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Il y a des univers dans lesquels on pénètre facilement, dont le quotidien nous est familier et les situations évidentes. Israël Horowitz est l’un des auteurs américains vivants les plus joués en France et au Festival d’Avignon, dans le Off, ses créations sont souvent très réussies. L’auteur a une manière très personnelle, cinématographique, de croquer le réel par des dialogues aux échanges brefs, qui vont à l’essentiel. « Opus Cœur » fait s’affronter deux mondes dans une improbable bicoque de Gloucester, dans le Massachussets, à l’ouest de Boston. Celui d’un vieux professeur de musicologie à la retraite, Jakob Brackish, incarné par Jean-Claude Bouillon, face à celui de Kathleen Hogan, une veuve quadragénaire embauchée par Jakob pour l’aider à tenir sa maison. Lui est à moitié sourd, scotché à son fauteuil et à Radio Classique ; elle est vive, maladroite et d’une franchise à couper le souffle, étouffant un secret et une colère qu’elle a bien du mal à dissimuler. Qui était Kathleen pour Jakob ? Quel lien avait-il avec sa mère ? Que représente Jakob, l’universitaire érudit, mélomane et fou de littérature anglaise pour une veuve de docker ayant quitté le lycée, cassée par un système académique et élitiste ? Jakob est-il vraiment sourd, et quel jeu joue-t-il ? La pièce raconte tout cela, ce choc des classes sociales et des cultures quand tout s’effondre devant une tasse de thé ou une soupe de pommes de terre. Le jeu social, les rapports de pouvoirs, la course aux récompenses et les frustrations avalées comme des couleuvres quant on nait dans une famille ouvrière et que l’ascenseur pour gravir les échelons est inaccessible. Par petites touches, en forme de perles, Horowitz dissèque les sentiments humains sans aucune démonstration ni manichéisme. Nathalie Newman incarne Kathleen de manière sidérante, elle fait véritablement vibrer son personnage comme un violoncelle, strié d’amertume et de douleurs, cassé par la vie. Face à elle, Jean-Claude Bouillon est ce monstre d’égocentrisme, attachant et malheureux, spectateur attendri de la disparition d’un monde qu’il s’est efforcé d’atteindre. Mozart, Bach et Boccherini sont les compagnons de ce très beau voyage mis en scène par Catherine Darnay avec beaucoup de grâce et d’émotion et dont l’histoire nous bouleverse.Hélène Kuttner Au Fabrik' Théâtre1 Rue du Théâtre 84000 Avignon> du 8 au 31 juillet à 12h> durée : 1h30