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Alors que l'année 2011 est un record en termes d'entrées salles, le cinéma français est pris à la gorge par une crise majeure. La raison : une mauvaise gestion du numérique et la désinvolture du milieu. Retour sur une des plus grosses tempêtes jamais traversées par le business français.Pour le CNC 2011 est une année record pour les entrées de cinéma en salles (215 millions d'entrées - plus gros chiffres depuis 1966). Mais il va falloir profiter rapidement du champagne et des cotillons : 2012 s'ouvre sur une crise phénoménale qui devrait handicaper sérieusement le secteur. En cause, la numérisation des salles effectuée à la va-vite et l'effondrement parallèle des meilleurs laboratoires techniques.Pour comprendre le phénomène, il faut remonter à 2008 ; revenir à l’alpha et à l’oméga du cinéma numérique : Avatar. En décembre 2009, le triomphe du film de James Cameron achève de convaincre les propriétaires des salles françaises qu'il est grand temps d’équiper les salles de matériel numérique, notamment pour pouvoir diffuser des films en 3D. Le CNC, qui avait déjà lancé le mouvement, entre dans la danse en accélérant son programme de numérisation des cinémas (58 % des salles fin 2011 sont équipées, 100 % d’ici un an). Un gros coup de pouce financier est à l'époque donné, sous forme de subventions, aux cinémas qui peinent à s'équiper. Naturellement, cette mise à jour concerne aussi les filières de post-production (montage, tirage des copies, SFX), qui doivent renouveler leur machines pour ne pas devenir obsolète. C’est là qu’entre en scène Tarak Ben Ammar, producteur au parcours atypique (sur son CV, on trouve des comédies de Philippe Clair - Plus beau que moi tu meurs, Rodriguez au pays des merguez - ou des films de Roman Polanski et Brian de Palma), ami des puissants (son carnet d'adresse compte les noms de Berlusconi) et gros acteur du cinéma français. Depuis le début des années 2000, il a investi dans la post-production pour créer un groupe imposant au fil de ses acquisitions et de ses participations financières. Le nom de son « domaine » : Quinta Industries. Son périmètre : gigantesque. Ben Ammar possède (totalement ou en partie) l’un des plus gros laboratoire de développement, LTC, la société de post-production (qui gère le montage et les effets spéciaux de nombreux films français) Duran-Duboi et enfin Scanlab; pour la filière son, il a les auditoriums de Joinville et Boulogne, SIS et Acousti studios. En tout, les sociétés de post-productions françaises les plus importantes - dont certaines qu’il a sauvé de la déroute au début des années 2000.Evidemment, tout cela a un coût. Sévère. Mais afin de financer son nouvel équipement, Ben Ammar compte sur un autre marché lié lui aussi au numérique : la restauration et la préservation du patrimoine du cinéma français. La majeure partie de ce travail doit naturellement revenir à LTC, l'un des meilleurs spécialistes du tirage de copie, qui possède un matériel exceptionnel. Un accord est signé avec les ministres de la culture et de l'industrie en mai dernier au festival de Cannes. Mais il n'y aura de l'or que pour la palme : à l'automne lorsque les fonds sont censés arriver, les remous autour de la zone Euro et les plans de rigueurs ont gelé toute transaction. Quinta communications group se retrouve  rapidement en cessation de paiement, étranglant LTC qui est mis en redressement le 3 novembre dernier, puis en liquidation à la mi-décembre. Dès lors, c'est la panique à bord, pour les producteurs et distributeurs qui avaient des films en cours de finition dans ces entreprises. Quand ils ne sont pas bloqués chez LTC, ils le sont chez Duboi (effets spéciaux, fabrication des DCP, ces disques durs encodés qui ont remplacé les copies en pellicules), l'étape suivante. Le 19 décembre, on parle de trente-six films menacés, parmi lesquels les potentiels poids lourds de l'année cinéma 2012 (Astérix et Obélix : au service de sa majesté, La vérité si je mens ! 3, Stars des années 80...). Certains ont une date de sortie déjà calée au cours du premier trimestre. Conséquence, si les films ne sortaient pas, les onéreux plans marketings lancés devraient être repris à zéro. Le 22 décembre, la liste augmente pour monter à 61 films en péril. Entre temps, inquiets de leur avenir, les employés de LTC auront tenté un coup de force pour alerter le CNC, et bloquer la livraison de copies d'Hugo Cabret, le film de Martin Scorsese. Son distributeur, Metropolitan Filmexport aura contourné cette menace en faisant tirer des copies du film en Italie. En partie chez Technicolor, laboratoire détenu à 17% par… le groupe Quinta Industries !!!Là où tout se complique, c’est que les producteurs et distributeurs n'ayant pas des films en post-productions sont également touchés par la fermeture de LTC : la possibilité de perte partielle ou totale des éléments numériques en cours de finition, faute d'avoir les outils suffisant pour les sauvegarder, concerne aussi les films précédents, toujours stockés chez LTC. Sans compter, les phénoménales ardoises en cours : la filière de postproduction fonctionnait sur un système d'avances auprès de ses clients, qui sont devenues autant de créances. Elle se monteraient à plus de 39 millions d'euros, toujours dûes par - entre autres - EuropaCorp, Pathé, Mars Distribution ou StudioCanal.Il y a quelques jours, une réunion de crise a eu lieu au CNC. Eric Garandeau son président, annonçait qu'elle "était vraiment importante, parce qu'elle (avait) permis d'aborder l'ensemble des difficultés des industries techniques et de progresser sur certains de ces chantiers". Etrange quand on sait que les rapports Couveinhes et Goudineau, remis respectivement en octobre 2002 et août 2006, affirmaient (il y a donc des années déjà) qu’il y avait urgence à organiser le passage de la pellicule au numérique... Quoiqu'il en soit, le CNC s'est voulu rassurant quant aux films sur lesquels planent le spectre du report de sortie. Du côté de la FICAM (Fédération des industries du cinéma) le ton est plus mesuré. Après la réunion, l'association assurait qu' "il y a véritablement péril en tout cas pour un certain nombre d'entre eux" même si "aujourd'hui, on peut considérer qu'on a les moyens de sauver ces soixante films, il va y avoir des problèmes de surcoût, de délais avec de gros risques dans ce domaine". Du coup, certains ont préféré prendre leurs précautions : Isaac Sharry et Warner Bros. France, producteurs et distributeurs des Seigneurs, la comédie d'Olivier Dahan sur fond de football ont annoncé que sa sortie était repoussée du 11 avril au 26 septembre. Le premier d'une longue liste ?Car certains cas sont très problématiques. Parmi les films pris en étau dans les fermetures successives des entreprises de Quinta industries, il y a La mécanique du coeur. Le dessin animé de Mathias Malzieu, adapté d'un des albums de son groupe Dionysos, était déjà mal en point avant la récente débâcle : en 2009, EuropaCorp, qui le produit, confie la fabrication de certains trucages et la postproduction en 3D, à Duran-Duboi,. Le travail effectué ne satisfait pas le commanditaire, il est stoppé en mai dernier. Les difficultés financières de Duboi commençant à peser, une partie de l'équipe est licenciée. Il faudra passer par le tribunal de commerce de Nanterre pour qu'EuropaCorp récupère le matériel et les codes des logiciels. Il faut maintenant trouver d'autres personnes pour achever le film. Or, selon l'avocat d'EuropaCorp, le film aurait déjà coûté "près de 13 millions d'euros". Résultat : La mécanique du coeur pourrait bien être victime de celle de l'argent... La situation des autres films entre les mains de Duboi-Duran ne va pas s'arranger : le 20 décembre, le même tribunal de commerce de Nanterre constatait "l'absence de proposition crédible" pour leur reprise... Faut-il en déduire que l'apparition  de Film Funds, une société californienne, faisant une offre la veille pour une reprise de Quinta Industries n'était pas le miracle de dernière minute annoncée?En ce début d’année, la crise de la postproduction du cinéma français ne semble pas trouver de solution. Ou du moins des plus précaires : suite à un accord avec Ben Ammar, les 115  employés d'LTC ont négocié les conditions de leur départ (40 000€ d'indemnités par personne) et les finitions des films en cours ont été confiés à Eclair, le laboratoire jusque-là concurrent qui se retrouve en état de monopole. Et quand on sait que les laboratoires Eclair sont détenus à 43% par... Tarak Ben Ammar, on ne peut-être que circonspect. La suite du feuilleton s'écrira dès le 9 janvier prochain avec une seconde réunion au CNC.Par Alex Masson