George Clooney fait son retour, devant et derrière la caméra, avec Minuit dans l’univers, un survival SF visible sur Netflix. Entretien-teasing sur le cinéma, la paternité et la fin du monde, entre légèreté et Gravity.
George Clooney n’avait pas tenu l’affiche d’un long métrage depuis quatre ans. Une éternité – la durée d’un mandat présidentiel aux États-Unis. Mais il n’a pas bullé pour autant : il a réalisé un film (le très amusant et très mal-aimé Bienvenue à Suburbicon), signé plusieurs épisodes d’une minisérie pour Hulu (l’adaptation de Catch-22, le classique contre-culturel de Joseph Heller), mis en boîte deux ou trois nouveaux spots Nespresso, fait tourner la tête des chroniqueurs people en devenant enfin papa (en 2017, à 56 ans), expliqué à plusieurs reprises qu’il ne comptait pas se lancer dans la course à l’investiture démocrate…
Accessoirement, il a aussi fait fortune en revendant sa marque de tequila, Casamigos, pour la modique somme d’un milliard de dollars. Moralité ? George Clooney n’a même plus besoin de faire l’acteur pour rester une star. On a désormais l’impression qu’il fait partie du paysage depuis toujours. Quand il appelle à la maison un soir de septembre, il lance les hostilités d’un « Salut, c’est George » merveilleusement chaloupé et chaleureux, balancé de sa voix grave reconnaissable entre mille, empreint de ce flegme rigolard tellement familier. George Clooney souhaite parler à la presse de son nouveau film, Minuit dans l’univers (en VO : The Midnight Sky), adapté du livre de Lily Brooks-Dalton par Mark L. Smith, le scénariste de The Revenant : l’histoire d’un scientifique (Clooney himself) isolé au beau milieu de l’Arctique, en l’an 2049, et qui tente de prévenir l’équipage d’un vaisseau spatial piloté par Felicity Jones de ne pas revenir sur la Terre, ravagée par une catastrophe…
Un film que son metteur en scène et interprète principal décrit comme « un mélange entre The Revenant et Gravity », et qui détonne a priori dans la filmographie de l’auteur de Good Night and Good Luck et Monuments Men. Pourtant, même si ses films ont toujours eu cette délicieuse patine vintage, le cinéaste Clooney a toujours essayé de faire en sorte que ceux-ci résonnent avec la marche du monde et fonctionnent comme des commentaires sur leur époque. Pas si étonnant, donc, alors que notre planète est à l’agonie, de le retrouver aujourd’hui sur le terrain du survival post-apocalyptique.
George Clooney : Salut, c’est George. J’appelle où, exactement, là ? À Paris ? Ça y est, vous êtes déconfinés ?
Première : Oui. Et vous, où êtes-vous ? Los Angeles ?
Oui. Ici, il y a des incendies en plus de la pandémie. Et il y a deux jours, on a eu droit à un tremblement de terre, histoire qu’on soit bien sûr que c’est la fin du monde.
C’est le moment idéal pour sortir un film post-apo…
Voilà !
Vous n’avez pas été à l’affiche d’un long métrage depuis Money Monster, en 2016. Quatre ans d’absence pour un acteur, c’est énorme…
Oui, j’avoue que j’ai été un peu accaparé par l’arrivée des jumeaux… J’ai eu envie de passer du temps avec eux, en famille. Bon, cela dit, je n’ai pas fait que changer des couches, hein ! J’ai tout de même bossé pendant un an et demi sur Catch-22. Une minisérie de six épisodes, ça représente pas mal de boulot.
Mais quand même : est-ce que ça ne signifierait pas que vous n’êtes plus vraiment acteur à temps complet ? Et que seul le réalisateur George Clooney, désormais, peut convaincre l’acteur George Clooney de sortir de sa préretraite ?
(Rires.) Non, non… C’est marrant de le dire comme ça, mais c’est un peu exagéré. Il n’y a aucune volonté particulière de ma part de mettre la pédale douce. Je cherche juste de bons scénarios. Et la vérité, vous le savez peut-être, c’est que les bons scripts ne courent pas les rues… J’ai deux autres films en projet, mais leurs mises en chantier ont été ralenties ces derniers mois. Par ailleurs, la mise en scène me prend beaucoup de temps. J’ai commencé à travailler sur Minuit dans l’univers il y a plus d’un an, à l’été 2019.
Les premières images du film semblent indiquer que vous jouez avec votre récente absence des écrans. Vous portez cette grosse barbe grise, vous avez l’air, euh, différent…
(Il coupe.) Vous êtes en train de me dire que j’ai l’air vieux ? (Rires.)
Oui, voilà !
Écoutez, il se trouve que je vais bientôt avoir 60 ans, et que c’est un rôle que je comprenais. Je sentais que je pouvais le jouer. Honnêtement, il n’y a pas beaucoup d’acteurs à Hollywood qui seraient taillés pour ce rôle. Des comédiens qui peuvent porter un film à gros budget sur leurs épaules, oui, il y en a, mais dans cette tranche d’âge? Pas tant que ça. L’homme que j’interprète cherche une forme de rédemption, et je dois dire que je trouve ce genre de personnages passionnant. Il y en a plusieurs dans ma filmographie : Michael Clayton, Syriana… J’ai joué plusieurs variations de cet archétype.
C’est le film d’un homme qui se pose des questions sur la paternité, non ?
Bien sûr ! Je me pose des tas de questions à ce sujet. En vieillissant, on commence à s’interroger sur la façon dont on a mené sa vie. Alors qu’avant, je m’intéressais surtout à la manière dont je menais ma carrière. Est-ce que je fais les bons choix ? Comment se souviendra-t-on de moi ? Des questions qui paraissent franchement dérisoires avec l’âge. Je ne m’en rends peut-être compte que tardivement, mais il faut dire que j’ai percé tard en tant qu’acteur, la trentaine passée. Soudain, je me retrouve face à ces deux individus et je me demande ce que je vais leur laisser. Dans un monde, qui plus est, de plus en plus difficile chaque jour.
Ce moment où la vie devient plus importante que la carrière, c’est donc la naissance de vos enfants ? Ou est-ce qu’il y a également une expérience artistique qui vous a fait voir les choses différemment ?
Vous savez, je fais ce métier depuis un moment. J’ai fait cent heures de télévision, à peu près autant d’heures de cinéma, sinon plus… J’ai été traité gentiment, salué pour certains films, conspué pour d’autres, et toutes ces expériences, d’une manière ou d’une autre, se sont révélées bénéfiques. Mais à l’arrivée, il y a cette réalité : tu rentres à la maison où tes enfants t’attendent et demandent : « Qu’est-ce qu’on mange ? » Avec Amal [sa femme, l’avocate Amal Clooney], j’ai d’autres intérêts dans la vie que le cinéma. 30 à 40 % de mon temps sont consacrés à notre fondation (la Fondation Clooney pour la justice), ou à d’autres combats que nous menons et qui nous permettent de réfléchir au mal que se font les êtres humains entre eux, ou qu’ils infligent à la planète. Autant de questions qui sont traitées dans le film, j’ai l’impression.
L’impulsion politique est toujours essentielle dans le choix des films que vous mettez en scène, non ?
Hum… pas forcément. Les Marches du pouvoir, clairement, réfléchissait à la façon dont sont élus nos représentants. Mais j’en ai fait certains juste pour le fun : Monuments Men était une variation sur ces films de Seconde Guerre mondiale qu’on aime tous, Jeux de dupes, sur les vieux films de sport. Tous les deux se sont fait descendre par les critiques, d’ailleurs, même si Monuments Men a bien marché… Minuit dans l’univers, c’est de la science-fiction, mais avec très peu de fiction. Encore moins de fiction aujourd’hui que quand on a commencé à travailler dessus. Il n’y avait pas de pandémie à ce moment-là, la Côte Ouest n’était pas en feu, les choses dont nous parlions étaient plus hypothétiques… Je ne prétends pas pour autant être Nostradamus. Au fond, on n’est pas si éloignés dans l’esprit de ces films des années 60 qui nous alertaient sur l’imminence d’une catastrophe. Ce qui est triste, c’est que ces thèmes sont plus que jamais d’actualité.
L’idée de tourner un film pour Netflix, ça provoquait quels sentiments chez vous ?
Soyons clairs : ce film est fait pour être vu sur un grand écran! On a tourné en 65 mm, il est conçu pour être projeté dans des salles IMAX. Netflix possédait le projet, ils m’ont contacté pour savoir si ça m’intéressait, et ça m’a séduit car c’était différent de tout ce que j’avais pu faire jusqu’à présent. J’étais aux côtés d’Alfonso [Cuarón] pendant qu’il tournait Gravity, donc je voyais déjà un peu comment réaliser les scènes dans l’espace. La dimension « survival dans la neige » me séduisait aussi. Après, que le film soit sur Netflix… Je ne me pose pas trop de questions sur le mode de distribution. L’essentiel est de savoir que le film pourra aussi être vu en salles. Il finira de toute façon par être disponible en streaming à un moment ou un autre, tous les films le sont, c’est juste une question de timing. Bon, là, il se trouve que ça va être difficile de sortir Minuit dans l’univers au cinéma, mais c’est à cause du coronavirus !
Vous évoquez Alfonso Cuarón… Concrètement, de quelle manière votre expérience sur Gravity a-t-elle influencé ce film-ci ?
C’est marrant, parce que j’ai envoyé mon film à Alfonso il y a quelques semaines… C’est un ami, mais il n’est pas tendre du tout quand il est question de cinéma. Il prend ça très au sérieux et je flippais parce que je savais qu’il n’allait pas prendre de gants ! (Rires.) Le tournage de Gravity, c’était il y a presque dix ans maintenant. On inventait pour ce film une technologie qui n’existait pas encore. Elle continuait d’être mise au point pendant qu’on tournait ! L’une des raisons pour lesquelles Gravity fonctionne si bien, c’est qu’Alfonso a compris que dans l’espace, il n’y a pas de haut ni de bas, pas de nord, de sud, d’est ou d’ouest. Il n’y a pas de ligne d’horizon. La caméra ou le set étaient constamment en mouvement. Et c’est quelque chose qui nous a beaucoup influencés pour les séquences spatiales de Minuit dans l’univers. Cette idée de tournoiement, de rotation sans fin… Bon, après, il faut l’utiliser avec suffisamment d’intelligence pour ne pas donner envie à tout le monde de vomir !
C’est le septième film que vous réalisez, quel regard portez-vous sur votre carrière de cinéaste ? Vous avez le sentiment d’avoir accompli ce que vous souhaitiez accomplir ?
Oui, j’avoue que je suis plutôt satisfait… À vrai dire, à l’époque, je pensais que Confessions d’un homme dangereux serait mon seul et unique film, donc je trouve que je m’en suis pas mal sorti! (Rires.) J’ai été applaudi pour certains films, comme Confessions… et Good Night and Good Luck, allumé pour d’autres, comme Bienvenue à Suburbicon… Mais tous mes cinéastes préférés, de toute façon, ont connu des bides ou des coups durs au cours de leur carrière. Tu n’apprends rien si tu ne rencontres que des succès. On apprend en se plantant, en expérimentant, en essayant de nouvelles choses. Minuit dans l’univers, j’ai eu le sentiment que je pouvais le faire, même si c’est un territoire inconnu pour moi. Quelque chose de plus contemplatif, calme, méditatif… Une nouvelle étape. J’en suis immensément fier.
Comment expliquez-vous que Bienvenue à Suburbicon ait reçu si peu d’amour ?
On s’est fait massacrer, vous voulez dire ! Le film a été mal compris, il est sorti au beau milieu d’un débat sur les relations raciales en Amérique – un débat essentiel, par ailleurs – et le film a été jaugé à l’aune de ces questions-là. Or, pour moi, le vrai sujet de Suburbicon, c’était plutôt l’immigration, cette idée que les immigrés finissent inévitablement par devenir des boucs émissaires. J’ai fait exactement le film que je voulais faire, mais parfois tu rates ta cible, le message se perd en chemin… Il ne faut pas laisser ce genre de choses t’abattre, mais au contraire, continuer de faire ce en quoi tu crois.
Vous estimez être suffisamment pris au sérieux en tant que metteur en scène? Ou est-ce que, aux yeux de certains, vous êtes encore un acteur qui réalise des films à l’occasion ?
Je crois que les choses se sont stabilisées assez tôt, au moment de ma nomination à l’Oscar du meilleur réalisateur pour Good Night and Good Luck. C’était un film complexe, sur un sujet délicat… J’ai l’impression qu’à partir de ce film-là, les gens ont estimé que j’étais capable de faire les deux, jouer la comédie et mettre en scène. Je reçois à peu près une centaine de propositions de réalisation par an, vous savez, environ deux par semaine… Mais encore une fois : il n’y a pas tant de bons scripts que ça en circulation. Quand tu décides de réaliser un film, tu sais que tu vas y consacrer un an et demi de ta vie. Il faut être habité par son sujet. Je ne réalise pas des films juste parce que je cherche un prétexte pour sortir de chez moi.
Avant qu’on se quitte… Vous avez suivi les annonces de casting autour de The Flash ? Il semblerait que Michael Keaton et Ben Affleck aient tous les deux signé pour reprendre le rôle de Batman dans le film d’Andy Muschietti…
Ah oui ? Ça fait beaucoup de Batman… Mais bon, vous savez bien que je suis le dernier de la liste !
Mais est-ce que quelqu’un, un jour, pourrait vous convaincre de rejouer Batman ?
Franchement, je ne crois pas que quiconque ait envie de voir ça… Pas moi en tout cas ! J’ai réussi à mener une carrière décente sans avoir à renfiler ce stupide costume à tétons, donc je vais nous épargner ça. Les autres gars le feront bien mieux que moi. Michael Keaton et Ben Affleck ont eu beaucoup de succès avec leur Batman, donc ils ont raison de refaire un tour de piste. C’est cool. Moi, je crois que je suis le seul à avoir fait un flop avec ce personnage, donc je vais continuer de m’en tenir le plus loin possible. Pour le bien de tout le monde !
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