Et si Paul W.S. Anderson venait d'assassiner Dumas ? Analyse avec un spécialiste de l'oeuvre et du cinéma.Nous avons emmené Claude Aziza voir Les Trois mousquetaires 3D de Paul W.S. Anderson. Latiniste distingué, ancien prof à la Sorbonne de littérature latine (Aziza, pas Anderson), grand cinéphile spécialiste du péplum - genre sur lequel il a écrit de nombreux ouvrages - il est également vice-président de la Société des Amis d'Alexandre Dumas. Autant dire qu'il était plus que légitime pour parler du film (avant la projection, il nous avouera : "dans la presse cinéma, je ne lis plus que Mad Movies"). Et son constat est sans appelPropos recueillis par Sylvestre Picard.Claude, votre verdict, à chaud.Si ça ne s'appelait pas Les Trois mousquetaires, je trouverais ça très amusant. En tant qu'adaptation des romans de Dumas, c'est nul. Ici, tous les ressorts de la fiction de Dumas - et de l'action en général - sont cassés et remplacés par des gadgets. Mon ami Philippe Turlure, qui est chef décorateur du film [NDLR : et de beaucoup d'autres films, du Dernier tango à Paris en passant par La Neuvième porte], m'avait prévenu de la présence de ballons dirigeables. Plutôt des zeppelins, d'ailleurs. Comment ils se déplacent ?Oh, on n'en est plus là. Ils ont des espèces de voiles.Le vaisseau volant, c'est grotesque. J'avais l'impression de voir Independence Day. Il y a aussi des lance-flammes, des mitrailleuses... C'est aberrant. En même temps, il y a des choses qui relèvent du film de kung fu, comme les arbalètes du ninja au début. Mais l'une des pires scènes, c'est Aramis qui verbalise la jument de d'Artagnan.Oui, il lui met un PV, comme une contractuelle.C'est vraiment une daube, une connerie. Il n'y a pas d'autres mots... Et ce n'est pas le seul anachronisme, à un moment Athos parle de "coupes budgétaires". Et c'est quoi, cette scène d'ouverture où ils volent les plans des vaisseaux volants de Léonard de Vinci ? On ne sait pas ce qu'ils font, ce sont des agents secrets ? Ca m'a fait penser aux délires comme dans L'Homme au masque de fer, avec Leonardo DiCaprio.Encore un très mauvais film.Oui, mais Gabriel Byrne est un excellent d'Artagnan. Au fond, j'ai l'impression qu'Anderson a tout mélangé. Il a fait sa bouillie. Les secrets de de Vinci rappellent  Da Vinci Code. Le premier passage piégé, c'est Indiana Jones. Le second passage piégé, c'est Topkapi ou Haute voltige. Au final, ça donne une espèce de florilège de tout ce qu'on a vu ces dernières années, auquel on a donné le nom de Dumas, parce que ça attire les gens, parce qu'il y a deux-trois trucs du roman. Je préfère à la limite D'Artagnan de Peter Hyams avec Justin Chambers.Ah là, vous êtes dur. Celui-ci est sacrément mauvais. Il y a même Jean-Pierre Castaldi.Bon, il est bradé partout, j'ai vu le DVD vendu neuf 2€ tout à l'heure. Mais il était plus cohérent que celui qu'on vient de voir.Et la 3D ?Ca n'ajoute pas grand-chose. Je retirais les lunettes lors des plans larges. Et le film est très bruyant. Globalement, dans ce film, il y a des choses qui relèvent du hasard et qui tombent bien, d'autres qui proviennent de sa volonté et qui tombent mal. Je pense qu'il aurait dû faire ce film les yeux fermés.C'est peut-être le cas. Qu'est-ce qui fait une bonne adaptation, alors ?Il faudrait un angle original, plus respecteux du roman. Je trouve qu'on se trompe sur Les Trois mousquetaires. Dumas a écrit le roman à quarante-deux ans : ce n'est pas une oeuvre pour la jeunesse. C'est un livre sur les regrets, beaucoup plus mature que l'on ne croit. Dumas écrit sur la nostalgie de sa jeunesse romantique, avec Hugo, Vigny, Gautier, Nerval... Ce sont eux, les héros des Trois mousquetaires. Si cela se passe lors du règne de Louis XIII, c'est que, pour les romantiques, c'est le dernier moment de liberté avant l'absolutisme de Louis XIV. C'est un fantasme total. Dans Dumas, il y a une lecture de l'Histoire qui est fausse. Comme au cinéma.Alors comment peut-on trahir Dumas, puisque lui-même trahissait l'Histoire ?On attribue une phrase à Dumas : "on peut violer l'Histoire, à condition de lui faire de beaux enfants." Ce n'est pas de lui. Dumas n'a jamais violé aucune femme. Il en avait déjà trop sur les bras. Mais on s'égare. Ce qu'il a dit : "l'Histoire est un clou auquel j'attache mes romans." Dumas, c'est un autodidacte. Il connaît mal le latin - ce qui signifie qu'il en sait plus qu'un agrégé de lettres clasiques aujourd'hui. A son époque, l'Histoire est extrêmement ennuyeuse, on l'apprend dans des manuels poussiéreux. Son projet, c'est de faire découvrir l'Histoire aux Français. Et ça marche. Max Gallo me disait encore l'autre jour qu'il avait appris l'Histoire chez Dumas. Nous avons tous appris l'Histoire chez Dumas, qu'on soit de droite ou de gauche.Et avec Les Trois mousquetaires de Paul W.S. Anderson, on apprend quoi ?Rien. Ce qu'on peut demander à un réalisateur, c'est de faire un film cohérent. Ils n'auraient pas dû mettre "d'après le roman" mais "librement inspiré du roman" dans le générique. Ou au moins changer le titre, comme le magnifique Milady et les mousquetaires de l'italien Vittorio Cottafavi (1952). Et on oublie plein de passages excellents du roman : le siège de la Rochelle, d'Artagnan qui couche avec Milady...A quoi ressemblerait votre film rêvé sur les Mousquetaires ?Il faudrait faire un film grave, nostalgique. A force de considérer le livre comme un roman léger qui va de soi, on ne l'analyse jamais. Pour en revenir à notre film, le réalisateur a-t-il seulement lu le roman ? De toutes façons, on ne peut pas tout mettre dans un film. En ce moment, je regarde l'intégrale de The Mentalist, je trouve ça formidable... En fait, il faudrait faire une série télé sur les mousquetaires. Comment voulez-vous mettre toute la richesse du roman dans un film ?Avec du talent ?Par exemple, oui. Mais il ne faut pas trop accabler ce film. Il s'inscrit dans toute une série de films qui trahissent l'oeuvre de Dumas. Dans le roman, d'Artagnan n'est pas très sympathique. Il évite les duels. Le héros de cape et d'épée qui se bat en duel, c'est Lagardère dans Le Bossu ou Le Capitaine Fracasse... Mais les mousquetaires ne sont pas des acharnés du duel. Fonder une adaptation des mousquetaires sur les duels, c'est une trahison. Spectaculaire, mais grotesque.Pour vous, quelle est la meilleure adaptation du roman ?A mes yeux, la meilleure, c'est le film de George Sidney avec Gene Kelly. Et pourtant, elle date de 1948. Et pourtant, c'est très édulcoré, à cause du Code Hays.Et la pire ?Le téléfilm Milady de Josée Dayan, avec Arielle Dombasle et Florent Pagny, qui fait de Milady une sorcière, est spécialement nul.Et sinon, les acteurs vous ont plu ?En fait, oui, sauf Milady, dont le rôle est vidé de son sens. Indépendamment du scénario, ils se tiennent tous, surtout Aramis (Luke Evans), très fidèle au roman. Christoph Waltz dans le rôle de Richelieu me fait penser à celui qu'on voyait dans une adaptation porno des Trois mousquetaires, particulièrement réjouissante. Une espèce de cardinal vicieux qui se faisait violer par Constance Bonacieux. Je vous retrouverai le titre à l'occasion.Avec plaisir.