Ou l'art de faire comme si les séries dérivées n'existaient pas.
Marvel et DC se livrent une bataille féroce pour conquérir le marché des super-héros sur grand écran, mais ils se rejoignent sur un point : les séries dérivées qui ont cours sur le petit écran sont une épine dans leur énorme pied. Si le groupe Disney (qui possède ABC) et le groupe Timer Warner (qui possède CBS et CW) voient clairement l'intérêt commercial d'exploiter au maximum les licences Marvel et DC sur leurs chaînes respectives, les créateurs des deux franchises ciné ne voient pas les choses du même œil.
Quand il sort Captain America 2 (en mars 2014) et déruit au passage le SHIELD, le patron du Marvel Cinematic Universe, Kevin Feige, fait ainsi peu de cas de ce qui pourra arriver à la série dérivée, Agents of SHIELD, lancée six mois plus tôt. Clark Gregg, passé des Avengers au petit écran, le confie aujourd'hui avec une pointe d'amertume : "Lorsque Marvel a décidé de détruire carrément, au cinéma, l'organisation d'après laquelle notre série est nommée, nous, on a dû se débrouiller avec ça après !"
Si officiellement, Agents of SHIELD se déroule donc dans le même univers que les Avengers, tout comme Agent Carter ou les séries Netflix (Daredevil et Jessica Jones), la relation est à sens unique. Concrètement, les séries Marvel font constamment référence aux films, pour insister sur le fait que les deux sont liés. Mais le Marvel Cinematic Universe, lui, ignore invariablement ses shows. Les fans des comics l'ont bien compris et Agents of SHIELD est devenu, après deux saisons, la risée du web, brocardée comme un rejeton non-désiré des Avengers, dont il faut bien s'occuper, de temps en temps, malgré tout.
Alors pour faire genre, Marvel envoie parfois quelques seconds couteaux de son univers à ce bon vieux Coulson, comme Sif (la copine de Thor), Nick Fury ou son bras droit Maria Hill. Pas très excitant. Ceux qui pensaient, au départ, voir Chris Hemsworth, Robert Downey Jr. ou Chris Evans, faire un tour de temps en temps dans Agents of SHIELD, l'ont bien compris aujourd'hui : jamais ils ne viendront. Trop cher. Trop compliqué à mettre en place. Et sans intérêt pour la franchise ciné.
A l'inverse, le Marvel Cinematic Universe prend soin de ne jamais mentionner des éléments qui se seraient déroulés dans la série. Logique : pas question d'exclure tous ceux qui ne regardent pas le TV Show et perdre ainsi des spectateurs en route. Tant pis si Agents of SHIELD en a déjà parlé, on recommence tout, comme si de rien n'était. Clark Gregg a fini par accepter cet état de fait et ne se fait plus d'illusions. Ainsi, même si la série introduit Les Inhumains depuis des mois, il y a fort à parier que Marvel ignorera tout ce qui a pu être dit sur le petit écran, lorsque le film sortira (en juillet 2019) : "A mon avis, le film Les Inhumains va livrer sa propre version des personnages. Le scénariste et le réalisateur (qui n'ont pas encore été choisis, NDLR) ont le champ libre pour faire ce qu'ils veulent avec. Mais avec un peu de chance, on espère que nos Inhumains seront quand même un peu connectés à tout ça. Ce serait dommage que toute notre histoire soit jetée à la poubelle", confiait Gregg récemment.
Le Marvel Cinematic Universe n'est tout simplement pas enclin à s'appuyer sur ses enfants du petit écran et leur laisse donc juste des miettes. Comme lorsque l'Agent Carter s'occupe de lancer le concept de Darkforce, une mystérieuse énergie qui va prendre de plus en plus de place dans la phase 3, au cinéma. "Ce sera notre lien avec l'univers de Docteur Strange", avance la showrunner Michele Fazekas. Bien maigre.
C'est probablement encore plus compliqué pour le Multiverse DC Comics, qui a déjà pris ses aises à la télévision, avant même d'être développé au cinéma. Supergirl, Arrow, The Flash et Legends of Tomorrow existent déjà depuis plusieurs saisons, ont une histoire riche, des personnages installés... Comment prendre tout ça en compte, dans la franchise ciné que lancera le film Batman v Superman ? Impossible, semblent avoir décidé les producteurs chez Warner Bros. Aligner toutes ces planètes aurait tout du Rubik's cube en collants moulants.
Alors non, Stephen Amell ne donnera probablement jamais la réplique à Ben Affleck, sur grand écran. Ce n'est pas faute d'insister, puisque, depuis quelques années déjà, l'acteur vedette de CW lance des perches à Warner, en espérant gratter un spot dans la Justice League : "Tout ce que nous devons faire pour que ça se produise, ou juste que ça devienne une possibilité, c'est de continuer à prendre soin de notre show. Alors, on se mettra en position", confiait-il en 2014.
Mais les choses ne sont pas allées dans la direction qu'il espérait. Comme Marvel, DC a fait le choix d'ignorer ses séries et l'a fait savoir concrètement en recrutant Ezra Miller, l'an dernier, pour jouer The Flash, dans le nouveau blockbuster. Grant Gustin ouvertement snobé, le message est clair et Stephen Amell l'a entendu : si le Green Arrow venait à être dans Justice League, il ne serait certainement pas joué par l'acteur de la télé. Alors Amell est monté au créneau et a vivement réagi, dans le Wall Street Journal : "Oui, bien sûr que je trouve ça curieux. J'ai vraiment le sentiment que Grant Gustin aurait dû faire ce film." Mais le principal intéressé, lui, a été prié de ne pas en rajouter. Humiliation suprême, Gustin a même dû féliciter et soutenir son remplaçant du grand écran, vilipendé par les fans des séries DC : "Je soutiens complètement Ezra Miller en tant que version cinématographique de Barry Allen et du Flash", a écrit l'acteur sur son Facebook. "Je ne l’ai jamais rencontré mais je trouve que c’est un acteur intéressant et fantastique."
L'actrice Cynthia Addai-Robinson a certainement dû ressentir la même chose quand DC a recruté Viola Davis pour reprendre son rôle d'Amanda Waller, dans Suicide Squad. DC va même plus loin aujourd'hui et donne ouvertement la priorité à sa franchise ciné, qui peut interdire maintenant à ses shows d'utiliser certains personnages, prévus pour les films. Ainsi, le producteur Marc Guggenheim a avoué cette semaine, sur les réseaux sociaux, que Slade Wilson (Deathstroke) ne pourrait plus revenir dans Arrow pour cette raison.
Chez Marvel, Charlie Cox voit aussi le coup venir, : "Je n'ai pas reçu d'appel (pour le film Avengers 3 : Infinity War). Ce serait la chose la plus cool du monde si ça arrivait. Mais je dois dire que je ne sais pas du tout comment ils fonctionnent. Vous savez, Marvel Studios et Marvel TV sont deux entités tellement différentes. Même si le personnage de Daredevil apparaît dans le film, cela ne signifie pas pour autant que j'en serais." Comprenez : le Marvel Cinematic Universe pourrait décider de snober les personnages Netflix et caster ses propres Daredevil ou Jessica Jones.
Pas très fair-play, quand on voit à quel point les séries dérivées font vivre l'histoire des films, à l'année, auprès des spectateurs. Alors elles commencent à envisager les choses sous un angle différent. Si les producteurs des films Marvel et DC refusent de les inviter dans leur univers ciné, les super-séries vont créer leur propre Multiverse sur le petit écran. Netflix a lancé de son côté une Jessica Jones sombre et tordue, pour accompagner Daredevil. Et ils retrouveront bientôt Iron Fist et Luke Cage, pour faire leurs Avengers à eux, nommés les Defenders. Les Agents du SHIELD, eux, ont le support de l'Agent Carter depuis l'an dernier, et vont s'étendre à la rentrée avec Most Wanted, un spin-off centré sur Mockingbird. Chez DC Comics, le Multiverse TV est déjà bien installé. The Flash et Arrow se rendent visite très régulièrement. Et prochainement, la petite dernière, Supergirl, aura aussi droit à son crossover. Les univers ciné de Marvel et DC finiront donc immanquablement par se retrouver en concurrence avec leurs univers télé. Et Disney et Time Warner devront alors sans doute faire un choix.
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