Le Tintin de Spielberg vu par les tintinophiles (partie 1) - François Schuiten dessinateur de BD a vécu la projection comme un soulagement. Explications. Alors que Tintin et le secret de la Licorne sort en salle demain, nous avons demandé à des tintinophiles éclairés ce qu'ils pensaient de l'adaptation de Spielberg. Premier de la liste, François Schuiten, dessinateur de bédé belge à qui l'on doit l'extraordinaire série des Cités Obscures. Schuiten a découvert le nouveau Spielberg sur grand écran lors de l'avant-première bruxelloise. Il décrypte pour nous le rapport entre le cinéma et le 9ème art, la nécessité de trahir la fameuse ligne claire et l'importance des kids américains dans le projet...  Par François GreletFrançois Schuiten, pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu la projection du Tintin de Spielberg ?Très simple : comme un véritable soulagement.  Non pas que je doutais de Spielberg, Hergé l’avait choisi après tout, mais clairement je n’avais jamais vu une aussi bonne adaptation de bédé. Vous savez le medium est très sollicité et souvent on voit des réalisateurs qui n’ont pas beaucoup de respect pour l’œuvre originale, qui la maltraitent plus qu’ils ne la cajolent…Là ça déborde d’amour à chaque coin du cadre.Vous croyez que c’est vraiment primordial ? On dit souvent qu’adapter c’est trahir.C’est plus que primordial. C’est le minimum. La plupart du temps, quand je vais voir une adaptation de bédé, je sens des réalisateurs qui n’ont que du dédain pour le medium. Ça me dégoûte.Vous pensez à qui ?Je ne peux pas vous le dire. Mais ce n’est pas le cas ici, et c’est tant mieux. Au fond la vraie bonne idée de Spielberg c’est de ne pas avoir fait un dessin animé, mais d’avoir choisi la solution de la performance capture. Hergé est un dessinateur tellement immense qu’on ne peut pas imiter son trait, on est toujours très en dessous. En s’éloignant du coup de la ligne claire grâce à ce procédé, Spielberg s’est autorisé une forme de liberté qui, paradoxalement, l’amène à avoir encore plus de respect pour l’œuvre d’Hergé.C’était ça, au fond, la clé ? Se débarrasser du poids de la « ligne claire » ?Voilà. Ça permet de se concentrer sur l’univers, les personnages, ça permet aussi de reformuler les « cases » en plans, si vous voyez ce que je veux dire. Il ne faut pas croire que la reproduction bête et méchante de la ligne claire est une marque de respect. Il fallait au contraire la fuir comme la peste. Je me rappelle d’une adaptation de Gaston Lagaffe dont les auteurs m’avaient dit «  Vous voyez on respecte parfaitement l’œuvre puisqu’on a reproduit à l’identique le trait de Franquin ». Bon… Eux, je crois qu’ils n’avaient rien compris. Ils appauvrissaient le dessin en croyant le respecter. Ça manque de distance. Donc de talent.Pour en revenir Tintin, vous aimez donc le film sans réserve ?En fait, non. Ce que je trouve moins bien, mais c’était inévitable, c’est que c’est aussi un film aussi pour les kids américains qui ne connaissent pas Hergé. Il y a dans le cahiers des charges du film des choses qui me gênent comme ces effets très « jeux vidéo » et…Qu’est-ce que vous appelez effets « jeux vidéo »La fin. Et notamment le combat de grue. On a l’impression à ce moment-là qu’on donne un joystick au metteur en scène et qu’il manipule sa caméra de la sorte. Mais c’est incontournable aujourd’hui quand on veut faire un grand film pop US. Regardez Pirates Des Caraïbes, par exemple…C’est plus inspiré que Pirates Des Caraïbes, là…Oui, oui, bien sûr. Mais on sent que les limites du film sont là. Dans cette explosion pyrotechnique permanente…Tintin à la base c’est quand même pétaradant niveau aventure…Oui, oui, mais enchainer deux séquences d’action hallucinantes comme le fait Spielberg, c’est pas du tout hergé-ien, dans l’esprit. Je trouve qu’il franchit aussi la ligne jaune lorsqu’il sort du réalisme propre aux personnages. Hergé faisait tout pour qu’on croit aux décors et aux personnages, la crédibilité c’était un motif qu’il travaillait en permanence. Et que Spielberg travaille malheureusement peu. Globalement j’ai donc de grosses réserves sur les vingt dernières minutes. Et je trouve le reste somptueux. Je dirais même que ce film est le plus beau prétexte pour que Tintin continue à conquérir le monde.En tant que tintinophile, vous avez été sensible au travail d’écriture, la manière d’agencer l’un dans l’autre trois albums de Hergé…Ça c’est vraiment fabuleux. Et très malin. Ils sont obligés d’introduire les personnages au fur et à mesure, puisque les spectateurs US ne les connaissent pas, et ils choisissent donc comme ça d’incorporer de gros morceaux du Crabe aux Pinces d’Or dans la mixture. C’est brillant et extrêmement fluide. Et pour tout vous dire ça ne m’étonne pas de  Steven Moffat, que je considère comme un des scénaristes les plus doués de notre époque. Lui aussi j’ai l’impression que son amour pour Tintin l’a guidé dans son travail. Pas sûr que  Jan Kounen aime Blueberry à ce point par exemple…Aaaah, j’étais sûr que vous parliez de lui, tout à l’heure !Ahahaha. Je ne pensais pas qu’à lui en fait…Je crois que vous avez découvert le film ce samedi, à l’avant-première bruxelloise. Un mot sur l’ambiance, là-bas..Ahurissante. L’air était chargé d’émotion. Spielberg était présent et j’ai été saisi par sa disponibilité et son humilité. Mais au fond ce qui m’a le plus ému c’est de voir la place de Brouckère noire de monde. 82 ans plus tôt, dans l’album Tintin au pays Des Soviets, la même place de Brouckère était tout aussi peuplée pour fêter le retour de Tintin en Belgique. Ça a crée une sorte de pont entre la fiction et la réalité, à près d’un siècle d’écart, que j’ai trouvé très joli, très fort. Spielberg nous a alors dit « Je suis fier ce soir de rendre Tintin à la Belgique ». Ça peut vous paraître naïf, mais tout ça m’a presque fait chialer…Tintin et le secret de la Licorne sort aujourd'hui en France. Bande-annonce :