Thomas, comment vous est venu l’idée d’adapter les nouvelles de Craig Davidson ?C’est Jacques qui les a lues il y a trois ans. Il me les a passées et très vite, on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire avec. On aimait l’univers, mais on ne savait pas vraiment dans quelle direction partir. Jusqu’à ce qu’on colle l’histoire d’amour... L’idée centrale, c’était donc la love story ? C’était plus que ça. Dans ses films, Jacques a toujours raconté la naissance des héros. Discrets ou pas. Son thème de prédilection, c’est la constitution du héros. Un type qui part de loin et qui rencontre des difficultés qu’il doit surmonter à la fin. Dans De rouille et d’os, ce héros - celui à qui l’on met des bâtons dans les roues et qui doit résister pour triompher - c’était l’histoire d’amour. J’ai lutté pour faire avaler ça à Jacques, mais c’était fondamental : traiter l’histoire d’amour comme un personnage à part entière.C’est marrant parce que ce que vous me racontez là n’a rien à voir avec la bande-annonce... Mais elle est nulle cette bande-annonce ! On dirait Bridget Jones. Je vous en parle parce que le film est vendu sur Marion Cotillard...... alors qu’on l’a conçu comme un film à deux points de vue. Mais c’est comme Un Prophète : le film avait été marketé comme un film d’auteur, alors qu’il s’agissait d’une série B. Là, c’est la première fois que Jacques s’attaque à une love story et on vend Bridget Jones ! ... enfin il y a Sur Mes Lèvres dont De rouille et d’os fonctionne presque comme le remakeC’est vrai qu’on y a pensé, mais Sur mes lèvres c’est l’histoire de la fille. Regardez bien, il y a peu de scènes avec lui seul. Là on a deux points de vue qui cohabitent. Et l’idée c’était surtout d’avoir un narrateur invisible, l’enfant. La nuit du chasseur version sud de la France ? Exactement. Les nouvelles de Davidson nous donnaient un terreau, une matière très forte, mais quand on a cherché à faire un film, il nous fallait une idée de cinéma. Et très vite on a pensé à Tod Browning - Freaks, L’Etranger. Et à La nuit du chasseur effectivement. Des films expressionnistes avec des images très fortes, des monstres, qui flirtent avec le fantastique. Et ce qui était aussi très important pour nous, c’est que ce sont des films de crise. D’où l’importance du réel dans le film ?Exactement. On voulait pousser tous les curseurs dans le rouge, on voulait produire des images fortes (les orques, la violence des combats), mais ces images ne devaient pas être gratuites. Du coup ce qui allait donner du poids à ces images, c’était le réel, sa crédibilité sociale. OK, mais j’ai du mal à vous suivre sur Freaks. La beauté de votre film, c’est précisément que votre héroïne amputée n’est jamais montrée comme un monstre, au contraire de Freaks. C’est là où l’on rejoint Davidson d’ailleurs : les blessures les plus graves, elles ne sont pas physiques, mais moralesOn est d’accord. Mais ce qui nous intéressait chez Browning, outre l’aspect visuel, c’était l’idée de la communauté qui se met derrière l’individu et qui le porte. Et l’idée d’un destin simple magnifié par un accident. Ajoutez à cela la vision d’un enfant et ça prend des allures fantasmagoriques. Le film serait une fable alors ? Non. Encore une fois, c’est un film expressionniste. Dans un monde de catastrophe, où l’on perd son boulot, où les pauvres espionnent les pauvres... dans ce monde-là on voulait que leur histoire soit magnifiée. Enorme. Que ce que la vie a de fantastique ressorte.On n’a pas encore évoqué clairement le genre du film. De rouille et d’os est un pur mélo. Oui, mais un mélo trash. Trash ?Parce que l’héroïne n’a pas de jambes, que les mecs se foutent sur la gueule, que ça se passe chez les pauvres. C’est un mélo qui a du noir sous les ongles, qui ne recule devant rien. Tendre passion est un film que j’adore. Je l’ai montré à Jacques parce qu’ils y vont à fond. Il y est question de cancer, de cosmonautes... C’est une histoire folle, mais qui assume sa dimension énorme.Comment écrire une scène pour faire pleurer ? Mais on n’écrit jamais une scène pour faire chialer. Vous avez de l’émotion si vous croyez au personnage. La scène de fin, si elle marche c’est parce qu’Ali lâche tous les barrages. Pareil pour Stéphanie. D’ailleurs, contrairement au livre, elle ne meurt pas…Une des grandes questions justement, c’était comment on met du soleil dans cette histoire. Avec Jacques on est d’accord sur un truc : on a envie que les gens aillent au cinéma. Trouver ce qu’il y a de sombre dans les histoires gaies et trouver le soleil dans les histoires sombres. Dès le départ c’est dans cette optique là qu’on a imaginé l’histoire d’amour. On voulait adapter les nouvelles de Davidson, garder ce monde dur, âpre mais en y mettant du soleil. La côte d’azur c’est un bon endroit. L’histoire d’amour c’est bien. On ne pouvait pas avoir un personnage qui meurt. Ca aurait signé l’échec du film. La scène du scalpel est là quand même. On devait s’y confronter, mais ça ne pouvait pas être la fin de l’histoire. Propos recueillis par Gaël GolhenDe rouille et d'os : le premier choc du festivalSuivez toute l'actu cannoise sur notre dossier spécial avec Orange Cinéday
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