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L'histoire de la première bobine censurée en France mélange décapitation, scandale politique et brûlures sous les pieds... L'association Promouvoir en aurait sûrement perdu la tête.

Au vu des récentes victoires de l'association Promouvoir qui a récemment fait retirer les visas d'exploitation de La Vie d'Adèle, Antichrist et Love, on pourrait penser que la censure cinématographique est une affaire plutôt contemporaine provoquée, comme on le dit souvent, "par la banalisation de la violence et du sexe à l'écran". Pourtant, ce phénomène n'a rien de nouveau. En témoigne l'affaire de la quadruple décapitation de Béthune qui a actionné le couperet de la censure pour la première fois en France. C'était en 1909, soit quelques années seulement après la naissance du 7e art et bien avant que Gaspar Noé, Lars Von Trier et Abdellatif Kechiche ne heurtent la sensibilité d'André Bonnet et de Promouvoir avec leurs histoires d'amour filmées d'un peu trop près.

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A cette époque, le public du "cinématographe" qui commence à se lasser des tours de passe-passe de Meliès et des documentaires "moralisateurs" de Gaumont se tourne avidement vers Pathé dont les opérateurs proposent des images d'un genre nouveau : du sexe et de la violence moins pudiques mais aussi des reconstitutions d'exécutions capitales. Un créneau très rentable pour les opérateurs de la compagnie qui profitent de l'exécution de quatre criminels de la bande à Pollet (condamnés pour de multiples assassinats et vols à travers la région Nord Pas de Calais) pour marquer un coup d'éclat : filmer une scène de décapitation réelle pour faire frissonner leurs fidèles spectateurs. Particulièrement craints par la population (les membres de la bande à Pollet brûlaient les pieds de leurs victimes pour qu'elles révèlent la cachette de leurs magots) ces criminels étaient au coeur de l'actualité et leur éxécution était attendue comme un événement choc, analyse l'historien Albert Montagne (auteur du livre Histoire juridique des interdits cinématographiques en France (1909-2001)) qui décrit tout ceçi avec une précision chirurgicale :

« Le 10 janvier 1909, la nouvelle se répand donc comme une traînée de poudre et la foule se rend dans la nuit au lieu d’exécution. Déjà, au lever du jour, on compte non seulement une incroyable foule de Français mais aussi de touristes étrangers (anglais, allemands, suisses, luxembourgeois …) attirés par l’odeur du sang et par la vision horrifique et fracassante de têtes qui tombent et de corps qui se séparent."  (voir toute la description ici.) En immortalisant l'instant, les opérateurs de Pathé actualités n'ont pas simplement tourné le loitain ancêtre de Saw, ils ont fait tourner la tête d'un certain Georges Clémenceau, alors ministre de l'intérieur, qui a donné à ses ministres la consigne d'interdire la diffusion de ces images macabres.

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"J'estime qu'il est indispensable d'interdire radicalement tous spectacles cinématographiques publics de ce genre susceptibles de provoquer manifestations troublant l'ordre et la tranquillité publics." Peut-on lire sur le télégramme envoyé à tous les préfets du pays qui s'appliqueront à chasser les têtes des 4 suppliciés loin des salles obscures (aujourd'hui encore, la bobine reste introuvable). La censure cinématographique vient de naître et à partir de cette initiative, une commission "chargée d'étudier les meilleures conditions de réglementation et de perfectionnement du cinématographe" sera mise en place en 1916 avant de devenir la commission de classification des oeuvres cinématographiques du CNC (beaucoup moins expéditive) que l'on connaît aujourd'hui.