Jalil, l'enchaînement à quelques semaines d’intervalles de De Guerre lasse et Yves Saint Laurent, fait que j’ai un peu de mal à faire le point sur ta personnalité ?Ah bon ?Oui, par exemple, j’ai qui en face de moi ce matin, l’acteur un peu vénère de De Guerre lasse ou le réal chic et prestigieux de YSL ?Bah, on est là pour parler de De Guerre lasse, non ?Exact.T’as la réponse à ta question alors.Mais tu vois là où je veux en venir ?C’est compliqué désormais de savoir ce que tu incarnes dans le cinéma français. J’ai toujours incarné tout un tas de trucs différents à des moments différents…De Guerre lasse tu l’as tourné avant ou après YSL ?Juste avant.Et aujourd’hui après le succès de YSL, tu pourrais te permettre de jouer dans un petit polar B super nerveux, comme celui là ?Je crois, oui. Je ne fais pas trop attention à ce genre de trucs. J’aime bien le terme de “filmmaker” - tu remarqueras d’ailleurs qu’il est difficilement traduisible en français, et que ça dit peut être quelque chose sur notre culture de cinéma, bref. Quand je suis acteur et quand je suis réal, je ne m’imagine pas autrement que comme un filmmaker, c’est à dire un type curieux, au service des films, qui ne se pose pas la question de savoir si ça fait chic ou pas. Sinon j’aurais loupé trop de trucs. Quand je fait Pigalle La Nuit, il y a quatre ans, tout le monde me dit: “Ohlala la télé ça craint, tu fais du cinéma toi”. Je choisis de m’en foutre et j’y vais quand même. Au final c’était une expérience démente.Ça traduit surtout un rapport un peu boulimique au métier, non ?Un peu… Je ne sais pas. Mon père était comédien de théâtre, et je me rappelle que lorsque j’étais môme la situation financière de la famille était parfois précaire. Du coup ça m’a toujours angoissé. Quand je fais Ressources Humaines, c’est un de mes premiers films et immédiatement je me retrouve dans l’oeil du cyclone avec César à la clé, etc… Je me suis dis qu’il fallait faire gaffe, que ça pouvait s'arrêter vite, qu’il fallait que je me diversifie. Je ne pouvais pas faire de théâtre, je n’ai jamais eu le goût du texte, mais je sentais que la mise en scène, la manière dont on fabrique les films, m’intéressait. C’était l’époque du Dogme, et je commence à faire des petits courts en DV dans mon coin… Ca m’a galvanisé. Donc je ne sais pas si c’est de la boulimie, je crois que ça tient plus à une envie de se diversifier, d'être suffisant autonome et curieux pour ne pas avoir à attendre que le téléphone sonne. Ça c’est la pire de toutes mes angoisses…Je comprends que tu n’aies pas envie qu’on t’enferme dans une case, mais c’est à double tranchant comme stratégie, parce qu’à un moment on a aussi du mal à saisir à qui on a à faire...Je sais… C’est pratique quand même d’avoir sa niche, sa case, une politique éditoriale bien définie. T’entends souvent des gens du métier qui se moquent des acteurs qui font toujours le même rôle, mais au final c’est ces gars là qui ont du succès. Parce que le public les identifie, il sait pourquoi il les aime. Avec moi le public ne sait pas. J’ai toujours eu envie de surprendre et des fois ça m’emmène dans des impasses. Je me suis retrouvé dans des trucs de miscasting purs où j’étais très mauvais, juste parce que le rôle était “différent”, que je voulais surprendre à tout prix, que c’était ça qui m’excitait. Ça fait 20 ans que je suis acteur mais c’est impossible de monter un gros film sur mon nom. C’est entièrement de ma faute, mais c’est aussi parce que je me suis longtemps cherché.Et tu as fini par te trouver ?Un peu, ouais. Je sais désormais qu'en tant qu’acteur, j’aime jouer des mecs qui ressemblent à ceux que j’incarne dans Pigalle ou dans De Guerre lasse.C’est à dire ?Ces gars sortis de nulle part et qui savent balancer des coups. Un profil un peu eastwoodien, quoi.J’ai adoré justement la manière dont tu balances des coups dans De Guerre lasse. Enfin un acteur français qui sait se battre à l’écran !Ahah, merci. Mais tu sais peu de films ici te donnent l’occasion de faire ça. Si ça se trouve y a plein d’acteurs français qui savent se battre, mais y a trop peu de scripts qui leur en donnent l’occasion. On va pas se voiler la face, c’est quand même la grosse éclate à jouer. On a grandi devant ce genre de films, on a adoré ça, on a voulu faire ça toute notre vie, péter la gueule des méchants, leur faire très mal. Je suis un peu dégoûté ceci dit, parce que Olivier Panchot, le réaisateur, à coupé une scène démente où je démontais des types avec un club de golf. Ça saignait !Au delà des scènes d’action, le film impose une direction d’acteur quasi intégralement basée sur le registre physique, l’animalité, ça aussi ça change du tout venant du cinéma français.Oui, le film refuse les longues tirades dialoguées qui explicitent tout. Déjà le script était bien tendu de ce point de vue, mais au tournage on a encore plus taillé dedans. Du coup il n’y pas un bout de gras. Donc quand tu joues tu dois faire ressortir toutes les névroses et les problématiques de ton personnage avec ton corps.Tu te sentirais capable, maintenant que tu es devenu un réal bankable, d’aller t’aventurer dans le cinéma de genre ?Ah oui complètement. Je te dis, mon grand modèle c’est Eastwood, pour l’acting comme pour la réal. Lui il ne fait pas de distingo, genre ou pas genre, il s’en fout. Il passe de Firefox à Bird, et dans tous les cas ça donne des bons films. Toutes proportions gardées, c’est ça que je vise.Interview François GreletDe Guerre lasse d'Olivier Panchot, avec Jalil Lespert, Tcheky Karyo, Hiam Abbass, sort en salles le 7 mai 2014
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