Ce classique de François Truffaut est diffusé ce mercredi 25 novembre sur Arte.
En 1969, François Truffaut lit la biographie d’Adèle Hugo écrite par France Vernor Guille, une spécialiste universitaire faisant le récit de la vie de la seconde fille de Victor Hugo. Pris de fascination pour la partie relatant la maladie dont elle souffrait (l’érotomanie), il décide d’en faire un film. Le tournage de L’histoire d’Adèle H débute au début de l’année 1975. Sur fond de guerre de sécession américaine, on y suit Adèle Hugo, alors âgée de trente-trois ans, quittant sa famille pour gagner Halifax afin de rejoindre Albert Pinson (Bruce Robinson), un jeune lieutenant qu’elle avait rencontré à Jersey et dont elle est éperdument amoureuse. Un amour non réciproque. Ce dernier la repousse, lui fait comprendre que bien qu’ils aient eu une relation ensemble, il ne veut rien d’elle : "Mais qu'est-ce que vous croyez ? J'ai connu des femmes avant vous, j'en ai connu après vous et j'en connaîtrai encore !"
Véritable film d’horreur retranscrivant le désir obsessionnel d’une femme ("Je vous demande qu’une chose, même si vous ne m’aimez pas laissez-moi vous aimer"), Truffaut traque comme à son habitude le sentiment. Il filme la lente agonie de l’illusion amoureuse qui dérange, qui fait mal. Une maladie de l’amour comme une passion absolue à la fois pure et fiévreuse que l’on dévale. Truffaut nous enferme par ses gros plans dans l’obsession d’Adèle, nous emporte dans les étapes de son délire amoureux. Et un sentiment morbide nous submerge lorsqu’après avoir été rejetée par le lieutenant, elle couche ces mots sur le papier : "Je suis ta femme, définitivement, nous resterons ensemble jusqu’à notre mort." Et bien que paraissant enfermée dans sa folie, elle sait aussi faire preuve d’une lucidité tactique quand il s’agit de provoquer sa rencontre avec le lieutenant, rayonnant d’espoir dans le seul but d’aimer, même dans le noir d’un cimetière, cheveux défaits.
François Truffaut offre l’un de ses meilleurs rôles à Isabelle Adjani dont le jeu tragique fait littéralement tout le film. On comprend que personne d’autre qu’elle ne pouvait interpréter Adèle H malgré son jeune âge. Elle n'a en effet que de dix-huit ans lorsqu’elle accepte de jouer ce rôle suite à une lettre que François Truffaut lui avait adressée, faisant l’éloge de son aura : "Vous êtes une actrice fabuleuse et, à l’exception de Jeanne Moreau, je n’ai jamais senti un désir aussi impérieux de fixer un visage sur la pellicule (…) en sortant de La Gifle, j’ai eu la conviction que l’on devait vous filmer tous les jours, même le dimanche (…) Votre visage tout seul raconte un scénario (…) vous pourriez même vous permettre de jouer un film sans histoire, ce serait un documentaire sur vous, et cela vaudrait toutes les fictions."
Et c’est un véritable hommage à Isabelle Adjani que François Truffaut réalise avec l’Histoire d’Adèle H, plus exactement un hommage à son visage. Jamais le réalisateur n’a autant filmé en gros plan, révélant sa passion là aussi quasi obsessionnelle pour l’actrice. Tout le reste n’est que secondaire, nous focalisant sur la seule chose qui importe vraiment : Adèle et ses passions, dont la figure tantôt brillante d’espérance, tantôt déformée de douleur se fait le prisme. Un cadrage qui isole un visage pâle fasciné, sculpté par la lumière intense de Nestor Almendros, rougissant lorsque son regard tombe dans le public d’un orchestre sur l’objet de son désir.
Adèle est définitivement le personnage de la filmographie de Truffaut le plus radical, le plus entier et son hystérie fiévreuse gagne l’actrice qui, durant le tournage, vivra l’histoire de son personnage. Elle est jeune, sûre d’elle et fait front au réalisateur. Elle adopte un comportement d’enfant effronté et capricieux face à ses directives, n’hésitant pas à répondre avec nonchalance en levant les yeux au ciel lorsque ce dernier a le dos tourné. La collaboration entre l’actrice et le réalisateur sera à l’image du film, passionnée et tout sauf reposante : "Le soir, mes yeux et mes oreilles sont fatigués de l’avoir trop fortement regardée et écoutée toute la journée", confiera François Truffaut d’après Elizabeth Gouslan dans son livre Truffaut et les femmes . Pour l’actrice, ce rôle marque un tournant décisif dans sa carrière. Elle décide après dans la foulée du tournage de quitter la Comédie-Française pour se consacrer au grand écran qu’elle venait de conquérir avec ferveur.
L’histoire d’Adèle H. est à découvrir ou à redécouvrir en DVD/Blu Ray dans le coffret François Truffaut édité par ARTE. On retrouve parmi sept films restaurés La Sirène du Mississipi avec Catherine Deneuve et Jean Paul Belmondo ou encore L’Homme qui aimait les femmes, où si la tragédie d’Adèle est d’être incapable d’aimer un autre homme, celle de son héros Bertrand Morane (campé par Charles Denner) est de n’aimer réellement aucune femme à force de toutes les désirer, de manière là aussi, obsessionnelle.
L'homme qui aimait les femmes : la déclaration d'amour à la gent féminine de François Truffaut
Commentaires