Dans le rôle de la romancière qui assiste au procès de la mère infanticide du premier long métrage d’Alice Diop, la comédienne suisse fait des débuts remarqués au cinéma. Rencontre
Saint Omer marque vos débuts au cinéma. Comment vous retrouvez- vous dans cette aventure ?
Kayije Kagame : Je viens en effet du théâtre et j’ai jusque là surtout joué sur scène ou dans des collaborations avec des artistes contemporains. Mais au fond, pour moi, ce sont les rencontres qui comptent et le medium importe peu. Arriver au cinéma m’a cependant pris plus de temps. Parce que je n’avais pas eu l’opportunité jusque là de faire une grande rencontre. Jusqu’au jour où le collectif afro- suisse m’invite dans un petit cinéma indépendant de Genève, le Spoutnik, à découvrir une rétrospective des documentaires d’Alice Diop puis à intervenir après la projection de La Mort de Danton. Ses films m’ont littéralement bouleversée. C’est ainsi que le dialogue a commencé entre nous deux. Et début 2018, Alice me dit qu’elle travaille sur un projet. Elle m’en a parlé et m’a présenté le personnage de cette romancière mais j’ai dû passer des essais et là, j’ai vraiment failli passer à côté du rôle
Pour quelle raison ?
Je pense qu’avoir soudain quelqu’un entre Alice et moi m’a déstabilisée. Mais il y a surtout chez moi une part de résistance. Car quand la première question me pose dès mon arrivée dans la salle est « quel a été le moment le plus traumatisant que tu as vécu dans ta vie ? », ça me bloque. Je n’ai pas envie de confier un moment aussi intime à une personne que je ne connais pas. Donc je réponds que je ne me souviens rien, je ne joue pas le jeu qui m’est demandé. Ce qui, au fond, rejoint un des questionnements au cœur de Saint Omer : est- ce que nos récits sont un jeu ? Je pense que mon personnage aurait réagi comme moi. Mais, sur le moment, quelque chose ne fonctionnait pas et j’en avais pleinement conscience. J’ai pleuré de frustration en sortant Mais j’ai eu la chance qu’Alice se convainque que c’était bien moi et me donne cette opportunité inouïe
SAINT OMER: UN FILM DE PROCES AUSSI IMPLACABLE QU'IMPRESSIONNANT [CRITIQUE]Comment vous préparez- vous au rôle ?
D’abord en s’appuyant sur le scénario. Limpide, puissant. Et en discutant sans cesse en parallèle avec Alice. Mais aussi en me préparant avec Bintou Dembélé, une chorégraphe incroyable, qui m’a appris à travailler sur la question du silence, centrale chez ce personnage à l’écoute, très taiseux et sur la tenue du corps qui participe au mystère qui l’entoure tout au long de ce procès.
Qu’est ce qu’on ressent le premier jour de tournage ?
J’étais évidemment très tendue. Et puis la personne qui est venue me chercher en voiture pour aller sur le plateau a eu la belle idée de mettre en fond sonore un album d’Oxmo Puccino. Sa musique et ses mots m’ont portée, mise dans l’ambiance. M’ont aidé à faire que je me sente chez moi sur ce plateau
Qu’est-ce-qui a été le plus complexe dans cette aventure ?
Le côté marathon de l’ensemble. Lutter contre la fatigue qui vous envahit et peut parfois vous faire craquer. Ca m’est arrivée un jour d’ailleurs et, tout de suite, Alice a couru me voir, m’a prise à part puis dans ses bras en me disant juste : « Pleure, lâche tout et ne t’inquiète pas, dors ! ». Pour moi, ce n’est pas possible, il faut enchaîner, ne pas faire perdre du temps à toute une équipe. Mais elle n’en a pas démordu : « Je vois que tes larmes ne sont pas celles de ton personnage mais les tiennes. Et moi, je ne travaille pas de cette manière, je ne suis pas une réalisatrice qui vole des choses ». Ce moment raconte la réalisatrice et la femme qu’elle est
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