En un demi-siècle, ce duo légendaire a marqué le cinéma moderne de manière indélébile.
Ils se sont rencontrés adolescents, à la fin des années 1960. Ils se sont perdus de vue, puis ils se sont retrouvés pour ne plus jamais se quitter. La collaboration entre Martin Scorsese et Robert De Niro est une des plus iconiques de l’histoire du cinéma (elle a même sa page Wikipedia !), accouchant de dix long-métrages en un demi-siècle, dont une grosse poignée de classiques.
50 ans pile après leur premier film, l’uppercut Mean Streets, Bob et Marty remettent ça avec Killers of the Flower Moon, actuellement au cinéma. L’occasion pour de revenir sur leur filmographie commune à travers des citations du cinéaste. La première partie de notre rétrospective se penche sur les débuts intenses du duo, qui signa 5 films en à peine 10 ans entre 1973 et 1982.
Killers of the Flower Moon, l'impressionnant chant funèbre de Martin ScorseseMean Streets (1973)
Un an avant d’être casté dans Le Parrain II, Robert de Niro crève l’écran dans Mean Streets, le premier succès de Martin Scorsese, qui suit la trajectoire suicidaire de Johnny Boy, un petit malfrat de Little Italy, et son ami Charlie Cappa, incarné par Harvey Keitel. Agé d’à peine 30 ans, l’acteur éblouit déjà le cinéaste de son talent. Le futur grand est déjà là :
"Je l’ai vu sur le tournage de Mean Streets, en particulier quand il a insisté pour improviser une scène entre lui et Harvey Keitel, que nous avons tournée le dernier jour. Il se lance dans une improvisation pour expliquer pourquoi il ne pouvait pas rendre à Michael l’argent qu’il lui devait. La façon dont il se comportait, et comment il plaçait toutes ces références sorties de nulle part, basées sur pas mal de gens qu’on connaissait tous les deux. Il a même utilisé leurs surnoms.
Ce qui nous connectait au départ, c’est qu’on se connaissait un peu de quand on avait 16 ans, puis on s’est perdus de vue. Et en 1970, 1971 on se rencontre à nouveau. Il jouait pour Brian De Palma. Je venais de faire de mon mieux sur Who’s That Knocking At My Door. Je prévoyais ensuite de faire Mean Streets, et il collait parfaitement au ton, au parfum du film. Il savait comment se tenir, quel chapeau porter. Il savait tout, en quelque sorte, et il faisait ça avec une totale confiance."
Taxi Driver (1976)
Après avoir décroché l’Oscar du meilleur acteur en Vito Corleone, Robert De Niro revient devant la caméra de Scorsese avec un nouveau statut, mais une implication toujours aussi folle, obtenant même une licence pour devenir Taxi à New York pendant quelques semaines ! Le film conquis le Festival de Cannes, avec une Palme d’Or à la clé. Et rentre dans la postérité avec la mythique scène du miroir, et la célèbre impro de De Niro.
"J’étais convaincu qu’il fallait qu’il parle tout seul pendant cette scène du miroir. Je ne savais pas quoi lui faire dire, mais je me souvenais d’une scène de Reflets dans un œil d’or, où Brando produisait quelque chose de superbe en face d’un miroir. Bob a donc commencé à jouer la scène. (…) Il s’est mis à improviser en imaginant que des gens venaient lui parler. Si leurs propos lui déplaisaient, il se retournait en disant 'C’est à moi que tu parles ?' (…). Je voulais à tout prix caser la scène dans le planning. Entre chaque prise, Pete Scoppa – le grand assistant réalisateur de l’époque – tambourinait sur la porte. 'Dépêchez-vous, on a un planning à respecter.' Alors je lui répondais : "Laisse-nous encore deux minutes, juste deux minutes. C’est vraiment super.' Il y avait un boucan monstre. J’ai dû demander à De Niro de refaire la scène deux ou trois fois – c’est tout. Il avait trouvé son propre rythme. Puis il a sorti cette fabuleuse réplique où il admet être tout seul dans la pièce, et que par conséquent il doit être en train de se parler à lui-même. Et c’était dans la boîte. »
New York, New York (1977)
Boudé par le public et la critique lors de sa sortie, New York, New York est un film chaotique, marqué par l’addiction à la cocaïne de Martin Scorsese. Un échec cinglant, mais néanmoins culte, notamment grâce aux prestations de Lizza Minelli et Robert De Niro, et à la chanson éponyme rentrée à la postérité grâce à la reprise de Frank Sinatra. Là encore, Bob fait le job et maintient le projet à flot avec son implication sans failles.
"La vitre brisée par Robert De Niro lors de la demande en mariage résulte d’une improvisation. Nous étions si bien lancés que le lendemain nous avons encore accentué le côté farce de la scène. Bobby, qui était déchaîné, a eu l’idée de se jeter à genoux devant Liza, puis de s’allonger derrière les roues du taxi en menaçant de se laisser écraser. Rien de tout cela ne figurait dans le scénario. C’est le résultat de trois bonnes journées de répétition continue. Pour la scène où Bobby tente de retenir le train qui démarre, ce fut pareil. Pendant les répétitions, Bobby s’amusait à l’empêcher de partir, et j’ai aussitôt décidé de bâtir toute la scène sur ce gag. Comme vous le voyez, New York, New York est un cas assez unique : nous répétions à mesure que nous tournions, et nous tournions à mesure que nous répétions !"
Raging Bull (1980)
Il faut plus qu’un flop pour remettre en cause le duo Scorsese/De Niro. Et c’est le second qui remet son ami à l’étrier en lui présentant ce projet basé sur l’autobiographie du boxeur italo-américain Jake LaMotta, qui allait accoucher d’un immense classique en noir et blanc, le blueprint du biopic moderne : "J’ai lu Raging Bull pendant que je faisais 1900 avec Bertolucci, j’ai appelé Marty et je lui ai dit : ‘ce livre, ce n’est pas de la grande littérature, mais il a beaucoup de coeur’."
Bob donne tout pour Marty, prenant 27 kilos en quatre mois pour incarner le combattant dans la deuxième partie de sa vie. "J’ai guéri en faisant Raging Bull", confie Scorsese, même si l’accueil du film à l’époque ne fut pas à la hauteur de ses espérances.
"A travers Bob, j’ai pu retrouver une vérité sur moi-même – la différence qui existe entre le réalisateur de films de genre et celui qui essaie d’être cinéaste. C’est un problème que Bob et moi avons résolu silencieusement, tacitement. On n’a jamais abordé le sujet de front. On parlait beaucoup d’émotions, du sentiment d’impuissance, et du fait que certaines choses ne changent jamais. On parlait aussi de confiance, et ce qui arrive quand cette confiance est trahie. Au-delà d’un certain point dans la vie, on serait prêt à tuer n’importe qui. En réalité, on se détruit soi-même. C’est ce que j’ai finit par comprendre avec ce film."
La Valse des pantins (The King of Comedy, 1982)
Après Raging Bull, La Valse des pantins est de nouveau un film que De Niro a proposé à Scorsese. L’acteur a fait lire au réalisateur cette comédie satirique sur la culture de la célébrité (écrite par Paul D. Zimmerman) dès le milieu des années 70. D’abord indifférent, Scorsese va finir par changer d’avis :
"Après avoir présenté Alice n’est plus ici, Taxi Driver, New York, New York et Raging Bull dans le monde entier dans différents festivals, j’ai de nouveau jeté un œil au scénario. Mon regard avait changé. J’ai commencé à comprendre en quoi il pouvait toucher Bob : c’est exactement ce qu’il avait vécu après Mean Streets et à la suite du Parrain II surtout – l’adulation des foules, les inconnus qui vous aiment, qui ressentent le besoin d’être avec vous et de vous parler."
Pour créer le personnage de Rupert Pupkin (le comique raté qui kidnappe une star de la télé pour avoir son quart d’heure de célébrité, sorte de Travis Bickle moustachu et versé dans le stand-up), De Niro s’inspire des admirateurs qui ne cessent de lui tourner autour et lui pourrissent la vie. Scorsese raconte : "Bobby avait fini par mettre au point une technique : renversant les rôles, il se mettait à suivre les chasseurs d’autographes, à les traquer, à les terrifier en leur posant des tas de questions." Comme la méthode de De Niro, le film est aussi loufoque qu’effrayant.
Sources : Martin Scorsese, entretiens avec Michael Henry Wilson (Centre Pompidou / Cahiers du cinéma), Conversations avec Martin Scorsese de Richard Schickel (Sonatine), Télérama n°3848, Première, Deadline
Scorsese raconte ses dix films avec De Niro (partie 2)
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