Wang Bing nous plonge pendant 3h30 passionnantes et éprouvantes dans le quotidien de la confection textile en Chine qui confine à l’esclavagisme
Passé maître dans l’art du documentaire au long cours, le cinéaste chinois Wang Bing fait cette année son entrée dans la compétition cannoise lui qui, en dépit d’œuvres aussi majeures qu’A la folie ou Les Trois sœurs du Yunnan, n’a étonnamment jamais été primé dans aucun des trois festivals majeurs (Cannes, Venise, Berlin). Cette fois- ci, il a choisi d’explorer le quotidien de Zhili, la cité entièrement dédiée à la confection textile, située à 150 kilomètres de Shanghai, où des jeunes garçons et filles viennent travailler jour et nuit sans relâche dans le but de s’acheter une maison, de monter leur propre atelier ou simplement d’avoir l’argent nécessaire pour fonder une famille. Un lieu qu’il avait découvert à l’occasion du tournage de son documentaire Argent amer, au cœur des années 2010. Et un matériau si riche qu’il va faire l’objet d’un triptyque dont Jeunesse constitue donc le premier volet.
Le résultat se révèle, comme à son habitude, impressionnant. Sans artifice (absence de voix- off…), Wang Bing décortique, par le regard qu’il porte sur le lieu et ceux qui y travaillent en attente d’une vie meilleure, les mécanismes implacables de l’exploitation d’une main d’œuvre en surnombre voyant chacune de ses revendications balayées par des patrons qui peuvent remplacer l’éventuel récalcitrant en un claquement de doigts. Mais la belle idée du film est de faire dialoguer cette violence des échanges façon esclavagisme des temps modernes avec l’énergie, la joie de survivre, les petites et grandes histoires d’amour de ces jeunes à peine sortis de l’adolescence. Il y a là un contraste qui bouscule l’aspect dickensien de l’œuvre, rend le film respirable et lui permet d’aller au- delà du simple constat en montrant un possible purgatoire voire un paradis dans les yeux de ceux qui vivent l’enfer
Mais par sa radicalité (le parti pris par exemple de ne donner des éléments essentiels à la meilleure compréhension du propos qu’à la toute fin du film, par exemple), Jeunesse peut aussi se révéler parfois écrasant y compris dans sa gestion de la durée où faute d’une connaissance précise du sujet antérieure à sa vision, une fois passées les deux premières heures, la dernière ligne droite paraît tout à la fois tirer en longueurs comme pouvoir durer 4 heures de plus. Un bémol qui n’empêche évidemment pas d’en faire un candidat sérieux au palmarès. De là à en faire le troisième documentaire Palmé d’Or après Le Monde du silence du Commandant Cousteau et Louis Malle en 1956 et Fahrenheit 9/11 de Michael Moore en 2004 ?
Jeunesse (Le Printemps). De Wang Bing. Durée : 3h32.
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