Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
LES FRÈRES SISTERS ★★★★☆
De Jacques Audiard
L’essentiel
Jacques Audiard revient avec un western qu’il s’approprie pour en tirer une œuvre très personnelle.
Le dernier plan de Dheepan s’achevait dans une lumière aveuglante qui inondait le nouveau logement londonien de la famille recomposée du héros -filmé comme un paradis terrestre par opposition à la sordide banlieue française où ce tamoul avait préalablement échoué sans le vouloir. Le scandale, pour certains, était entériné : Jacques Audiard signait un film réactionnaire qui dépeignait, tout en la disqualifiant, la France des “caillera” qu’il valait mieux laisser croupir.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE A ADORÉ
CLIMAX ★★★★☆
De Gaspar Noé
C’est quoi ce film ? En début d’année, on apprenait que Gaspar Noé venait de tourner, en deux minuscules semaines, un film mystère, nom de code : Psyché, en compagnie d’une armada de street-dancers emmené par l’Amazone moderne Sofia Boutella. Mais de quoi s’agissait-il exactement ? Un documentaire sur une rave-party ayant mal tourné ? Un film d’horreur ? Une comédie musicale sous MDMA ?
Frédéric Foubert
LE POULAIN ★★★★☆
De Mathieu Sapin
Signer une comédie politique nécessite finesse et doigté. Comment se moquer des jeux de pouvoirs florentins qui animent ceux qui nous gouvernent sans basculer dans la facilité du « tous pourris ? Pour son premier long, l’auteur de BD Mathieu Sapin se joue joyeusement de ces obstacles. D’abord parce que la politique il connaît ! On ne passe 200 jours dans les pas du candidat Hollande (Campagne présidentielle) et 365 autres dans les coulisses de l’Elysée (Le château) sans glaner une ribambelle de pépites propices à nourrir un scénario. Co- écrit avec Noé Debré (Le monde est à toi), celui- ci décrit l’irrésistible ascension d’un novice en politique qui intègre, par hasard, la campagne d’un candidat à la Présidentielle avant de gravir les échelons le conduisant au plus près du pouvoir suprême. Il y a tout à la fois du Baron Noir et du Quai d’Orsay dans ce Poulain : une maîtrise du sujet qui permet de faire naître des situations hilarantes. Mais Sapin parle surtout de cette quête universelle du pouvoir – commune à tous les milieux - et les dérives inhérentes qu’elle engendre. Et ce sans facilité manichéenne et avec une malice dans sa mise en scène où l’on perçoit la patte du BDiste. Sapin s’amuse sans le moindre esprit de chapelle. On le constate dans le choix de ses comédiens: d’Alexandra Lamy (à son meilleur) à Finnegan Oldfield en passant par Philippe Katherine ou Valérie Karsenti… Certains sont plus habitués au petit écran qu’au grand, d’autres à des registres plus dramatiques qu’à la comédie. Et Sapin mêle tout ce petit monde avec un regard neuf et inspiré.
Thierry Cheze
L’AMOUR EST UNE FÊTE ★★★★☆
De Cédric Anger
Cédric Anger s’est fabriqué une belle filmo de polars verrouillés par un sens de la narration diabolique, de L’avocat à La Prochaine fois je viserai le cœur. L’amour est une fête se lance au début sur les mêmes rails, avec des flashs de violence et de néons qui disent l’aspect charnière de l’époque. On est en 1982, l’euphorie socialiste est à son comble, mais la gueule de bois va être sévère. La première partie du film ressemble à un polar à l’ancienne, un Deray 70’s revu et corrigé par le David Simon de The Deuce. Deux flics (Gilles Lelouche et Guillaume Canet) infiltrent le milieu du porno pour faire tomber les chefs de la pègre locale. Mais progressivement les héros vont prendre goût au jeu et produire leur propre film… Anger abandonne alors le thriller et passe au conte de fesses libertaire, baguenaudant dans cette époque d’avant l’arrivée du sida et de la vidéo (et des tournages bâclés qui en ont découlé), célébrant ce moment où le porno n’a pas encore perdu son innocence. Son film devient mobile comme la flamme à laquelle tous se brûleront ; il danse et va où il veut. Ca parle d’amour, de liberté, de cinéma amateur hardi, cet art mineur où seul comptait le cul, l’humour et un surréalisme à la cuisse légère. Dans cette deuxième partie plus free, plus folle, plus belle aussi, L’Amour est une fête devient le portrait d’un groupe d’amis pris dans la débrouille et les câbles électros. Producteurs amoureux, cinéastes frustrés, figurants émotifs… Le porno vient de trouver sa Nuit américaine.
Gaël Golhen
LEAVE NO TRACE ★★★★☆
De Debra Granik
Debra Granik filme la marge comme personne. Cet entre-deux sur lequel on peut projeter ce que l’on souhaite. Ce lieu interlope où se développe autant la plus précieuse des fleurs que le pire chiendent. La réalisatrice la peint avec délicatesse, et une simplicité qui n’est que de surface. Elle l’avait déjà exploré à travers les yeux de la Jennifer Lawrence en pleine éclosion de Winter’s Bone. Cette fois, c’est par le biais de la future sensation Thomasin McKenzie que la cinéaste observe l’espace entre l’âpreté de la vie sauvage et la violence de la vie civile : la douceur du bas-côté. Adaptant le roman de Peter Rock, Debra Granik s’intéresse à Tom, jeune adolescente qui n’a connu comme foyer que la forêt jouxtant Portland. Avec son père (Ben Foster, bouleversant), ancien soldat traumatisé qui a préféré fuir le genre humain, elle vit une existence simple et secrète. Jusqu’au jour où ils sont débusqués et renvoyés de force vers une existence « normale ». Si la réalisatrice reprend ici une figure qu’elle avait déjà exploitée dans son documentaire Stray Dog, à savoir celle du vétéran sujet au stress post-traumatique, Leave No Trace est avant tout le portrait d’une jeune femme en devenir. D’une adolescente découvrant soudainement sa personnalité, ses goûts et ses désirs. Naturaliste et économe en mots, le film joue sur les textures, particulièrement au niveau du son, véritable baromètre de la pression ressentie par le duo. Sobre mais profond et pénétrant.
Perrine Quennesson
PREMIÈRE A AIMÉ
FORTUNA ★★★☆☆
De Germinal Roaux
Comment mettre des images de cinéma sur la crise des migrants, quand on a vu les rafiots renversés de la Méditerranée, les camps détruits au tractopelle, les corps échoués sur les plages ou retrouvés en montagne après la fonte des neiges ? Comment affronter l’horreur à l’arrivée, sonder ce qu’elle déclenche en nous et ce qu’elle laisse à ses victimes, poussées par extrême nécessité vers nos paysages, nos lois, nos corps étrangers ? Le photographe et cinéaste Germinal Roaux a choisi le chemin de la poésie, posant sa caméra-pinceau à l’hospice du Simplon, sur la crête sud des Alpes suisses, où les religieux ont décidé d’accueillir des réfugiés. Parmi ceux-ci, Fortuna, Ethiopienne de 14 ans égarée dans le grand blanc, sans famille ni possession, secrètement enceinte, affronte ses tourments en silence. Cette solitude subie s’oppose à celle, choisie, de ses hôtes, ses questions de survie cohabitent avec leurs interrogations morales. Si Roaux n’évite pas tous les pièges du didactisme (des dialogues trop écrits, une symbolique animale un peu appuyée), il brille chaque fois qu’il laisse parler les éléments, opposant le souvenir de la traversée en mer (superbes plans de flots en mouvement) à l’immobilité des pentes enneigées, comme une métaphore de la trajectoire – et de la condition - de son héroïne. Cette petite poésie-là, en noir et blanc minéral et lumière patiemment sculptée, qui ne peut exister qu’au cinéma, vaut mieux que de longs discours sur la crise migratoire. Elle imprime l’indicible au fond de nos rétines.
Michael Patin
AVANT L’AURORE ★★★☆☆
De Nathan Nicholovitch
A Phnom Penh, des trajectoires a priori hermétiques se télescopent. Française expatriée au Cambodge, Judith (Clo Mercier) enquête sur le passé douloureux du pays pour le compte du Tribunal international. Habillé en femme, Mirinda est français lui aussi. Au seuil de la cinquantaine, il survit en vendant ses charmes. Il fournit par ailleurs à Judith quelques informations sur les anciens Khmers rouges, quand il en a l’occasion. Déjà sacrément chaotique, son quotidien se voit chamboulé par l’irruption de Panna, une gamine de douze ans livrée à elle-même. Ces parcours fournissent à Nathan Nicholovitch (Casa Nostra) la matière d’un film mosaïque aux sillons thématiques épars : les stigmates encore béants des crimes commis au Cambodge sous l’impulsion totalitaire de Pol Pot dans les années 1970, la prostitution infantile, l’intolérance devant l’homosexualité, ou encore la parentalité, et plus précisément la paternité par le prisme d'un personnage masculin à la virilité hybride. Comme les journées de Mirinda, flamboyant « Ladyboy » au corps à la Iggy Pop (celui, noueux et reptilien, du fascinant David D'Ingeo) le récit semble s'écrire au fil de la plume. Sinueux et impulsif, troué d'ellipses violentes, de non-dits et de cuts électriques, le film s'égare parfois un peu. L’élan romanesque s'essouffle alors, pour reprendre de la vigueur ensuite. Adepte des lignes brisées, Nicholovitch finit par esquisser une histoire pleine, vibrante, contée par une fillette dans un puissant feu rédempteur.
Eric Vernay
VOLUBILIS ★★★☆☆
De Faouzi Bensaïdi
Réalisateur, scénariste de Téchiné (Loin), acteur pour Bonello ou Audiard, Faouzi Bensaïdi a tourné Volubilis dans sa ville natale de Meknès, au Maroc. Il décrit une société sous tension, à travers les amours contrariées de Malika et Abdelkader, le vigile et l’employée de maison, deux amants dont la passion va peu à peu se fissurer sous la pression économique. Comment s’aimer quand on ne peut pas s’offrir un chez soi ? Quand on est d’abord occupé à survivre et à préserver sa dignité ? Les thèmes de ce mélo social sont classiques, mais ça n’empêche pas Volubilis de vibrer fort, en grande partie grâce à ses comédiens. Mouhcine Malzi, romantique ténébreux entraîné dans une spirale de lose après avoir manqué de respect à la femme d’un policier, a la beauté fébrile des grands anti-héros des seventies.
Frédéric Foubert
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
VAURIEN ★★☆☆☆
De Mehdi Senoussi
Redouane, dit Red, chômeur longue durée, vient de se faire radier de Pôle Emploi et décide alors de prendre en otage le personnel de son agence. Vaurien repose sur une idée de départ charmante et réellement de son temps : le ras-le-bol bureaucratique et la crise qui vous pousse à prendre un flingue, enfiler un masque Anonymous et à braquer l'administration (en l'occurrence, l'agence de Vénissieux) au nom de tous les laissés-pour-compte de l'Hexagone. Malheureusement, le film se transforme en un braquage enchaînant les twists plus ou moins malins façon Inside Man frenchy. Dommage d'étouffer la sincérité de ce petit thriller radicalement contemporain (et premier long de l'acteur Mehdi Senoussi, vu chez Philippe Faucon), en le mécanisant à outrance alors que le message même du film est de jouer l'humain contre la mécanique de l'Etat.
Sylvestre Picard
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
VICTIMES ☆☆☆☆☆
De Robin Entreinger
François, jeune homme solitaire, décide de consulter un psychothérapeute pour résoudre ses problèmes de sociabilité. Au fil des séances, il se révèle être un psychopathe en puissance … Victimes alterne péniblement séances interminables chez le psy et scènes de violence consternantes. La mise en scène relève de l’amateurisme, le scénario est ennuyeux au possible et les acteurs n’ont pas une once de crédibilité.
Maxime Grandgeorge
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