En dehors de la présence de Brad Pitt, Cogan, Killing Them Softly constitue presque le contraire de L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, sur le plan du style.En tout cas, le film s’est fait en réaction contre Jesse James, son échec commercial et ses difficultés de production. C’est pourquoi le film parle d’argent avec une certaine amertume, de ce que les gens sont capables de faire pour en gagner, jusqu’à nier leur propre nature.Ce n’est pas votre cas ?J’espère bien que non ! Même s’il me fallait de l’argent pour faire le film ! Au fond, c’est un « heist movie », un film de hold-up. Les Américains ont une image d’eux-mêmes très éloignée de la réalité. Le seul genre qui les montre tels qu’ils sont, c’est le film de gangster, parce que par convention, on accepte que tous les personnages ne pensent qu’à l’argent. Et ça, c’est la réalité américaine.Le film montre « l’économie » du crime.Oui, une crise « systémique » frappe les gangsters. Trois petits malins braquent une partie de poker, ce qui entraîne une sorte de Krach de toute cette économie clandestine. Brad Pitt est alors chargé de restaurer l’ordre, et la crise de ce petit microcosme devient une version minable et caricaturale de la crise financière mondiale.On voit les gangsters travailler, faire leur métier de gangster.C’était l’idée : montrer le crime comme un univers super terne, rien à voir avec le glamour habituel avec lequel cet univers est traité. J’ai beaucoup pensé au documentaire Salesman le vendeur de Bibles (1968) des frères Maysles, qui montre le quotidien monotone d’un démarcheur qui fait du porte à porte. Le style que j’ai adopté est à mi-chemin entre cet esprit là et celui de la screwball comedy. Beaucoup de plans fixes, peu de couverture, d’une scène à l’autre, si tu reviens au même endroit, la caméra est placée au même endroit, straight to the point.Comme dans Jesse James, le dialogue, le langage, même, a une importance capitale.Pour ce film, cela vient de l’auteur du bouquin original George V. Higgins, qui a été procureur pendant 20 ans à New York avant de devenir écrivain. Pendant ces 20 ans, il a accumulé des tonnes de dialogues stupéfiants, qu’il a ensuite ressortis dans ses livres. Moi aussi, j’aime regarder les gens parler, et ça se ressent dans mes films.De Brad Pitt au plus petit figurant, vous semblez accorder la même attention à tous…De mon point de vue, il n’y a pas de petits rôles. Tout le monde doit se couler dans l’univers du film.Comment les dirigez vous ?C’est différent d’un acteur à l’autre, il n’y a pas UNE méthode. Richard Jenkins, par exemple, ses deux premières prises sont toujours les meilleures. A l’inverse, Jim Gandolfini, qui est à mes yeux l’un des plus grands acteurs contemporains, a beaucoup de problèmes avec la mémorisation du dialogue. Alors avec lui, on multiplie les prises jusqu’à ce que, d’un coup, il finisse par sortir une prise parfaite, sidérante, mieux que tout ce que tu avais imaginé. C’est une sensation fabuleuse d’assister à ça.Avec Gandolfini, Vincent Curatola et le petit Max Casella, vous avez trois Soprano dans le film !Ah ! Quand je faisais Jesse James, c’était pareil, il se trouve que tous les meilleurs acteurs qu’on trouvait étaient dans Deadwood ! Ce n’était pas du tout une démarche consciente, mais bon, j’adore les Soprano, hein, j’ai vu la série complète deux fois !Brad Pitt est producteur et acteur. A la fois votre chef et votre employé…On en rigolait sur le plateau : comment faire en sorte que Brad le producteur parvienne à contrôler Brad l’acteur! Mais en réalité, dès que la caméra tourne, il est comme n’importe quel autre acteur. On a pu avoir des désaccords, mais on a aussi développé une grande confiance l’un pour l’autre.Le film a un rythme étrange, comme si l’intrigue, au fond, n’était pas le plus important.Parce que c’est le cas ! Les intrigues, je m’en fous un peu ! Je préfère les gens. On pense que le cinéma est un médium qui permet de raconter des histoires, mais c’est faux : les films sont plus comme des contes pour enfants, les contes de Grimm par exemple, ils permettent de mieux appréhender nos traumas. Un type comme Lynch fait ça mieux que personne.
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- Andrew Dominik : "les intrigues, je m’en fous un peu ! Je préfère les gens"
Andrew Dominik : "les intrigues, je m’en fous un peu ! Je préfère les gens"
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