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L'alcool,  le western, l'Irlande et Nietzsche : l'interview de Brendan Gleeson qui nous raconte ce que ça fait de jouer un flic alcoolo et raciste.L'Irlandais, réalisé par John Michael McDonagh, sort aujourd'hui dans les salles françaises. Le film trace le portrait de Gerry Boyle, flic prétendument raciste ("Je suis irlandais, le racisme est dans ma culture"), qui siffle pinte sur pinte, prend des acides pendant le service et doit supporter un agent du FBI (Don Cheadle) venu enquêter sur un trafic de drogue.Comédie grinçante, mélangeant le film noir et le néo-western, L'Irlandais repose sur les massives épaules de Brendan Gleeson, légendaire irishman du cinéma - du Hamish de Braveheart au Maugrey Fol Oeil de la saga Harry Potter - et qui, à l'instar de son personnage de Gerry, cache sous son apparence de géant celtique une verve tranquille. La preuve.Propos recueillis par Sylvestre Picard. La tagline française du film décrit votre personnage comme "bougon, fainéant, alcoolique : voici le meilleur flic d'Irlande." Ca fait envie...C'est amusant de jouer un personnage qui est insultant par ennui. Son alcoolisme est compliqué : il boit beaucoup, mais par désespoir. C'est un alcoolique, mais un alcoolique solitaire, comme beaucoup de gens. L'une de mes scènes préférées du film, c'est quand on le voit boire seul après la mort de sa mère et que Don Cheadle le rejoint pour le saluer, pour essayer de rompre la glace. Mais Gerry reste tout seul dans son bar minable avec sa pinte de bière et son verre de whisky.Il y a des références culturelles explicites dans le film : sa mère lui parle de Dostoïevski, il dit préférer Gogol.Je crois que ça sert surtout à montrer que Gerry cache des choses derrière son apparence. C'est le gars le plus intelligent du village, mais il se fait passer pour un crétin. Il se cache derrière une apparence d'idiot du village... Il y a dans le film cette phrase de Nietzsche : "Tu ne feras pas crier à la foule "Hosanna !" tant que tu ne seras pas entré en ville monté sur un âne." Ca résume bien le personnage, même si cette citation sort de la bouche d'un gangster. Je crois que ça énerve McDonagh, le réalisateur, quand on dit que les criminels n'ouvrent jamais un livre (rires).Le personnage se décrit comme "le dernier des indépendants". Ca sonne comme un titre de John Wayne.C'est vrai, L'Irlandais est un western : tout le côté "arrière-pays", la fusillade finale, la musique... Vous avez parlé de Gogol et Dostoïevski comme de "références culturelles". Il n'y a pas que ça : les films servent aussi de référence culturelle. J'imagine que mon personnage a été bercé par les westerns dans son enfance, sa mère a dû l'élever seule, et les westerns lui ont servi de substitut paternel. Ils lui ont donné une drôle de façon de concevoir la virilité. Son but dans la vie doit être de se refaire Le Train sifflera trois fois, avec Gary Cooper seul contre tous. Je crois que devenir flic, c'est une façon de se mettre à l'épreuve, de savoir de quel métal on est fait -et cette image de la virilité, ce sont les westerns américains qui l'ont diffusée.Vous pensez que la virilité est un idéalisme ?Je crois que la virilité est quelque chose de beacoup plus complexe. L'idéalisme, dans un monde où tout devient flou, c'est de transformer les épreuves, de les réduire en de simples oppositions du bien contre le mal. Malheureusement, le monde n'est pas en noir et blanc.Finalement, L'Irlandais raconte quoi sur L'Irlande d'aujourd'hui ?Le réalisateur, John Michael McDonagh serait mieux placé que moi pour parler du message poltique du film. S'il y en a un d'ailleurs, car John Michael est, politiquement, plus un anarchiste qu'autre chose. L'Irlande est un pays intéressant, dans le sens où on est dans un "entre-deux". On est européens, mais sans l'être. On est américanisés, mais on ne veut pas vraiment l'être. Il y a tout un débat depuis dix ans en Irlande, où Mary Harney, le leader du parti des Démocrates progressistes (NDLR : parti libéral irlandais, orienté centre-droit), a déclaré que l'Irlande devait être "plus proche de Boston que de Berlin", soit plus américain qu'européen, surtout économiquement. De toute façon, tout le monde occidental est américanisé... Au fond, ce que nous apprend le film, via le personnage de Gerry Boyle, c'est qu'il faut être content d'être soi-même.Bande-annonce de L'Irlandais, qui sort en salles aujourd'hui :