Connu pour ses documentaires-fleuves (The War, projeté en 2007 à Cannes, durait 16h...), Ken Burns relate dans Central Park Five l'histoire d'une erreur judiciaire dont ont été victime cinq adolescents noirs et hispaniques accusés à tort du viol d'une joggeuse en 1989 à Central Park.Ken, Central Park Five dure 2h. A votre échelle, c’est quasiment un court métrage, non ? C’est vrai que j’ai tendance à m’étendre un peu plus d’habitude, même si mes deux premiers films étaient plus courts. Mais la dernière fois, c’était The War, un film de 16 heures en 4 parties.Celui-là est plus facile pour les festivaliers… Ah ah ah ! Tu crois qu’il y aura plus de gens à la projection ?Pourquoi avoir voulu faire un docu précisément sur cette histoire ? Sarah (la fille de Ken Burns, ndlr) a écrit un bouquin sur l’affaire, dans lequel elle démontait l’erreur judiciaire. Quand je la voyais travailler sur le sujet, quand je l’écoutais, je me disais qu’il y avait un sujet en or ! Et quand j’ai lu son livre, j’ai tout de suite su qu’il fallait en faire un film.Parce qu’il collait au problème central de vos docus, le racisme ?Notre pays s‘est construit sur l’idée que les hommes naissent libres et égaux en droit. L’ennui c’est que les gens qui ont écrit ça possédaient des centaines d’esclaves… L’Histoire des US, en tout cas son storytelling, a toujours évité de se confronter réellement à ce problème. C’est précisément ça qui m’intéressaitMais c’est d’abord une super histoireC’est vrai que le film fonctionne comme un vrai drame hollywoodien : tout se resserre contre ces gamins innocents, le système les broie et on les voit progressivement se noyer. Il y a une tension qui pourrait faire rêver des scénaristes… On a l’impression que la clé du film, ce sont les confessions vidéosQuand on a découvert ces confessions, on a été abasourdis. Elles arrivent au bon moment dans l’économie du film parce qu’on n’a aucune image des lieux et de la procédure. Rien de la salle d’interrogatoire, rien de l’intérieur du commissariat. Et là, d’un seul coup on voit ces gamins avouer un crime qu’ils n’ont pas commis. On les voit se tordre sur leurs chaises, hésiter, se débattre intérieurement. Je ne sais pas ce que tu en as pensé, mais elles sont horribles à voir…Ca m’a tordu le ventre. Mais elles posent surtout le problème du regard…Je vois ce que tu veux dire : quand tu es persuadé que ces gamins sont coupables, ces confessions te confortent dans cette idée. C’est ce qui a dû se passer pour les juges. Par contre si tu es certain qu’ils sont innocents, tu vois des enfants terrifiés, et tu vois la manière dont le système judiciaire les a écrasés. Il fallait les montrer aussi parce qu’elles laissent imaginer ce que la police leur a fait subir pour arriver à ce résultat… C’est ça qu’on voulait raconter, relater par quoi ils étaient passés et rappeler que ce sont des innocents. Justement, à la fin du film, un carton précise que les Five ont été innocentés. Du coup, contrairement à The Thin Blue Line, le film n’avait pas pour objectif de les blanchirSi leur innocence a été reconnue en 2002, ils n’ont reçu aucun dédommagement, rien. Ni d’excuses. Pire, les flics, les médias, le système judiciaire ont ignoré le fait que la cour les avait innocentés. Du coup, non seulement leur jeunesse a été bousillée, mais leur futur aussi. C’est différent de Thin Blue Line parce qu’ils sont sortis de taule effectivement. Mais il faudrait que la ville paye pour ce qu’ils ont subi et c’est ça qu’on espère. Un geste d’excuse et de reconnaissance ; que la police reconnaisse publiquement s’être trompée. Le fait qu’il y ait résistance prouve que le système achoppe une fois de plus sur les races.Je ne vois pas le rapport ?Récemment une équipe de joueurs de Lacross a été accusée d’avoir violé une femme noire. Quand l’erreur judiciaire a été reconnue, le procureur a été viré, et interdit de barreau ; il a même fait de la taule. Dans le cas des Five, les procureurs ont eu une brillante carrière. S’ils avaient été plus consciencieux, s’ils avaient suivi la piste d’un autre violeur, ils auraient pu empêcher d’autres viols, capturer le vrai violeur et éviter le meurtre d’une femme enceinte. Mais comme ils étaient obsédés par la race ça n’a pas été possible.Sur tous ces sujets, Central Park Five fait beaucoup penser à The Wire, c’est fait exprès ?C’est une série que ma fille adore. Central Park Five est un docu, The Wire une fiction, mais au fond, je pense qu’on a le même but : parler de la vérité de la société dans toute sa complexité.Une dernière question : on compare toujours Cannes au Vietnam, je voulais savoir si vous aviez un trauma cannois C’est marrant parce que je suis en train de réaliser un documentaire sur le Vietnam. Et sur le post-traumatique stress. Et je peux te dire que ce que tu vis ici n’a vraiment rien à voir avec le Vietnam…Propos recueillis par Gaël GolhenSuivez toute l'actu cannoise sur notre dossier spécial avec Orange Cinéday
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« L’Histoire des US a toujours évité de se confronter au racisme » : rencontre avec le documentariste Ken Burns
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