent de plein fouet les maux de l’Amérique raciste de l’ère Black Lives Matter. Le film choisit de s’en scandaliser dans un écrin élégant, en noir et blanc, traquant l’épiphanie dans le sordide. Si le documentaire, arrimé à son constat édifiant, peine parfois à articuler cette galerie de portraits de manière surprenante, il saisit néanmoins quelques visions lumineuses au passage, tels ces vélos de protestants anti-gentrification scintillant au crépuscule.
Éric Vernay
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
MA MÈRE EST FOLLE ★★☆☆☆
De Diane Kurys
Cool mais désordonnée, Nina accepte de faire un go fast à Rotterdam pour en rapporter de la drogue. En chemin, elle s’arrête chez son fils Baptiste qu’elle ne voit plus et qui va l’assister dans sa mission... Le film de réconciliation familiale se double ici d’un road-movie burlesque et mouvementé : une greffe improbable qui trouve sans doute son origine dans la genèse bicéphale du projet, produit par Diane Kurys et Alexandre Arcady. L’équilibre est instable mais le petit charme de l’entreprise est apporté par Fanny Ardant, dont on connaît la capacité à injecter sa folie décalée dans un contexte inhospitalier. Face à elle, le chanteur Vianney fait des débuts timides dans la peau du fils mal-aimé qui cherche à renouer des liens normaux avec son excentrique de mère.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
ASSASSINATION NATION ★☆☆☆☆
De Mani Haghighi
Dans la ville de Salem, les hommes prennent les armes pour lyncher quatre jeunes filles accusées d’avoir piraté les données personnelles des habitants. Le chaos s’installe. Il n’y a pas grand-chose à sauver de ce film, qui tente désespérément de choquer par tous les moyens. Les tirades sur le féminisme et le harcèlement donnent l’impression de fiches Wikipédia mal recrachées. Le film, version prétentieuse d’American Nightmare, bascule à quelques minutes de la fin dans une violence nauséabonde, jamais interrogée ni même bien filmée. Si vous vous attendiez à un nouveau Boulevard de la mort où l’on prend les armes contre le patriarcat, vous risquez d’être gravement déçus : à preuve, le slogan « Not All Men », balancé comme une évidence à quelques secondes de la fin.
Sylvestre Picard
Et aussi
Back to School de Malcolm D. Lee
Casting de Nicolas Wackerbath
Champ de Batailles d’Edie Laconie
L’exorcisme de Hannah Grace de Diederik Van Rooijen
La Veillée de Jonathan Millet
Le sous-bois des insensés de Martine Deyres
Paddy, la petite souris de Linda Hambäck
Reprises
Fargo de Joel Coen
Les chasses du comte Zaroff d’Irving Pichel
Olivia de Jacqueline Audry
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