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On a beaucoup glosé sur le sérieux papal et le désir de monumentalité qui infusait le cinéma de Christopher Nolan à mesure que ses films se faisaient plus imposants thématiquement, plus affûtés politiquement. Revoir Memento, un script de série B ludique qui se donne des airs de vortex vertigineux, permet finalement de saisir que tout était là depuis le début. Ça ne passait pas encore par des lignes de dialogue surchargées de sens ni par des effets miroirs sur l’état de l’Amérique contemporaine, mais uniquement à travers un emballage formel massif, sombre, péremptoire.Et si la substance du cinéma de Nolan trouvait avant tout sa source dans la palette graphique de son chef op, Wally Pfister ? Ils se sont inventés conjointement, main dans la main, avec une telle proximité et une telle fidélité qu’aujourd’hui encore il est compliqué d’identifier à quoi peut tenir le style du cinéaste sans les mandarines de Pfister.Transfert d’identitéEn 2000, l’un est une vague promesse british, dont le premier long lo-fi, Following – Le Suiveur, lui a ouvert les portes du Hollywood indé. L’autre végète en éclairant des DTV, tandis que son camarade de promo, Janusz Kaminski, en est déjà à son cinquième Spielberg. Ils se rencontrent sur le tournage de Memento et vont inventer ce qui définira la patine visuelle de l’œuvre de Nolan : lumière directe, contrastes ultra-tranchés, abondance de longues focales et refus catégorique des formats numériques. Les deux outsiders vont redéfinir le cinéma « adulte » pour la décennie à venir.Derrière l’influence monstre de Gordon Willis (chef op du Parrain, amateur de noirs profonds et de dominantes ocre) et l’envie de se poser en héritier du cinéma du Nouvel Hollywood, Memento énonce la mise en place d’une imagerie qui ne déviera pas d’un iota pour ses deux auteurs en quinze ans de carrière et sept films communs, jusqu’à Interstellar et la lumière ouatée de Hoyte Van Hoytema. Ce style visuel deviendra applicable à la fois à une trilogie superhéroïque désenchantée (les Dark Night), à un thriller mental tarabiscoté (Inception), à un film noir halluciné (Insomnia) et à un duel meurtrier abracadabrant (Le Prestige), comme s’il s’agissait de couler un genre ou un sujet à l’intérieur d’une identité graphique préétablie et indiscutable.En ce sens, le duo Nolan/Pfister peut s’interpréter comme l’antithèse d’autres inséparables Hollywoodiens, Spielberg et Kaminski, dont chaque collaboration se place sous le signe d’une réinvention stylistique totale. Deux méthodes à mettre en perspective pour jauger l’idée qu’on se fait, au fond, du grand cinéma hollywoodien.   François GreletMemento en blu-ray le 1er avril Memento : le film culte de Christopher Nolan enfin en blu-ray