Le cinéaste a gagné le bras de fer engagé contre Bercy et change la donne du crédit d'impôt accordé aux tournages sur le territoire français.
C’est un combat de longue date qui a été remporté il y a quelques jours. Le crédit d’impôt accordé aux films dont le tournage se déroule en France va être revalorisé à hauteur de 30 % et étendu à tous les longs-métrages, ou presque. Après un lobbying intense, Luc Besson a donc gagné son bras de fer face au gouvernement, qui va intégrer la réforme fiscale dans la Loi de finances 2016 discutée depuis hier à l'Assemblée nationale. Permettant à Besson de tourner son blockbuster Valérian dans l’Hexagone. Et au-delà ?
Crédit d’impôt mode d'emploi
Un crédit d'impôt est un avantage fiscal qui permet de soustraire de sa déclaration une partie de ses charges. Ici, les sociétés de productions françaises qui financent les films. Le système actuel permettait aux productions étrangères tournant en France de bénéficier d'un crédit d'impôt de 30 %, ainsi qu'aux productions françaises en langue française de moins de sept millions d’euros. Les autres en étaient exclues, à l’exception des films d’animation, qui pouvaient déduire 25 % de leurs charges. Demain, pratiquement tout le monde pourra bénéficier des 30 %. Et si ce crédit d'impôt était auparavant plafonné à 4 millions d'euros, il sera désormais plafonné à 30 millions - autant dire presque déplafonné. Ce après validation de l'Assemblée nationale (puis de la Commission européenne) où s'ouvraient aujourd'hui les débats sur le projet de Loi de finances 2016. De quoi réjouir Luc Besson et son blockbuster Valérian à 170 millions, pour qui la réforme semble être faite sur mesure : les films français en langue étrangère, bénéficiant normalement de 20 % de crédit d'impôt si l'utilisation d'une autre langue que le français s'impose pour raisons artistiques, pourront désormais déduire 30 % si ces films sont à "forts effets visuels". Encore une fois, Valérian coche toutes les cases.
Lutter contre la concurrence
La concurrence fiscale en Europe est extrêmement forte et les rabais consentis par certains pays étaient souvent bien plus intéressants que ceux offerts par la France (Belgique, République Tchèque…). Outre nombre de gros projets hollywoodiens qui choisissaient d'autres lieux de tournage que la France, de nombreuses productions hexagonales ont déserté le territoire pour faire des économies substantielles. « Énormément de films français se tournaient à l’étranger. Notamment, mais pas que, des grosses productions », explique Sarah Drouhaud, rédactrice en chef du site lefilmfrancais.com. « Les gens de l’industrie technique étaient ceux qui souffraient le plus du système en place : les loueurs de caméras, de lumières, les studios… Les gros tournages, qui dépensent donc le plus d’argent, font très mal quand ils franchissent la frontière. Il y aura toujours de la délocalisation, que ce soit pour raisons artistique ou parce que le film est une co-production. Mais ces dernières années, on était arrivé à un niveau très élevé. L’idéal serait qu’il y ait une harmonisation au niveau européen. Autant vous dire qu’on en est encore loin », résume-t-elle.
La situation en chiffres
La fiction française a été riche au premier semestre 2015 : 687 semaines de tournage tous territoires confondus (contre 417 l'année dernière). Mathématiquement, plus de tournages de films français veut dire plus de tournages délocalisés. Le crédit d'impôt semble donc tomber à pic pour arrêter l'hémorragie.D’après les chiffres fournis par la Ficam (Fédération des industries du Cinéma, de l’Audiovisuel et du Multimédia), le taux de délocalisation en nombre de semaines de tournage est devenu alarmant au premier semestre 2015 : 37 %, soit 17 point de plus qu’au premier semestre 2014. Un niveau "jamais atteint" sur cette période depuis 8 ans. Les films au budget inférieur à dix millions d’euros ont été les plus touchés, puisque leur taux de délocalisation est passé de 22 % à 30 % sur la même période par rapport à l’année dernière. Les deux films du premier semestre à plus de 20 millions de budget (Les Visiteurs 3 et The Lake) ont été quasi entièrement délocalisés, alors que le taux de délocalisation est de 46 % pour les films de 7 à 10 millions.
La puissance de Luc Besson
Avec son film à 170 millions et la promesse de milliers d'emplois pour les techniciens français, Luc Besson, qui s'est abondamment servi des médias comme porte-voix, a beaucoup contribué à faire avancer cette réforme, permettant à Fleur Pellerin de peser plus lourd dans l'arbitrage qui a eu lieu entre le ministère de la Culture et Bercy, responsable du budget. Éric Altmayer, co-dirigeant de la société de production Mandarin Films et vice-président de l'association des producteurs de cinéma, salue « l’efficacité » du réalisateur « en terme de lobbying ». Et rappelle que « ces revendications étaient faites par les producteurs indépendants depuis longtemps. Mais ne s’est pas inscrit en faux. Il a utilisé le levier d’un film à 170 millions pour imposer un point de vue beaucoup plus audible ». Pour Sarah Drouaud, « les industries techniques en France souffraient énormément et n’arrêtaient pas de le dire. C’est vrai que Luc Besson a une capacité à mobiliser et à convaincre, mais on n’est pas arrivé à ce résultat uniquement grâce à lui. Je pense que ça ne fera pas plaisir qu’à Luc Besson et ne servira pas qu’à Valérian. Notamment pour les films à 10 millions d’euros de budget » qui ne bénéficiaient pas encore des 30 % de crédit d'impôt.
La réaction de l'industrie
Le nouveau crédit d’impôt a été « globalement salué » par toute l’industrie française, selon Sarah Drouaud. Frédérique Bredin, présidente du CNC, croit savoir qu’il s’agit d’« un investissement considérable pour la consolidation et la compétitivité de notre industrie. C'est la reconnaissance de l'engament de cette industrie pour l'emploi, pour l'activité et bien sûr, pour la création artistique ». Elle rappelle que ce secteur « représente près de 1% du PIB et plus de 340 000 emplois ». Des emplois qui devraient largement bénéficier de ce crédit d’impôt remanié, selon Éric Altmayer : « Si cela permet de tourner en France et, sans trop de discriminations financières, d’utiliser le tissu local, on ne va pas se poser de questions. Je suis globalement très favorable à ce changement. C’est très bon pour le système globalement et on ne peut pas être dans son petit pré carré. Je suis pour ce qui est simple et accessible à tous », assure-t-il. Même son de cloche chez Sarah Drouhaud, qui est persuadée que « ce nouveau système va changer les choses. Les pouvoirs public ont fait le calcul : cela va coûter moins que ce que cela va rapporter. C’est une mesure très forte qui mise sur la compétitivité et qui devrait produire des effets concrets ». La ministre de la Culture Fleur Pellerin en avait d’ailleurs apporté la preuve lors de sa conférence de presse du 30 septembre dernier : « Un euro de crédit d’impôt génère en moyenne 3,10 euros de recettes fiscales et sociales », assurait-elle. Implacable. La Ficam se réjouit également du nouveau crédit d'impôt, qui selon elle replacera « le cinéma français dans un ordre de marche conforme à son rôle essentiel en Europe ».
Reste une voix dissonante, celle de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), qui croit largement aux effets bénéfiques de cette revalorisation, mais reste « très circonspecte face à la volonté d’élargir l’accès du crédit d’impôt à certains films français tournés en langue étrangère ». La SACD a peur que cette ouverture « ne s’accompagne de larges abus » et demande « des garanties précises et pérennes » pour éviter les motivations purement économiques. « La délocalisation n’a jamais été une solution privilégiée, c’est une solution par défaut », jure Éric Altmayer. « Et elle s’applique beaucoup plus facilement à des films de genre un peu intemporel, comme l’action. Les délocalisations purement économiques et financière, il y en a eu peu » chez Mandarin Films. Répondant indirectement aux inquiétudes de la SACD, le producteur de Saint Laurent rappelle le rôle des grosses productions dans la sauvegarde des petites : « Il faut être lucide : la défense du cinéma français en général se fait sur la base de quelques films. Ce sont eux qui permettent à tous les autres petits d’exister. Renforcer la présence du cinéma domestique avec des films importants a des effets positifs à tous les points de vue, pas seulement économiques ».
Ce que ça va changer ?
L'allègement de charges que permet la réévaluation du crédit d'impôt permettra de compenser le fait que le coût du travail est plus élevé en France que chez la plupart de ses voisins européens. Et de remettre en valeur le savoir-faire français : « Les équipes françaises font en général un travail extrêmement fin sur les costumes, le maquillage, la coiffure… On ne peut pas avoir la même qualité et le même rendu ailleurs, même si les conditions de tournage à l’Est se sont largement améliorées ». La Ficam est elle convaincue « de bénéficier d’un dispositif capable de faire face aux incitations de l’étranger et de leur permettre de retenir sur le territoire les plus grandes productions françaises ». Si la question d’une surenchère fiscale au sein de l’Europe peut se poser, Éric Altmayer se veut rassurant : « Elle existe déjà, notamment dans les pays de l’Est. Je sais déjà que ces nouvelles mesures françaises ont un effet très efficace car cela les rend moins compétitifs. Je pense que des tournages qui auraient été délocalisés avant vont rester en France ». D'ailleurs, Sarah Drouaud croit intimement « qu’un gros film comme Les Visiteurs 3 aurait très probablement été tourné en France si le crédit d’impôt avait déjà été modifié ».
Rendez-vous pour les Visiteurs 4.
François Léger et Vanina Arrighi de Casanova
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