Angoulême 2021- Jour 2
Cédric Sartore/ Shanna Besson- Memento/ Cinémaginaire

Chaque jour, retour sur trois temps forts de l’édition 2021 du festival du film francophone

Le film : La Vraie famille de Fabien Gorgeart

Dans tout festival et Angoulême en a pris la belle habitude (avec Antoinette dans les Cévennes, l’an passé ou dans les éditions précédentes Les garçons et Guillaume à table ! ou Ma vie de Courgette), arrive toujours ce moment où le bouche- à- oreille s’affole et où un film devient celui qu’il ne faut louper sous aucun prétexte. Depuis sa première projection, mercredi soir, La Vraie famille est entré dans ce joyeux tourbillon. Et ce n’est que justice. On avait découvert son réalisateur Fabien Gorgeart en 2017 avec Diane a les épaules où Clotilde Hesme campait une jeune femme qui portait l’enfant d’un couple d’amis. La famille constitue son thème de prédilection. Mais il hisse vraiment le niveau avec son deuxième long où il met cette fois- ci en scène une famille d’accueil qui, après six ans passés parmi eux, va voir le petit garçon qu’ils avaient accueilli à 18 mois repartir vivre avec son père biologique. Avec le déchirement inévitable que cela implique. Gorgeart évite ici tous les pièges posés sur sa route. Celui d’un film qui se limiterait à son seul sujet où le sociétal primerait sur le cinéma au point de l’étouffer. Celui d’un sujet si personnel (sa famille était une famille d’accueil et il a grandi avec un gamin dont ils ont dû eux aussi se séparer après plusieurs années) qu’il aurait eu du mal à transcender pour tendre vers un propos plus universel. Celui d’un récit manichéen divisant son personnage en bons et méchants. La Vraie famille est précisément l’inverse : un petit bijou d’écriture tant dans la manière dont avance son intrigue que dans la psychologie de ses personnages. Humains, terriblement humains, avec tout cela implique de générosité et d’égoïsme mêlés. Gorgeart n’explique rien et on comprend tout. Il ne justifie aucune position qu’on peut trouver violente car il laisse les personnages aller au bout de leur logique. Et son casting épouse cet art de la subtilité. Mélanie Thierry, impressionnante, est d’ores et déjà en lice pour une nomination aux César. Le trop rare Lyes Salem excelle dans le rôle de son mari et Félix Moati trouve dans le rôle du père de l’enfant un personnage auquel il apporte d’emblée une sympathie et une empathie qui aide à la complexification indispensable au propos. La Vraie famille entre par la grande porte dans la liste des favoris au Valois d’Or

La révélation : Lucie Zhang dans Les Olympiades

Dans le nouveau Jacques Audiard, Lucie Zhang est celle qui allume le brasier romantique et romanesque qui va suivre. Elle joue Emilie, une jeune femme débordante d’énergie qui couche avec son colocataire, qui craque, lui, pour une autre jeune femme, fascinée, elle, par une cam- girl. Trois femmes et un homme. Amis ou amants, souvent les deux de concert, embarqués dans une ballade sur la Carte du Tendre façon montagnes russes incessantes. La vivacité, le naturel et l’intensité de Lucie Zhang en donne donc le la. Et Les Olympiades marque pour elle l’aboutissement d’un rêve. Celui d’une enfant qui a toujours eu envie de devenir comédienne sans savoir précisément comment. Celui d’une ado qui a essayé sans succès d’accéder à des castings avant de découvrir celui des Olympiades sur Instagram. Celui d’une jeune femme qui ne lâche rien et franchit tous les obstacles alors que, 5 ans plus jeune que le rôle, la directrice de casting Christel Baras a un temps logiquement pensé que ça ne serve rien qu’elle passe ces essais. Dans ce rôle extraverti aux antipodes de sa personnalité réservée, l’aboutissement de son rêve offre de magnifiques moments de cinéma. (en salles le 3 novembre)


 

Le scénario : Une révision

Sa productrice, la québécoise Denise Robert l’a expliqué sur scène. Une révision est parvenu à exister envers et contre tous. Personne ne voulait de son sujet. Trop clivant. Trop brûlant. Trop connecté à son époque donc. Ecrit par Louis Godbout et Normand Corbeil, ce premier long métrage de Catherine Therrien met en scène un face à face entre un enseignant et une de ses élèves. Un double choc des cultures et de générations entre ce prof de philo, disciple de Spinoza pour qui la raison doit prévaloir sur tout, et une étudiante musulmane qui va le défier en citant le Coran dans sa dissertation. Droit dans ses bottes et sa logique, il lui met une mauvaise note. Droites dans ses bottes et sa croyance, elle demande une révision de sa note à la Proviseure. Et si elle obtient gain de cause, son prof, déjà sur la sellette, sera viré... Une révision permet de comprendre que les questions qui traversent et divisent la société française fracassent de même celle du Québec. Le film parle religion, communautarisme, chasse à l’homme blanc de plus de 50 ans, liberté d’expression… avec une sagacité jamais prise en défaut. Son scénario malin joue avec toutes les a priori sur ces questions, multiplie les rebondissements inattendus sans jamais refuser les obstacles qu’il construit lui- même sur sa route mais en allant, comme La Vraie famille, bien au- delà du film à sujets en mettant le spectateur face à ses propres contradictions. Un travail d’orfèvre.