Le cinéaste s’est lâché ce week-end sur Twitter, caricaturant presque sa position d’enfant terrible du cinéma français. Mais l’académie a tort d’ignorer une des voix les plus singulières de l’hexagone dont le dernier film, hautement « césarisable », était pour une fois une main tendue et pas une main dans la gueule. Explications.
Oops he dit it again… Après le doigt sur le tapis rouge cannois, la bronca Assassin(s), les théories conspirationnistes assénées sur tous les plateaux télé, les brouilles par dizaines (Cassel, Délépine & Kervern…) ou la gamelle Babylon AD, Kasso a décidé ce week-end « d’enculer le cinéma français et ses films de merde ». Comme d’hab, le garçon se propose de payer de sa personne, pour une cause on ne peut plus juste…
Le motif: L’ordre Et La Morale, peut-être ce qu’il a fait de mieux dans toute sa carrière, ne se chope qu’une nomination aux Césars 2012 dans la catégorie « meilleur scénario adapté ». Manque de bol, ca tombe pile l’année de l’euphorie douce chez les professionnels de la profession, tous occupés à s’auto- congratuler des triomphes de la production locale, et –à raison- du regain de forme complètement inattendu d’un strict point de vue de cinéma (c’était quand la dernière fois que vous aviez vu autant de bons films français sur une année, sérieusement ?).
Du coup, Kasso, avec son pavé virtuel dans la mare, fait un peu marrer tout le monde. Surtout lorsqu’il se met à se justifier sur son compte Twitter en citant Pialat (« Si vous ne m’aimez pas, je ne vous aime pas non plus »), en précisant aimablement « J’encule le cinéma français, oui, mais pas tous » (suivi d’une liste de ses copains du métier) ou en ajoutant « Narcissique et prétentieux. Je le suis. Je l’affirme. Je vous emmerde. Bonne journée. ».
Rencontré à l’automne pour le magazine Première au moment de la promotion de L’Ordre Et La Morale, Mathieu Kassovitz s’était empressé de citer, pour justifier ses méfiances vis-à-vis de l’establishment, une phrase de Groucho Marx : «Je ne ferai jamais partie d’un club qui m’accepte comme membre ». Le genre de mantra capable, chez lui, de tout expliquer, de tout éclairer : le doigt sur le tapis rouge cannois, la bronca Assassin(s), les théories conspirationnistes…, ou, par exemple, son absence à la cérémonie des César, l’année où La Haine décroche celui du meilleur film. « Je-ne-ferais-jamais-partie-d’un- club-qui-m’accepte-comme-membre. » Kassovitz a beau détester les clubs, ça lui fout sacrément les boules de ne pas recevoir l’invit’, pour pouvoir mieux la renvoyer avec pertes et fracas dans la gueule de l’envoyeur.
Du narcissisme, comme il le dit, mais sous une forme plus alambiquée, qui permet de garder sauve la posture rebelle. Sauf que cette fois-ci, un masque est tombé, et Kasso nous refait sur un mode hardcore et 2.0, les coups des « Almodopoulos » qui boudent connement pour le reste de l’été, lorsqu’ils ne reçoivent pas de Palme d’Or au mois de Mai. En terme de com’ ça craint un peu, oui, de se retrouver de ce côté-là de la barrière, celle des darons pète-sec et des accrocs à l’institution, lorsqu’on joue depuis 20 ans à l’enfant terrible du cinéma français. N’empêche. On a souvent dit que L’Ordre Et la Morale était le premier film ouvertement dialectique de Kassovitz, celui qui ressemblait pour une fois à une main tendue plutôt que dans la gueule. Etrangement, le Festival de Cannes, où le film brilla par son absence, n’a pas voulu en entendre parler ; le public non plus ; et la grande famille du cinéma français encore moins. Comme si L’ordre et La Morale, pas assez provoc, trop subtil dans son discours, n’avait finalement droit qu’à une sorte de mépris poli (par exemple, mais ce n’est qu’un exemple, UNE nomination aux Césars)
Le problème, au fond, c'est que s’il est difficilement reprochable à un artiste d’avoir un ego, il l’est encore plus de réfuter à une sélection, son droit de, hum, sélectionner. Et à sa manière cette « polémique » du week-end, possède au moins le mérite de renvoyer tout le monde dans les cordes. Le contrecoup, c'est que personne n’en ressort grandi. Ni l'Académie des Césars qui navigue dans le flou éditorial, bouffant à tous les râteliers, hésitant entre populisme cool (Intouchables et The Artist sont là, c’est bon, tout le monde est content ?) et exigence « art et essai » grisâtre (coucou Aki !) ou post-post-post nouvelle vague. Kasso n’a jamais eu besoin d’elle pour s’affirmer comme l’un des mecs les plus doués de ce pays. D’où une stérilité totale du propos, comme si tout d’un coup on remettait la balle au centre au beau milieu d’un 0-0. Reste que le cinéma français a un besoin vital de talent, hors-norme, hors-mode, comme celui de Kasso, pour se réguler, dialoguer avec un pan de son industrie qu’elle a trop longtemps délaissé. Le fait que la profession se refuse à le distinguer pour son film le plus indiscutablement « césarisable » (gros sujet historique, grosse mise en scène, grosse capacité à générer le dialogue) en dit malgré tout assez long, sur le peu d’égards qu’elle lui porte.
François Grelet
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