Avec son tableau athénien, sur Prime Video, Cédric Klapisch analyse l'évolution de la jeunesse européenne, qui a grandement changé depuis "la période d'euphorie" de L'Auberge espagnole.
L'époque a changé. L'Europe a changé. Et lui aussi a changé. Cédric Klapisch n'est plus le jeune réalisateur trentenaire en quête de sens qu'il était à l'époque où il a imaginé L'Auberge espagnole (2002). Alors pour Salade Grecque, sa nouvelle série qui vient de sortir sur Prime Video, il n'a pas cherché à analyser la jeunesse d'aujourd'hui du haut de ses 61 ans : "J'étais conscient que ce n'était plus ma génération et qu'il fallait que je me renseigne beaucoup", nous confie le réalisateur rencontré à Lille durant le festival Séries Mania. "Du coup, j'ai choisi de travailler avec de jeunes scénaristes qui ont nourri ma réflexion. Ensemble, on a écrit et fait le casting, en interrogeant la vision actuelle des jeunes européens. C'était un travail presque journalistique... mais ça fait partie de ma manière d'aborder ce métier en réalité : quand je fais un film sur les vignerons avec Ce qui nous lie, je ne suis pas vigneron alors je me renseigne avant ; quand je fais un film sur les danseurs avec En Corps, je ne suis pas danseur alors je me renseigne. Là c'est pareil : je ne suis pas jeune, donc il a fallu que je me documente !"
Avec pas mal d'humour et beaucoup de recul, Cédric Klapisch a ainsi raconté le vieux Continent tel qu'il a évolué. 2023 n'a plus tout a fait la même saveur insouciante du début du siècle, quand l'Euro était à peine lancé et que les étudiants allaient explorer les pays voisins, avec une curiosité presque naïve. "L'Europe des années 2000, quand on était à Barcelone, c'était une autre époque. Une période d'euphorie. L'Europe était une idée enthousiasmante, pour tout le monde" reprend Klapisch, qui juge que cet engouement s'est effrité avec le temps, les crises économiques et politiques, le COVID, le Brexit et plus récemment la guerre en Ukraine. "Tout ça fait que l'Europe est sans cesse fragilisée désormais et les jeunes Européens en ont forcément une image différente. Ils ont moins cette image insouciante et heureuse du début du siècle. Du coup, la génération actuelle est plus consciente des problèmes et plus engagée, de fait". Le réalisateur assume d'ailleurs avoir eu envie de faire "une suite à la dimension plus politique. Cette série est plus politique que les trois autres films, aucun doute là-dessus !"
Alors quand il a fallu trouver une capitale dans laquelle placer Tom et Mia, les enfants de Xavier, et tout un tas de thématiques très ambitieuses sur l'héritage, le capitalisme et l'humanisme, Athènes s'est naturellement imposée aux jeunes auteurs qui ont convaincu le cinéaste. "On savait qu'on ne voulait pas le refaire à Barcelone et Athènes nous semblait cristalliser plein de problématiques actuelles, modernes", confirment les co-scénaristes Agnès Hurstel et Thomas Colineau. "La Grèce est devenue, malgré elle, une sorte de symbole des dysfonctionnements en Europe depuis 2008. Et puis c'est un épicentre de la question migratoire, avec la crise de réfugiés". Cette crise humaine est effectivement au centre de la série et des préoccupations des jeunes de Salade Grecque, "mais si j'avais lancé la série aujourd'hui, je crois que la série aurait parlé nettement plus d'écologie", reconnaît Cédric Klapisch.
Crise migratoire ou climatique, la jeunesse de sa série est très investie, sur le terrain, avec une conscience politique nettement plus affûtée que celles de Xavier, Wendy ou Soledad, à l'époque de L'Auberge espagnole. Une envie de révolte aussi, nettement plus présente qu'il y a vingt ans : "Je ne dirais pas que la génération actuelle est désenchantée. Elle se prend des trucs durs dans la tronche. Le COVID a généré des dépressions chez les étudiants et de la précarité encore plus qu'avant. Mais en même temps, c'est une génération qui a envie de se bouger, de prendre les choses à bras le corps, comme c'est le cas avec la crise écologique. Donc notre série n'est pas désenchantée du tout mais plutôt optimiste. Elle met en avant le vivre ensemble, des gens qui n'arrivent pas à communiquer et qui finissent par s'entendre." D'ailleurs, le casting est bien plus international que dans la trilogie. "Parce qu'on est sur Prime Video, une plateforme qui s'adresse à un public plus international. Mais je me souviens aussi qu'à l'époque de L'Auberge espagnole, Canal +, producteur, nous avait demandé de ne pas excéder 50% d'Anglais dans la distribution. Alors cette fois, on va plus loin : il y a du syrien, du grec, du croate, de l'italien... C'est nettement plus mélangé parce qu'on parle des frontières de l'Europe et on dépasse le cadre de la France."
Autant dire un joyeux mélange qui s'est rapidement transformé en colonie de vacances pour le casting des jeunes comédiens européens. Amir Baylly, qui incarne Noam, se souvient du tournage, qui fut une expérience en soi : "On a vécu six mois ensemble, à Athènes. C'était un peu comme faire Erasmus en fait (rires) ! On était tous logés au même endroit, dans le même immeuble. Du coup, on a pu créer du lien, faire la fête. On a passé le COVID ensemble aussi..." Et sa camarade de jeu, Fotinì Peluso (Giulia) va même plus loin : "Moi, j'ai fait Erasmus, dans la vraie vie, quand j'étais à la fac. J'étais venue vivre à Paris quelques mois. Et en faisant cette série, je me suis rendue que j'avais loupé mon Erasmus à l'époque ! Je me suis rattrapée avec Salade Grecque."
Salade Grecque, en 8 épisodes, à voir sur Prime Vidéo, depuis le vendredi 14 avril.
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