On ne vous imagine pas travailler pour des gens en costume. Vous avez déjà envisagé de faire un film produit par un studio ?Vous voulez dire, est-ce que je pourrais faire Borgman pour un studio américain ?Par exempleJe ne crois pas non ! Je suis très indépendant. Mon producteur est mon propre frère. Nous nous faisons totalement confiance, et ne recevons aucune influence extérieure. Personne ne vient nous demander de prendre tel ou tel acteur ou de changer l’histoire. Je ne pourrais pas travailler autrement. Pourquoi le ferais-je ?Pour des raisons financières. N’est-ce pas difficile de financer ce genre de projet ?Mon frère est actuellement sur la route pour financer mon prochain. Le processus est toujours le même : on sollicite le fonds de soutien hollandais, une chaîne de télé, des investisseurs privés, et aussi Eurimages et un ou deux coproducteurs. A chaque fois, il finit par rassembler la somme nécessaire, qui tourne autour de 2,5 à 3 M d’€.C’est donc une affaire de familleEn plus de mon frère producteur, il y en a un autre qui compose la musique, et ma femme qui joue et s’occupe du casting.De tous vos films, Borgman semble l’un des plus singuliers, vous êtes d’accord ?D’une certaine façon oui, il est différent, même si Les habitants était déjà très différent de La robe. Mais celui-ci contient le plus d’interrogations, et le moins de réponses immédiates. Je l’ai écrit comme un poème, je me suis senti libre de ne pas tout dévoiler. Le script était plus explicite, mais nous avons choisi d’élaguer le plus possible au montage.On a l’impression d’un conte. Comment les idées sont-elles arrivées sur la page ?C’est un miracle en fait. J’ai commencé avec l’idée d’un film plus horrifique, je me suis documenté sur les films d’horreur et je me suis rendu compte que ça ne me correspondait pas vraiment. J’en ai conservé quelques éléments et j’ai commencé à écrire. Je me suis trouvé parfois devant des impasses, mais une chose en amenant une autre, j’ai fini par rendre un premier jet. C’est là que commence la véritable écriture, avec la recomposition des éléments. Avant de tourner, on commence déjà à jeter certaines scènes, et on continue au montage. C’est sur ce film que j’ai fait le plus de coupes. J’ai un très bon monteur et nous n’avons pas de problème d’ego, nous faisons tout ce que nous voulons. Nous avons organisé beaucoup de projections pour des personnes de confiance. Nous avons beaucoup jeté, notamment beaucoup d’humour qui neutralisait le film.Plus qu’à des films d’horreur, on pense à Théorème de Pasolini, ou encore à Bunuel. Vous aviez ça en tête ?C’est une vieille histoire. Théorème, je l’ai vu il y a des années et j’ai arrêté au bout de 50 minutes. Trop ennuyeux. Non, je n’y ai pas pensé. Un journaliste spécialisé dans l’horreur m’a dit que Borgman se raccroche au sous-genre « home invasion ». Mais un journaliste canadien l’a contredit, arguant que le personnage est invité dans la maison, après avoir été tabassé. Donc le journaliste a qualifié le film de « home invitation ».C’est vrai, il n’y a pas de réaction de la part de la famille. Il entre comme un vampire.Oui. La mère de famille le fait entrer.Un autre élément de conte vient de ce qui arrive aux enfants, ça rappelle…Le joueur de flûte de Hamelin ! Mais je m’en suis rendu compte une fois le film fini. Evidemment, je connais le conte. Beaucoup d’éléments dans le film évoquent des choses aux spectateurs, mais on n’est pas toujours conscient de ses influences. Je suis content de ne pas y faire attention en cours d’écriture, sinon je ne produirais rien. J’aime être innocent.Normalement, on devrait s’identifier aux membres de la famille, en tant que victimes d’une agression, mais étrangement, on est plutôt du côté de l’envahisseur. Ca va à l’encontre des conventions habituelles du cinéma…Oui, mais ça a à voir avec mon innocence. Parce que je ne détermine pas à l’avance à qui la sympathie du public doit aller. Je ne pense pas en ces termes. Il y a des années, j’ai acheté un livre sur comment écrire un scénario à la façon hollywoodienne, avec des règles et des contraintes façon bible. Le problème quand j’établis des plans de ce genre, c’est que je ne peux plus écrire. Déjà avec mon premier film, les gens me disaient qu’ils ne savaient pas avec qui sympathiser. Ce n’est pas un problème. Je me suis rendu compte dans Borgman qu’il était impossible de détester ces gens. On est toujours avec eux, même s’ils ont tué les parents et kidnappé les enfants.Mais on ne sait pas s’ils sont des hommes, ou des anges, ou des extraterrestres…Non, mais au début, il y a une citation de la bible qui est en fait le synopsis du film. C’est une phrase que je voulais garder en mémoire pendant l’écriture. Mon frère m’a dit « mets-la en exergue du film ». Je n’étais pas chaud, parce que ça pouvait tout expliquer. On a fait des projections test, et je me suis rendu compte que tout le monde l’oubliait. Mais ça donne une légère indication.C’était la première fois depuis des décennies qu’un film hollandais était montré à Cannes… Comment l’expliquez-vous ?38 ans ! Mais nous parlons de la compétition, autrement il y a eu des films dans les sections parallèles. Moi-même j’ai été sélectionné à Un certain regard pour Little Tony. Je ne suis pas un spécialiste du cinéma hollandais, mais j’ai l’impression qu’on n’y trouve jamais rien d’intéressant. Ce sont toujours des adaptations de best sellers vite faits mal faits, parfois bien faits mais sans plus. Ou alors des films très « auteur » dans un sens un peu négatif, parce qu’ils s’adressent à un public très réduit et confidentiel. C’est bien que ces films existent, mais je crois en toute modestie que les miens sont un peu au milieu. Ce sont des films d’auteur, mais ils ont un pouvoir d’attraction qui va dans un sens un peu commercial.Borgman a aussi été sélectionné pour représenter la Hollande aux Oscars. Qu’en pensez-vous ?Pas grand chose. Je crois qu’il a peu de chances d’obtenir un prix parce que ce n’est pas le genre de grand drame chaleureux qui plaît à Hollywood, avec une leçon lancée à l’humanité. Mais je crois qu’il est immoral d’attendre un prix. Il ne faut jamais demander un compliment. Je n’irai pas car je suis retenu par une pièce de théâtre qui est plus importante. Cela dit je pense à tous les gens qui ont travaillé sur le film, ainsi qu’au fonds de financement, et un prix pour eux serait important. En fait, vous tournez assez régulièrement, même si on ne voit pas tous vos films en France. C’est difficile de garder le rythme ?Oui, mais c’est une difficulté que j’ai créée moi-même parce que je me consacre aussi au théâtre. En fait c’est mon activité principale, mon gagne-pain. Il me garantit aussi ma liberté. Beaucoup de réalisateurs font des ménages en tournant des publicités. Ils deviennent accro au confort que leur procure cette activité et ne se donnent plus le temps d’écrire de bons scripts. J’ai consacré 7 mois à l’écriture de mon prochain film. J’espère le tourner au début de l’été prochain. Mais plus je vieillis, et plus je suis occupé. J’ai le sentiment que je dois me dépêcher avant de mourir !Interview Gérard DelormeBorgman sort aujourd'hui dans les salles :
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