Rencontre avec le réalisateur de l'excellent Colossal avec Anne Hathaway, disponible en VOD.
Nacho Vigalondo a réalisé Colossal, qui vient d'être disponible en VOD : un film de monstre géant pas comme les autres, où Anne Hathaway tente de lutter contre les éléments toxiques de son existence (l'alcool, les mecs) pendant qu'un monstre géant ravage Séoul. Colossal fait le lien entre les deux éléments de l'histoire avec un brio et une émotion rares. Nacho, déjà auteur de films fantastiques remarqués mais plutôt bis (Timecrimes, Open Windows) passe dans la cour des grands.
Colossal avec Anne Hathaway : une relecture étonnante du film de kaijus
L'idée de départ de Colossal est plutôt tordue... Vous l'avez trouvée comment ?
Tous les films que j'ai fait sont des mélanges. 50/50. Une partie de film de genre, une partie d'autre chose. Colossal, c'est facile : ça mélange le film de monstre et un autre film qui est entièrement fondé sur mes expériences personnelles. L'élément déclencheur du script a été l'élément de science-fiction. Que se passerait-il si tu te réveilles complètement bourré et qu'un monstre géant reproduit tes gestes ? J'avais cette idée depuis de nombreuses années, mais je pensais plutôt à un court-métrage. C'était avant de trouver le personnage de Gloria, la raison de son combat contre elle-même et les autres. C'est là que je me suis dit qu'il y avait un potentiel de long-métrage.
Et vous avez trouvé Anne Hathaway en premier ?
Non, c'est Anne Hathaway qui est venue me voir, elle a réclamé de jouer dans ce film. Ca a lancé pour de bon la production. Elle est la force principale du film à l'écran et dans les coulisses.
Dans une interview, vous avez déclaré que Colossal était "le Godzilla le plus cheap jamais tourné"...
Oh oui, j'ai dit ça pendant une séance de questions-réponse et ça a fait tout un foin (NDLR : la Toho, qui détient les droits de Godzilla, a accusé le studio Voltage de s'approprier Godzilla sans autorisation). Pour moi, c'était juste une boutade, ça résumait l'état d'esprit du film mais il n'a jamais été question de faire un Godzilla en soi. Dans Colossal, on ne voit jamais le monstre en gros plan, on ne le voit qu'à travers un écran télé.
C'est une belle idée de cinéma : ne voir le monstre qu'à travers un écran télé.
Oui, je voulais qu'on voie le monstre de la même façon qu'on voit les bombardements en Syrie. Je me souviens d'une tagline que je voulais mettre sur l'affiche de Colossal à un moment : "Un monstre géant détruit Séoul. Heureusement, on est de l'autre côté de la planète". Mais je ne suis pas un activiste politique. J'admire ceux et celles qui voient des choses révoltantes à la télé et agissent. Mais je voulais raconter l'histoire de gens comme moi, qui voient les choses à la télé, aux infos. Open Windows était déjà vu complètement à travers un écran d'ordinateur.
La musique de Bear McCreary (Black Sails, Battlestar Galactica, Outlander, 10 Cloverfield Lane...) est également remarquable. Quelles consignes lui avez-vous donné ?
Il m'a donné des démos qui étaient parfaitement dans le ton, donc on est restés dans cette direction. Je n'aime pas l'idée de donner une liberté totale au compositeur parce que ça signifie que tu ne t'impliques pas. Il fallait un score qui exprime la mutation, le changement, le dialogue schizo entre ses deux genres. Entre le film indé et le blockbuster. Parfois c'est une musique de film Sundance 90s et parfois c'est beaucoup plus orchestral et épique. Bear a clairement tiré le film vers le haut.
En France, le film est disponible en VOD et n'est pas sorti en salles. Pensez-vous que cela affecte sa perception ?
Mon but, c'est que le film soit visible sur grand écran au moins dans des festivals. La VOD permet au film de toucher son public, mais ceci dit je préfère toujours l'expérience cinéma. Je pense qu'il faudrait donner le choix aux gens, selon ce qu'ils préfèrent, le cinéma ou leur salon. Mais voir un film en salle avec des inconnus ce n'est pas la même qu'avec cinq potes sur ton canapé. L'expérience de communion ultime reste la salle de cinéma. Surtout quand tu vois une comédie ou un film d'horreur : tu réagis différemment si tout le monde se marre ou flippe autour de toi.
Vous venez du film d'horreur à petit budget ; vous allez y retourner après ?
Je ne sais pas... Ce n'est pas du tout mon but d'être un réalisateur hollywoodien, d'être grand public.
Je trouve que Colossal fonctionne beaucoup sur la surprise. Comment je peux le résumer à mes copains sans trop en dire ?
Dites-leur que c'est un film où Anne Hathaway picole avec un monstre géant qui détruit la ville. Ça devrait suffire. C'est pourquoi j'insiste autant sur la présentation de mes films en festival : c'est là où tu vois des films avec juste un titre et tu ne sais pas du tout à quoi t'attendre. C'est l'idéal.
Qu'est-ce que vous regardez en ce moment ?
En ce moment je regarde la saison 3 de Twin Peaks. La série d'origine, c'est mon Star Wars. Lynch est mon réalisateur utlime -en même temps c'est impossible pour moi d'être lynchien, il est au-delà de tout ce qu'on pourrait faire après lui. Lost Highway, c'est le film de ma vie. C'est toute mon éducation en tant que cinéaste. Mais mon préféré de Lynch, c'est Fire Walks With Me. Pour moi c'est son chef-d'oeuvre. C'est un film complètement, totalement libre, à tous les niveaux : le ton, la structure, les textures... Personne d'autre que Lynch n'aurait pu aller aussi loin.
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