Un film d’une puissance folle sur l’intolérance, qui fait réellement trembler.
Représentant à peu près unique du cinéma guatémaltèque, Jayro Bustamante s’est fait remarquer avec son premier long métrage, Ixcanul, portrait d’une jeune femme maya prisonnière des us et coutumes de sa communauté, qui impressionnait par sa sécheresse thématique et son panthéisme lyrique. Les ombres tutélaires des mexicains Carlos Reygadas (Lumiere silencieuse, Post Tenebras Lux) et Amat Escalante (Heli, La région sauvage) planaient au-dessus de ce premier film coup de poing, révélant en Bustamante un sacré tempérament de cinéaste. La première séquence de Tremblements confirme l’impression de sidération laissée par Ixcanul. Pendant quinze minutes, la caméra colle aux basques d’un homme, d’abord dans sa voiture, puis dans une immense propriété bourgeoise battue par la pluie ou l’attendent les membres de sa famille, totalement défaits, comme endeuillés. Petit à petit, on comprend que l’homme, désormais en pleurs, est coupable de quelque chose de terrible. Mais de quoi ? Tour à tour, sa mère, sa sœur, son beau-frère et son père viennent tantôt le réconforter, tantôt le faire culpabiliser. Son épouse et ses enfants restent de leur côté en retrait ; les domestiques sont fuyants. Des soupçons de meurtre, de pédophilie viennent à l’esprit du spectateur, d’autant plus fasciné par ce spectacle tragique qu’il n’y comprend rien. La vérité, on l’apprendra ensuite, est tout autre : Pablo, fils de la bonne société guatémaltèque, père de famille modèle, mène bien plus simplement une relation extra-conjugale avec un… homme. Percé à jour par son intransigeante famille, il devra choisir son camp, c’est-à-dire vivre en paria, mais en accord avec lui-même, ou respecter les règles imposées par la morale et par la religion pour conserver sa position -et accessoirement son haut niveau de vie qu’une procédure de divorce mettrait largement à mal.
Tourments intérieurs
On le voit, le jeune réalisateur (42 ans, le 10 mai) creuse la thématique de l’enfermement à l’œuvre dans Ixcanul à l’aide d’une mise en scène chirurgicale, dépourvue d’affect, qui accule, elle aussi, Pablo dans ses retranchements. Filmé le plus souvent en gros plans qui l’isolent dans le cadre, le charismatique Juan Pablo Olyslager, troublant sosie avec sa barbe poivre et sel de Mel Gibson (hasard ?), traduit à la perfection les tourments intérieurs qui agitent son personnage, incapable d’abandonner son amant tout en acceptant de suivre une thérapie de reconversion dispensée par sa paroisse évangélique. Comme dans le récent Boy erased.
Tous pourris
Bustamante n’est cependant pas Joel Edgerton : il ne prend pas de pincettes avec son sujet. Ici, pas de maman protectrice pour adoucir le trait ni de gourou affichant le début d’une quelconque faiblesse. Tous les personnages secondaires (à part l’amant bienveillant à qui l’on doit les plus belles scènes émotionnelles) sont monstrueux, de l’épouse procédurière à la femme du pasteur en charge de la thérapie, dont la rigidité est à l’image de ses tailleurs ajustés et de son chignon impeccable -elle n’est pas sans rappeler l’infirmière en chef de Vol au-dessus d’un nid de coucou. La thérapie se déroule quant à elle dans une atmosphère de camp militaire où il n’est plus question d’amour-propre mais de se mettre littéralement à nu pour renaître conformément aux desiderata d’une société guatémaltèque globalement homophobe (nous dit le film), des plus riches aux plus pauvres. Le titre “Tremblements” fait aussi bien référence aux séismes qui menacent régulièrement le Guatémala (et dont Bustamante fait un élément un peu parasite du récit) qu’à la crainte du système de voir vaciller son socle de valeurs. Effrayant et sans espoir.
Tremblements, en salles le 1er mai 2019.
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