Nanni Moretti s’essaie au documentaire et ouvre une page oubliée de l’histoire chilienne et italienne.
La simple irruption du grand Moretti dans le documentaire attise forcément la curiosité du cinéphile qui essaiera de trouver ici ce qui subsiste du style, de l’intelligence et de l’humour du maestro, dont le récent Mia Madre est encore dans toutes les têtes. Le sujet même du film interroge aussi, puisque revenir sur le coup d’État militaire du général Pinochet et l’installation de la dictature militaire au Chili en 1973, paraît, sinon anachronique, du moins répétitif, puisque les événements en question ont été moult fois traités au cinéma (voir, par exemple, tout le travail de Patricio Guzman). Alors ? Tout y est. D’abord la verve de Nanni Moretti qui se tient physiquement hors champ jusqu’à apparaître au moment opportun pour revendiquer la part subjective de son travail : « Je ne suis pas impartial » dit-il à un ancien sbire de Pinochet. Le cinéma lui jaillit d’une parole, qui devient le moteur d’une action invisible (quelques archives seulement) mais parvient merveilleusement à rendre tangible un épisode oublié – pour ne pas dire inconnu –, soit le rôle joué par l’ambassade italienne basée à Santiago du Chili, devenue le refuge de certains partisans d’Allende avant leur asile vers l’Italie. Pourquoi raconter cela maintenant ? Peut-être parce que cet élan solidaire, les Italiens et plus globalement les pays européens ont oublié qu’il fait partie de leur ADN. Comme une logique implacable et un rappel à l’ordre du présent : une fois le tournage de ce documentaire achevé, le populiste Matteo Salvini est devenu ministre de l’Intérieur du gouvernement Conte.
Thomas Baurez
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