Rencontre avec le réalisateur du Majordome.
Hey, bonjour mes amis parisiens de Première.
Bonjour Lee. On se demandait… après Spielberg (avec Lincoln) et Quentin Tarantino (et son Django), vous prenez à bras le corps l’histoire des noirs américains. Ca fait une différence que le réalisateur soit blanc ou noir ? Tout de suite ! Je vous vois venir… C’est bien une question piège de Français. Si j’y réponds, ça ouvre le sujet de la race à Hollywood… Mais vous savez quoi ? Je vais quand même vous donner le fond de ma pensée. Oui, ça fait une différence. L’ADN de l’expérience afro-américaine ne peut être exprimée que par un black. Spielberg et Tarantino n’ont pas vécu ma vie de noir. Jamais je ne prétendrai faire La liste de Schindler parce que ce n’est pas mon expérience ; et je ne pourrai jamais parler des Italo-Américains comme Scorsese, parce que je ne connais pas cette culture de l’intérieur. Les recherches que je pourrais faire n’y changeraient rien : c’est mon expérience que je porte à l’écran.
Ca tombe bien parce que si on ajoute le film de Steve McQueen… Je l’aime à mort, ce mec. 12 years a slave. C’est mon héros. Un de mes cinéastes préférés toutes périodes confondues.
… on a l’impression qu’une nouvelle vague de cinéastes noirs est en train d’émerger. Et il est grand temps ! Dieu merci. Jusqu’à présent nous étions une poignée, maintenant nous sommes un paquet. C’est très excitant, c’est un moment galvanisant non seulement pour le cinéma afro-américain, mais pour le cinéma du monde entier.
REVIEW - Le Majordome : une vision plus noire de l'histoire américaine
Cette nouvelle vague, c’est une nécessité ou une coïncidence ? Je ne sais pas… mais j’y pensais en faisant ce film. L’affaire Trayvon Martin n’avait pas encore eu lieu, mais il y a un passage dans le film où il est question du fait qu’un blanc peut tuer un Noir et s’en sortir. Quelle ironie que ça puisse encore arriver en Amérique aujourd’hui. Dans Le Majordome, Lyndon Johnson fait voter une loi qui donne le droit de vote aux Noirs. Et vous savez quoi ? Aujourd’hui, le congrès est en train de l’annuler. On est en 2013 et ils sont à nouveau en train d’essayer d’empêcher les afro-américains de voter ! Ils veulent éviter qu’un autre Obama soit élu. Le film arrive au bon moment et il est temps de faire disparaître la cicatrice du racisme au Etats-Unis. Il faut en parler ouvertement et sereinement afin d’avancer.
En même temps, votre film montre clairement que les progrès ont été très lents. Et que lorsqu’on croit les choses acquises, on n’est jamais à l’abri d’une régression. Mais on est en pleine régression ! On a restreint notre droit de vote. Si ma grand-mère ou ma mère ne peuvent pas prouver leur identité, elles peuvent se voir refuser de voter. C’est laissé à l’appréciation des assesseurs des bureaux de vote. Je vous laisse imaginer ce qui va se passer dans le Sud, si un blanc est derrière le comptoir… bref.
Et il n’y a rien à faire ? Je n’en sais rien. Peut-être que ce film va pousser les gens à reprendre le chemin de la contestation. Il nous faut sans doute la motivation qui incitait dans les années 60 les jeunes à descendre dans la rue pour défendre ce en quoi ils croyaient. Et ils étaient prêts à mourir pour ça. Je sais que moi, je ne pourrais pas. Suis-je prêt à prendre une balle pour défendre mes enfants ? Peut-être. Mais pour une cause, même si c’est pour le droit de vote, non je resterai à la maison. Ces gamins dans les années 60 étaient des héros. Et nous avons besoin de héros aujourd’hui.
Oprah Winfrey : « Ce n’est pas la couleur de la peau qui détermine l’esprit de l’œuvre »
En vous entendant parler là, je me demandais… Quelle est la différence entre vous et Spike Lee ? Il a peut-être un ou deux ans de plus que moi (clin d’œil) ; il aime les filles, moi les garçons. Sinon… nous sommes des réalisateurs noirs avec des opinions très claires. Mais à mon avis, il y a la même différence entre moi et Spike, qu’entre moi et Spielberg. Ou Julian Schnabel. Bref, je ne vois pas vraiment le sens de votre question.
Et bien je me disais que vous pouviez représenter ce qu’il symbolisait dans les années 80. Merci c’est très flatteur. Il a fait ce qu’il avait à faire dans les 80’s, mais son prochain film s’annonce incroyable. Ca a l’air terrifiant. C’est un excellent cinéaste, un très bon ami et une véritable inspiration.
OK. Revenons au Majordome…. La presse américaine s’est focalisée sur le casting des présidents. D’où vous est venue l’idée de caster des stars dans tous les rôles ? C’était une décision d’ordre économique ? Oprah Winfrey, pourtant connue dans le monde entier, et Forest Whitaker, malgré son Oscar, ne sont pas suffisants pour greenlighter un film. C’est une réalité et un triste constat pour Hollywood - une autre forme subliminale de racisme. Il a donc fallu faire appel à des acteurs blancs et j’ai pensé les caster dans les rôles de présidents… Le problème de ce genre de casting c’est qu’il faut éviter la caricature ou les stéréotypes. Il a notamment fallu être particulièrement attentif à ce que les comédiens soient nuancés. Mais le plus important, c’était quand même de faire appel à des acteurs célèbres. Histoire d’inciter les gens de l’Idaho, du Nebraska, ou d’Atlanta à aller voir le film. Ceux-là viendront pour voir Vanessa Redgrave, Jane Fonda ou John Cusack. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais dans l’ensemble, il y a suffisamment de noms connus pour inciter les gens à venir, non ?
Clairement ! Comment dirige-t-on Oprah ? Avec soin.
Vous la connaissiez, j’imagine que ça a dû faciliter les choses ? Elle avait produit Precious, et nous avons cherché à travailler ensemble. Je lui ai fait lire un autre script, un peu comme Misery, dans lequel elle devait jouer une tueuse en série, mais elle a refusé. Et avec ce film nous avons trouvé un terrain d’entente.
Elle est très bien quand elle montre les limites de sa patience en tant qu’épouse… Oui. Et nous avons ajouté l’alcoolisme pour accentuer la situation : ce n’est pas comme si elle pouvait passer son temps à attendre près du téléphone ou à regarder la télé. Elle compense en buvant ou en trompant son mari…
Vous avez d’autres projets ? Je prépare une biographie de Janis Joplin pour Fox searchlight. Une comédie musicale, ce qui sera une première pour moi. Ca se passera à Austin, San Franciso, New York. Avec Amy Adams dans le rôle principal.
Merci Lee. Merci à vous ! J’adore votre magazine !
Interview Gérard Delorme
Le Majordome sort en salles le 11 septembre :
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