Rencontre avec Adam McKay et Steve Carell pour la sortie de The Big Short
Dans The Big Short : Le Casse du siècle, Adam McKay réunit un casting all-star pour décortiquer la crise des subprimes. Une comédie sur des traders horrifiés de découvrir la pourriture du système bancaire portée par un Steve Carell en très grande forme. Rencontre.
Qui aurait pensé que les couvertures de défaillance et les obligations hypothécaires pouvaient être aussi poilantes ?
Steve Carell : Comment vendre un film pareil ? "Vous verrez, le marché des obligations, c’est vachement marrant !". La pire chose que vous pouvez ajouter étant : "… Et vous allez apprendre des choses !" (Rires). Les gens détestent ça. Si on leur disait qu’ils allaient apprendre des choses avec le nouveau Star Wars, je vous garantis qu’ils n’iraient pas le voir ! Mais on apprend effectivement plein de trucs devant The Big Short. En tout cas, moi, j’ai appris. J’ai enfin compris ce qui s’était passé. Et c’est hallucinant.
Adam McKay : J’ai toujours pensé qu’il y avait deux histoires en une. La première est un peu comme un film de comptage de cartes. Vous vous rappelez de 21 ? Des jeunes mathématiciens apprennent à compter les cartes et à voler l’argent des casinos. Et on les aime pour ça ! Il y a un peu de cette énergie dans la première partie de The Big Short. Et puis nos héros réalisent que leur industrie est corrompue et que l’économie mondiale va plonger, et le film devient une tragédie. J’ai fait très attention à la tonalité générale, de sorte que la bascule ne soit pas trop visible. Dans ma tête, chaque groupe de personnages incarne un ton, une couleur, qui lui est propre. Michael Burry (Christian Bale), c’est l’oracle, seul sur sa montagne (dans son bureau). Mark Baum (Steve Carell) et son équipe sont Jason et les Argonautes : ils partent guérir et sauver le monde à la pointe de l’épée. Les deux jeunes hedge funders (John Magaro et Finn Wittrock) sont Rosencrantz et Guilderstein, à la périphérie, essayant de comprendre ce qui se passe, etc…
Il n’y a pas de méchant dans The Big Short…
A. McK : On a tendance à chercher des boucs émissaires humains quand une catastrophe nous tombe dessus. Mais on a affaire ici à un système corrompu, et la responsabilité de quelques individus ne pèse pas grand-chose face à la lourdeur du système. Ce que j’ai appris dans mes recherches, c’est que la crise des subprimes n’est pas aussi compliquée que ce que les banques ont voulu nous faire croire. Le jargon qu’ils utilisent est spécifiquement conçu pour vous faire croire que vous êtes trop idiot pour comprendre. Mais plus vous parlez aux gens, et plus vous pigez : "Oh, vous faites des transferts d’argent, quoi !". Rien de plus, sauf qu’ils prennent un pourcentage sur ces transactions et qu’ils ont des appellations exagérément compliquées pour dire la même chose de trente manières différentes.
S.C. : À la lecture du scénario, le jargon m’a paniqué. "Mon Dieu, comment vais-je pouvoir apprendre tout ça ?". Ouah ! J’aime improviser. Et vous ne pouvez pas improviser si vous ne savez pas au minimum de quoi vous parlez… Ces mecs de Wall Street parlent comme ça. C’est leur dialecte. Ils peuvent vous perdre en un millième de seconde s’ils le décident.
C’est un film d’idées, et sur la manière dont ces idées impactent le monde de façon concrète.
A. McK : C’est ce que fait Michael Lewis dans ses bouquins ; il écrit sur ces idées qui changent notre quotidien sans qu’on s’en aperçoive. Prenez The Blind Side (adapté au cinéma avec Sandra Bullock, ndr). Tout part du constat que les quaterbacks sont devenus plus populaires qu’avant, et qu’il devenait donc urgent de mieux les protéger. Et donc les ailiers gauches ont commencé à gagner plus d’argent, et le gamin de l’histoire est devenu désirable aux yeux de la NFL, et sa vie prit un tour nouveau du jour au lendemain, et celle de sa famille adoptive aussi, etc… Tout ça à partir d’un changement dans le règlement de la NFL ! L’industrie bancaire représentait 6 % du PNB aux Etats-Unis dans les années 70. Elle représente aujourd’hui 24 % de notre PNB… Et les banques ne produisent rien ! Elles aident à faciliter la bonne conduite des affaires, mais elles produisent que dalle ! Je trouve ça dingue. Et personne n’en parle !
Vous lisez le Wall Street Journal maintenant ?
A. McK : Jamais de la vie ! Je lis le Financial Times. Le Wall Street Journal a perdu toute crédibilité en étant racheté par Rupert Murdoch.
S.C : J’ai épuisé mon seuil de tolérance pour Wall Street en faisant ce film. Pour moi, c’est un jeu qui tourne sur lui-même. C’est bon, j’ai pigé. Pas besoin d’en savoir plus.
Adam, Steve a-t-il beaucoup changé depuis sa nomination à l’Oscar pour Foxcatcher ?
A. McK : Il demande à ce qu’on s’adresse à lui à la troisième personne… Non, sérieusement, c’est un génie de la préparation. Et il a un talent incroyable, une sensibilité folle, pour reconnaître si un moment est porteur de vérité ou non. Et il ne lâche pas l’affaire avant d’avoir atteint ce moment de vérité… C’est très impressionnant à voir. Il me rappelle beaucoup Christian Bale, lui aussi très préparé et très sensible à cette dichotomie entre Vérité et Bullshit. Carell est très tenace. Il pousse et pousse encore, jusqu’à obtenir ce qu’il veut, tandis que Bale est plus décontracté, mais ils ont le même sens de l’investissement et de l’intransigeance.
Steve ?
S.C : J’étais terrifié à l’idée de jouer face à Christian Bale. Je le considère comme un génie, un vrai modèle de précision. On n'a que très peu de scènes ensemble mais je n’en menais pas large, croyez-moi. Adam est trop bon avec moi. Je n’en suis pas encore là, non…
Bande-annonce de The Big Short, aujourd'hui dans les salles obscures :
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