Chaque jour, retour sur trois temps forts de l’édition 2021 du festival du film francophone
Le film : Ils sont vivants de Jérémie Elkaïm
Voilà pile dix ans, le magnifique La Guerre est déclarée, qu’il avait co- écrit avec Valérie Donzelli, remportait à Angoulême le Valois d’Or quelques mois après sa présentation triomphale à la Semaine de la Critique. Jérémie Elkaïm fête en beauté ce dixième anniversaire en venant présenter cette année en compétition son premier long métrage comme réalisateur. Adapté du livre Calais mon amour écrit par Béatrice Huret (qui y raconte sa propre histoire, avec la collaboration de Catherine Siguret), Ils sont vivants nous entraîne à Calais dans les pas de la veuve d’un flic sympathisant FN dont la rencontre avec un enseignant iranien arrivé clandestinement en Europe va bouleverser la vie. Un sujet éminemment casse- gueule que Jérémie Elkaïm traite avec une grande subtilité. En ayant le courage de le prendre de front, de ne pas l’esquiver, mais en s’appuyant sur la finesse d’écriture des personnages, à commencer par celui, complexe, riche en ambiguïtés et en contradictions et pas spontanément sympathique de cette femme percutée par un amour totalement inattendu. Elkaïm filme ces corps comme aimantés et ce désir plus fort que tout avec une sensualité qui emmène ce long métrage loin du banal film à sujet. Une réussite
Les comédiens : Damien Bonnard et Leïla Bekhti dans Les Intranquilles
Revoir ici hors compétition le long métrage de Joachim Lafosse qui nous avait emballés à Cannes est d’abord et avant tout une confirmation. Celle de la puissance… tranquille de l’interprétation des deux comédiens qui en tiennent les rôles principaux, celui d’un homme bipolaire et de sa compagne : Damien Bonnard et Leïla Bekhti. Jamais dans la démonstration ou le bégaiement par rapport à ce que les scènes racontent et mus par une complicité qui crève l’écran, ils jouent à merveille cet amour qui unit ces deux êtres envers et contre tout, malgré cette maladie empêcheuse de tourner en rond qui, régulièrement et de plus en plus violemment, fait tout pour rompre ce lien. Les Intranquilles est bouleversant. Cette émotion qui vous étreint sans vous étouffer leur doit énormément. (en salles le 29 septembre)
Le réalisateur : Xavier Beauvois avec Albatros
Quatre ans après Les Gardiennes, Xavier Beauvois est de retour pour un film tourné « à la maison », près de chez lui, à Etretat, avec devant sa caméra sa compagne (Marie- Julie Maille, intense) qui est aussi sa co- scénariste et sa monteuse, leur fille et nombre de ses voisins qu’on croirait échappés de tableaux flamands, le tout nourri par les confidences de ses amis gendarmes sur leur quotidien fait de violence routière, d’inceste, d’alcoolisme… Ce quotidien, Beauvois le raconte et le filme aussi brillamment qu’il raconte le stress des agriculteurs de ce coin de France, étouffés par une crise qui ne leur laisse aucun répit et les pousse à bout, faute d’entrevoir désormais une quelconque lumière au bout du chemin. Sa mise en scène est d’autant plus impressionnante qu’elle est invisible. Elle invite le spectateur à partager cette foule de petits détails en apparence anodins qui, mis bout à bout, créent pourtant les conditions d’une tempête qui va tout balayer sur son passage. En apparence, son Albatros est divisé en deux parties. D’abord la description de ce quotidien par le prisme du regard d’un gendarme du cru (Jérémie Rénier, impressionnant de bout en bout) sur le point d’épouser sa compagne après des années de vie commune puis les conséquences d’un accident, d’un geste mal maîtrisé, de ces quelques secondes où une vie bascule, quand ce gendarme tue son ami agriculteur qui allait se suicider en voulant donc lui sauver la peau. L’homme affable, protecteur, le pilier de sa famille comme de ses collègues devient alors comme un mort- vivant, incapable de la moindre réaction, KO debout, figé par l’effroi, avec comme seul moyen de survie : le départ, la fuite en pleine mer. Deux parties donc mais un seul film, au scénario extrêmement ambitieux et tricoté avec le même soin que cette mise en scène qui vous happe sans vous manipuler. Beauvois aime chacun des personnages, chacun des lieux qu’il filme autant qu’il hait cette violence, cette insoutenable misère sociale toujours là, tapies dans l’ombre et prêtes à ruiner le fragile équilibre et la solidarité puissante que ses personnages ont tissé entre eux pour résister justement à la houle. La dignité est le maître mot de ce film intense. (en salles le 3 novembre)
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