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En la choisissant pour incarner Nono, dans la pièce éponyme de Sacha Guitry, le metteur en scène et comédien Michel Fau offre un rôle superbe à Julie Depardieu.Propos recueillis par M-Céline NivièreMichel Fau me rejoint au bar du théâtre : « Julie arrive, elle se change. » L’entretien a lieu à six jours de la première représentation. Je ne cache pas que je trouve le projet très séduisant. Xavier Gallais, Brigitte Catillon, Julie Depardieu et lui-même forment une affiche impressionnante. « C’est la réunion de gens qui n’ont jamais joué ce répertoire, mais qui en ont les moyens et l’envie. » Et puis, c’est un Guitry que l’on connaît peu. « Il a 19 ans lorsqu’il l’écrit ! Cette pièce a été peu montée, car elle est un peu déroutante à la première lecture, mais, quand on se penche dessus, on découvre toute sa force ! »Une voix joyeuse, au délicieux accent gouailleur, retentit : « Il a déjà commencé ! » On sent tout de suite la grande complicité qui unit Michel et Julie. Ils m’expliquent que leur amitié est née de leur passion commune pour l’Opéra. « On est sur la même longueur d’ondes. » précise Julie. Michel éclate de rire : « On aime les acteurs morts et les vieux chanteurs ! » « On ne s’est engueulés qu’une fois sur une mise en scène, avoue-t-elle. C’est pénible à dire, mais je dois le reconnaître, Michel a souvent raison. » Il lui retourne le compliment : « Julie est très intelligente. »Comment est né le désir de travailler ensemble ? Julie Depardieu prend la parole : « Alors, il faut commencer par notre rencontre. Je l’admirais beaucoup. On avait un ami commun, qui m’apprend que Michel organise un stage Voix et Tragédie. » Il précise : « Des chanteurs venaient travailler le texte et des comédiens la voix. C’est là que l’on s’est rencontrés. » « Et un jour, enchaîne Julie, il me propose de faire ensemble du théâtre. Mais quoi ? » « On s’est dit pourquoi pas un Guitry, confie Michel. Et j’ai choisi une pièce peu connue. » Julie précise : « Celle-ci n’a pas été jouée quarante mille fois ! » Michel Fau se met à rire : « Contrairement à Maison de Poupée ! » (La saison dernière proposait cinq mises en scène de la pièce d’Ibsen, celle de Fau était à la Madeleine avec Audrey Tautou).Nono est ce que l’on appelait une cocotte, c’est-à-dire une femme entretenue. « Julie a le tempérament, le charme et les moyens de jouer ce rôle difficile, car elle sait cultiver l’ambiguïté nécessaire à son personnage. Julie est musicienne, elle attaque ce texte comme une partition musicale. » Cela doit être amusant à incarner. Julie s’exclame : « Cette fille est un fantasme. C’est génial d’entrer dans la peau d’un tel personnage. C’est comme prendre un antidépresseur ! Je n’aborde pas la vie avec autant de facilité qu’elle. » Michel rajoute : « Vous avez en commun d’être dans la vie ! Nono ne culpabilise pas. Tout ça est normal. Elle a du caractère. Elle est loin d’être une imbécile. » Mais cette histoire se passait à une époque plus insouciante que celle d’aujourd’hui.Michel Fau résume la situation de la pièce : « Effectivement, c’est une autre époque. Nono est entretenue par un fils à papa, Xavier Gallais. Elle tombe amoureuse de son meilleur ami, un poète raté, que j’interprète, lui-même entretenu par une bourgeoise, jouée par Brigitte Catillon. Ces quatre-là ne font rien dans la vie, comme les héros des tragédies ! Ils n’ont pas de soucis d’allocations familiales, » « Et elle est contente de fréquenter quelqu’un qu’elle perçoit comme un intellectuel » précise Julie. « Il est fasciné bien qu’elle représente tout ce qu’il méprise, poursuit Michel. Il y avait quelque chose de cet ordre dans la relation entre Marilyn Monroe et Arthur Miller. Cette pièce est étonnante dans sa construction. Au début, on est chez Jules Renard, Octave Mirbeau, un théâtre bourgeois féroce, puis dans le vaudeville, pour terminer sur un acte plus mélancolique. Dans cette œuvre de jeunesse, la langue de Guitry est déjà là. Il adresse des piques aux femmes bien sûr, mais l’image qu’il montre des hommes est aussi violente. Dans cette histoire, les femmes vont d’ailleurs s’en sortir bien mieux que les hommes ! »L’univers de Maison de Poupée était celui de l’expressionnisme, celui de Nono est plus léger, comme le suggère l’affiche signée Pierre et Gilles. « Plus coloré ! » s’exclame Michel. « Plus décolleté » surenchérit Julie. Michel Fau conclut: « Nous sommes dans les codes du théâtre. Il y a des toiles peintes, de l’artifice. La pièce évoque un monde basé sur l’apparence et le fantasme. » Je demande à Julie Depardieu ce que cela fait de porter de belles robes. « Faut surtout faire gaffe ! J’en ai une magnifique presque transparente… Nono se sent jolie et désire en faire profiter les autres. » Il faut nous séparer, Julie doit filer à l’enregistrement d’une émission télé. Dans le hall du théâtre, je croise Xavier Gallais, tout sourire, m’avouant son plaisir d’être de l’aventure.Nono au Théâtre de la Madeleine