Instant classique ce soir avec la diffusion à 22h20 sur OCS Géants de Playtime, généralement considéré comme le sommet de la filmographie de Jacques Tati, mais pas forcément le film le plus populaire du génie burlesque français, à qui l'on doit également Les vacances de Monsieur Hulot ou Mon oncle. Projet d'ampleur pharaonique pour l'époque, Playtime est l'accomplissement de la vision du cinéma de Tati, faite de jeux de miroirs et de borborygmes à peine intelligibles, mais aussi chargé d'une vision politique sur la société de consommation.Lorsque naît le projet Playtime, Tati est au sommet de son art. Ses deux précédents films ont été des succès publics et ont accumulé les récompenses tout autour du monde. Les Vacances de Monsieur Hulot reçoit le prix Louis-Delluc en 1953, et Mon oncle décroche en 1958 l'Oscar du meilleur film étranger. Mais le réalisateur pense déjà à son grand œuvre, son film suivant, qui devait réaliser tous ses fantasmes de cinéma. Ce projet, c'est Playtime, un film en six séquences se déroulant entre Paris et l'aéroport d'Orly, liées entre elles par deux personnages en fil rouge : monsieur Hulot comme toujours, et une jeune touriste américaine nommée Barbara, en séjour à Paris.Le projet de toutes les foliesPoursuivant son œuvre satirique sur le monde moderne et l'uniformisation de la société de consommation (d'où l'emploi ironique d'un titre en anglais), Tati va se laisser prendre par la folie des grandeurs. Quand le tournage débuta en 1964, Tati avait fait construire une immense ville artificielle qui se fait appeler Tativille, faute d'obtenir les autorisations satisfaisantes pour tourner à Orly et à la Défense. Les plateaux de tournage, situés à Saint-Germain-en-Laye, s'étendent à perte de vue sur un ancien terrain vague à côté des studios de Joinville-le-Pont, là où furent tournés quelques immenses classiques du cinéma comme Quai des brumes et Les enfants du paradis de Marcel Carné et La règle du jeu de Jean Renoir.Pour construire Tativille, les équipes du film auront besoin de 50.000 m3 de béton, 1.200 m² de vitres et 3.500 m² de revêtement. Les décors, eux, sont inspirés de bâtiments venant des quatre coins du monde : l'aéroport de Stockholm, des usines allemandes... Deux centrales électriques alimentent les lieux qui pourraient accueillir 15.000 habitants et même un parc automobile et un aérogare sont construits. Dans le même temps, Tati recourt à certaines techniques qui permettent à l'inverse de limiter les coups : de nombreux figurants dans certaines scènes sont en fait des reproductions photographiques agrandies !Le projet Tativille est colossal et se mue même en lieu d'exposition pour des défiles de couturier. Mais les travaux s'éternisent, s'enlisent, et engouffrent une bonne partie de l'argent généré par les bénéfices des précédents films de Tati. Pire encore, quelques jours après le début du tournage le 12 octobre 1964, une tempête ravage certains décors. Le budget enfle et enfle encore malgré les apports de revenus publicitaires nés du placement de produit, encore rare dans le cinéma français. Autre singularité : Playtime est le seul film de l'histoire du cinéma français tourné dans le très onéreux format 70mm, qui permet d'amplifier l'impression monumentale laissée par les décors du film.Lorsque le tournage se termine trois ans après ses débuts, Tati est au bord de la ruine. Il a investi énormément d'argent personnel dans l'aventure, et hypothéqué sa maison de Saint-Germain-en-Laye pour terminer le film. Le budget initial de 3 millions de francs finit autour de 15 millions (soit environ 20 millions d'euros), Le premier montage dure plus de trois heures, et doit être ramené à deux heures trente pour la sortie du film en décembre 1967, puis à deux heures et quart par la suite.Un échec public et financierMalheureusement pour Tati, le coup de poker ne sera pas récompensé. Sans doute trop en avance sur son temps, Playtime déroute, déconcerte et ne trouve pas son public. Demi-échec public, il essuie qui plus est de sévères critiques de la part d'une partie de la presse, Henri Chapier qualifiant même le film à l'époque de "navet monumental". Et pour enfoncer le clou, les États-Unis, marché sur lequel Tati comptait énormément pour rentabiliser son investissement, n'achète même pas les droits d'exploitation du film. Le cinéaste se retrouve dès lors dans une passe financière extrêmement délicate. Il doit vendre définitivement sa résidence de Saint-Germain-en-Laye, met en faillite sa société de production Specta Films et doit même mettre les droits de ses films aux enchères !Tati ne se relèvera jamais de cet échec, ses deux derniers films, Trafic et Parade, étant de facture beaucoup plus modeste. Quant aux studios Tativille, ils furent démolis dès la fin du tournage dans leur intégralité, et ce malgré les appels du pied de Jacques Tati au ministre de la culture André Malraux pour que ceux-ci soient transformés en studios pour accueillir les jeunes réalisateurs. La légende dit que, de rage, Tati jeta le scénario du film dans les décombres lors de la démolition des décors. Ne subsiste donc que le film, reconsidéré avec les années, et aujourd'hui considéré comme l'un des chefs-d'oeuvre du cinéma français, ayant inspiré de très nombreux apprentis cinéastes.Le résumé du film : Dans un Paris ultra-moderne qui commence à ressembler à n'importe quelle ville, le naïf Monsieur Hulot cherche son chef de service, Monsieur Giffard. Il assiste à l'arrivée de touristes étrangers, se perd dans un hall d'exposition de nouveautés technologiques insolites et finit dans un restaurant, "Le Royal Garden", déjà envahi par des clients alors que les travaux ne sont pas encore terminés. Là, il retrouvera enfin Monsieur Giffard. Playtime est diffusé ce soir à 22h20 sur OCS Géants.
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