Première
par Thomas Baurez
« Et puis ces déchirures à jamais dans ta peau. Comme autant de blessures et de coups de couteau. Cicatrices profondes pour Malik et Abdel. Pour nos frangins qui tombent... », chantait Renaud en 1988. Rachid Bouchareb a judicieusement placé cette chanson dans le générique de fin de ce nouveau film sur des images d’une jeunesse française dans la rue et révoltée. Malik Oussekine et Abdel Benyahia donc. Si le premier, tabassé à mort sans aucune raison par des voltigeurs en marge des manifestations contre le projet de réforme universitaire Devaquet en décembre 86, est devenu tout à la fois le symbole et le martyr d’un Etat français raciste et meurtrier, le second assassiné le même jour, a été oublié par l’Histoire. Abdel Benyahia, 20 ans, a été abattu par un flic en civil à la sortie d’un bar pour s’être interposé au milieu d’une bagarre. Le récit ambitieux de Rachid Bouchareb est de raconter en parallèle, cette double tragédie et d’en révéler à la fois leurs liens directs (délits de sale gueule, violences policières...) et leur singularité à travers le récit de l’intimité blessée de deux familles meurtries. C’est là où le film tire sa force et sort du cadre du film historique où les images d’archive – si elles sont présentes ici, elles n’inondent jamais la structure – apparaissent bien impuissantes face à la force de la narration cinématographique. Avec pudeur et retenue, Rachid Bouchareb signe un long-métrage très documenté qui rappelle que le 6 décembre 1986, c’était malheureusement hier.