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La suite Blade Runner 2049 va-t-elle enfin répondre à la question ?

Etre ou ne pas être (Replicant) ? Telle est la question que semble continuer de poser Blade Runner 35 ans après sa sortie. En tout cas, c'est ce que laisse entendre Denis Villeneuve, qui s'attaque à la suite et promet d'entretenir le mystère sur la vraie nature de Deckard. Mais cette ambiguité mérite qu'on se replonge dans les limbes du film original, ou plutôt ses multiples versions, pour essayer d'y trouver la clé.

Flashback.

Sorti en France en septembre 1982, Blade Runner a connu une production et une post-production chaotiques. Tout est chroniqué dans Future Noir: The Making of Blade Runner de Paul M. Sammon. Mais c'est surtout la réception au moment de la sortie qui fut désastreuse. Arrivé après Star Wars / L'Empire Contre Attaque et surtout après Les Aventuriers de l'Arche perdue, Blade Runner décevait d'abord le public qui pensait retrouver Harrison Ford dans un rôle voisin de Han Solo et Indiana Jones. Les producteurs n'étaient pas beaucoup plus satisfaits. Le résultat était en effet très différent du blockbuster de SF fun et décomplexé qu'ils pensaient avoir commandé.

Cette situation résultait notamment des nombreux compromis effectués au montage (ajout d'une voix off et d'une fin "heureuse"). La version salle de 82 perdait, du fait de ces changements, du nerf, de la cohérence et surtout l'ambiguité initialement voulue par Scott. Le film transformait Deckard en privé futuriste trop monolithe. Exit notamment l'idée qu'il pourrait être lui-même un Replicant.

La polémique a fait surface avec l'arrivée du "Director's Cut" en 1992, puis du Final Cut en 2007. L'ajout, dans les deux versions, du rêve de la licorne de Deckard et d'une fin énigmatique, laissait  entendre subtilement que le héros incarné par Ford serait lui-même un Replicant - ouvrant une relecture du film radicalement différente. Le spectateur se prenait donc à enregistrer des détails qui auraient été autrement laissés sur le côté ou mis sur le compte de l'obsession visuelle de Scott pour les décors et les backgrounds. Un exemple : l'appartement de Deckard est rempli de photos toutes en noir et blanc (or les Replicants sont attachés aux photos, qui leurs donnent l'illusion d'un passé qui n'a jamais existé). Plus loin, pendant son interrogatoire, Rachel demande à Deckard s'il a passé lui-même le test Voight-Kampff qui identifie les robots; la question prend alors un tout autre sens. Il y a aussi ce bref moment où les yeux de Deckard brillent (de la même manière que ceux des Réplicants) : s'il est lui-même un humanoïde, alors il ne s'agit pas que d'un heureux incident de prise de vue. On note enfin les prouesses physiques de Deckard et sa facilité à survivre aux assauts meurtriers avec un minimum de douleur et d'égratignures.

Autant d'indices qui finissent par dissiper l'ambiguité de la version cinéma originale.

Si la réponse à la question varie clairement entre les deux versions du film - la version salle et le final cut de 2007 -,  pour Ridley Scott, qui a évidemment toujours donné sa préférence au Final Cut, il n'y a aucun débat. Deckard EST un Replicant.

Interrogé par Wired en 2002, il expliquait : "Deckard a toujours été conçu comme un Réplicant. C'est pour ça que Gaff, qui laisse des origami partout, ne l'aime pas. On ne sait pas pourquoi, mais tous les indices sont là. Si on part du principe que Deckard est un Nexus 7, il a une espérance de vie incertaine, et se comporte de plus en plus comme un humain. Gaff à la fin, laisse un origami, sous forme de licorne. Maintenant que vous avez vu que Deckard rêve de Licorne, c'est clair que c'est un message que laisse Gaff, "j'ai lu ton dossier". Ca renvoie à cette scène ou Deckard dit à Rachel que son rêve ne vient pas de son imagination, mais des rêves de la nièce de Tyrell, lorsqu'il décrit l'araignée à proximité de la fenêtre. L'araignée est un morceau de souvenir implanté. Deckard, de même, a des souvenirs de licorne implantés dans son cerveau."

Et Harrison Ford ? Depuis la sortie du film, l'acteur, lui, a toujours défendu l'idée que Deckard était humain. "C'était il y a 25 ans" répond Ridley Scott. "Maintenant, il a laissé tomber. Il m'a dit "d'accord mon pote, tu as gagné ! Tout comme tu veux, comme ça on en parle plus !"". 

Mais la preuve ultime réside dans une version du scénario, datée du 23 février 1981, qui se révèle explicite sur la nature de Deckard. Dans ce script, sa voix off finale disait : "Je l'ai découvert sur le toit ce soir. Nous étions des frères. Roy Batty et moi. Des modèles de combat très avancés. Nous avons combattu dans des guerres que personne n'avait encore rêvées… dans un cauchemar que l'on ne peux pas nommer. Nous étions une nouvelle race… Roy, Rachel et moi ! Nous étions nés pour ce monde là. Il était à nous !". On ne peut être plus clair ni plus précis.

Scott affirme souvent que "seul un idiot pourrait passer à côté". Mais une question reste alors posée : Denis Villeneuve s'inspirera-t-il de l'ambiguité de la première version du film ou acceptera-t-il la vérité nue et plus explicite du Final Cut ? Réponse à la sortie du film.

David Fakrikian