5 films à voir avant 12 years A Slave
La Couleur des sentiments
Steve McQueen a dégraissé son film de toute sentimentalité, c'est ce qui fait la viscéralité, la puissance physique de <em>12 Years A Slave</em>. Tout le contraire du film de Tate Taylor qui se lovait dans la guimauve et les bons sentiments. Dans la catégorie «le racisme, c?est pas bien», <em>La Couleur des sentiments</em> était l?adaptation du carton de librairie publié en 2009, The Help, de Kathryn Stockett. Quel rapport entre cette fresque qui mettait aux prises les riches blancs et leurs domestiques pauvres et noirs dans le Mississippi de la ségrégation et le brûlot de McQueen ? Aucun si ce n?est que c?est le succès inattendu du film de Taylor qui a relancé la «mode» des films sur les blacks à Hollywood. Avec plus de 200 millions de dollars dans le monde, 4 nomination aux Oscars 2012 (Octavia Spencer repartait même avec le prix de la meilleure actrice dans un second rôle), ce film est devenu un phénomène de société permettant le financement du Majordome, de 12 Years A Slave et la renaissance d?un cinéma noir beaucoup plus acéré et engagé.
Hunger de Steve McQueen
12 Years A Slave partage un acteur (Fassbender) et beaucoup de thèmes avec Shame, le précédent film de Steve McQueen. Notamment parce que l?odyssée de Solomon Northup est un voyage de solitude, et une histoire où les pulsions de mort, de sexe et de pouvoir entament une danse macabre? Mais il y a dans Hunger, premier film du cinéaste où s'affiche déjà son obsession pour la souffrance physique et morale. <em>12 Years</em> raconte le voyage d?un homme noir libre en esclavage. Il va connaître le fouet dans sa chair, les humiliations à répétition, le besoin éperdu de survivre coûte que coûte, et la haine de soi qui va avec, avant de pouvoir retrouver sa liberté. Ce parcours fait écho à celui de Bobby Sands, prisonnier politique en Ulster qui, incarcéré, va continuer de protester, refuser de porter l?uniforme de prisonnier, puis de se laver, s?enlisant dans sa merde avant d?entamer une grève de la faim. La déliquescence de Bobby Sands, c?est celle de Northup qui, même s?il doit se débarrasser de son ancienne identité (cacher qu?il sait lire et écrire, changer de nom, oublier les siens), refuse d?abdiquer complètement. Sands, c?est Jésus, son peuple, et l?addition de toutes les injustices contemporaines. Un Northup irlandais ? Comme disait Jimmy Rabbite dans The Commitments : « tu n?as pas compris ? Les Irlandais sont les noirs de l?Europe ».
La Liste de Schindler
Il y a deux films dans <em>12 Years A Slave</em> : l?odyssée de Solomon Northup d?un côté, le récit de ses souffrances et de son esclavage, et un film édifiant sur les esclavagistes de l?autre. Le portrait de Edwin Epps, incarné par un Michael Fassbender sidérant, est flippant. Esclavagiste fou, qui hurle sa haine des noirs et de soi, fouette ses hommes jusqu?à l?épuisement, il incarne une figure du Mal absolu qui n'a que peu d'équivalent cinématographique. On pense pourtant à plusieurs reprises au Amon Goeth de La Liste de Schindler. Autre "méchant historique", psychopathe inquiétant, possédé, il symbolisait autant le déréglement individuel qu?un régime dégueulasse. Bloc de haine et de brutalité sadique, il partage certains traits saillants avec le Edwin Epps de McQueen. Pour Epps les noirs ne sont que des animaux, des instruments, pour Goeth les juifs ne sont que vermine. Aussi salaud soit-il Goeth n?est pourtant pas unidimensionnel : amoureux de sa servante juive, il s?enferre dans une passion qui met à mal son idéologie. Il tente de la séduire mais lorsqu?elle se refuse à lui, l?insulte et la bat sauvagement ? impossible de ne pas mettre ces séquences en parallèle avec le viol de Patsey, l?esclave noire de Epps dont il est amoureux. Fassbender expliquait récemment que « Epps n?a pas le bagage intellectuel qui lui permettrait de comprendre ses sentiments. Ca se voit bien dans la scène du viol : à un moment, il la supplie - de l?aimer ? et juste après, il la frappe. Il tente de la détruire pour détruire en même temps ses sentiments pour elle ». C?est Goeth qui ne veut pas envoyer Hélène à Auschwitz et préfère la tuer d?une balle dans la tête?
Vénus Noire
<em>12 Years A Slave</em> est un grand film sur le regard, comme tous les films de McQueen. Celui que l?on porte les uns sur les autres (c?était le sujet de <em>Shame</em>), et celui que certains portent sur les autres. Le regard des esclavagistes blancs qui examinent la dentition et la musculature des esclaves qu?ils vont acheter (superbe scène avec Paul Giamatti) ; le regard de Solomon Northup sur sa condition d?esclave, seul, parmi ses compagnons de misères, à savoir ce que le mot LIBERTE peut signifier. Tous ces regards qui exploitent, qui dégradent, et qui vont précipiter la déchéance du héros. Et puis le regard en retour des spectateurs du film de McQueen? C?était l?enjeu précis de <em>Venus Noire</em>, un film d?une violence morale inouie, un film monstre qui laissait entendre que derrière l?humanisme feutré dont on voulait l?habiller, le cinéaste de <em>L?Esquive</em> était au fond un type en colère prêt à foutre de violents coups de boules cinématographique. Comme McQueen ? En tout cas ces deux films avancent sur une corde fine et bien tendue entre l'exhibition et le voyeurisme. Et ca fait mal...
Half Slave Half Free
Steve McQueen n?est pas le premier à avoir adapté l'autobiographie de Northup. En 1984, Gordon Parks réalisait sa version du livre pour la chaîne PBS. Half Slave Half Free (ou Solomon Northup Odyssey dans son intitulé original) est un téléfilm d?une heure. Puisant à la même source, les deux films n?ont pourtant pas grand chose à voir. 12 Years a Slave est un film impressionnant, un geste de cinéma qui relève du tour de force esthétique tout en abordant de front une histoire jusqu?ici mal filmée : l?esclavagisme yankee. Taillé sur l?imaginaire 2014, le film est une claque physique et sensorielle et réussit à malaxer les obsessions du réalisateur et la vérité historique. Le film de Gordon Parks est diamétralement opposé. Half Slave Half Free ne se veut pas immersion, mais est d?abord un témoignage littéral, moral, à valeur historique. Ici, la vision de l?esclavage est souvent réduite à ses conditions socio-économiques ; Parks insiste sur les origines sociales de ses planteurs par exemple et s?embarrasse finalement moins de considérations esthétiques ou affectives.Objectif : sensibiliser plutôt que disséquerEvidemment, le budget du téléfilm de Parks n?a rien à voir avec celui de McQueen. Les décors sont en carton. Pire : les acteurs ne sont pas tous très justes et la durée (à peine 1 heure) ne permet pas au film d?avoir l?ampleur ou l?ambition de 12 Years a Slave. Pourtant au-delà de la production, là où McQueen cherche la viscéralité, le choc et violence, la version de Parks est plus lyrique et plus dialectique. On voit peu de violence à l?écran, Parks privilégie le dialogue et utilise clairement moins d?effets cinéma que McQueen. Et c?est au fond le plus surprenant : en voyant les deux versions, on découvre parfois les mêmes scènes, mais traitée de manière différente. McQueen raconte le parcours mental d?un Noir libre, intégré, qui s?en voudrait tellement d?être libre qu?il lui faudrait passer par une odyssée de souffrance, le désir de plaire aux maîtres et le besoin de survivre coûte que coûte avant de pouvoir retrouver sa liberté. Parks cherche au contraire à montrer. Raconter la dureté de l?esclavage, la tyrannie des Blancs et la quête éperdue de la dignité (avant même la liberté).
5 films à voir avant 12 years a Slave
Avant de découvrir le choc 12 years a Slave, un petit marathon de films s'impose. Histoire de bien comprendre où vous allez mettre les pieds. Moins fun que le Django de Tarantino, moins didactique et américain que le Lincoln de Spielberg, le nouveau geste de Steve McQueen est une oeuvre radicale, qui laisse le souffle court. Un film d'une violence émotionnelle, cinétique et morale qui laisse pantois. Objet théorique qui fait finalement plus penser au Vénus Noire de Kechiche, Steve McQueen colle son spectateur au plus près du héros fouetté, battu, martyrisé et donne à voir, à sentir ce qu'a pu être l'esclavage. Radical on vous dit...
Avant de vous précipiter en salles demain pour découvrir le nouveau choc de Steve McQueen, une nuit de mise en bouche vidéo s’impose pour maîtriser les éléments clefs de ce long métrage événement.
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