20 : Cluedo (Jonathan Lynn, 1986)
Parodie méta, rigolote mais pas très cuite du whodunit victorien à gros casting, Cluedo est l’adaptation très officielle du jeu de société légendaire. Qui est l’assassin ? Le professeur Violet (Christopher « Doc Brown » Lloyd) ? Le colonel Moutarde ? Le majordome (Tim Curry) ? Le gimmick : le film possède trois fins différentes. L’anecdote : Rowan Atkinson et Carrie Fisher ont failli jouer dedans.
19 : 8 Femmes (François Ozon, 2002)
François Ozon convoque les ombres de Sirk, Cukor et Fassbinder pour un mélo pompier maquillé en murder mystery. Les rouges et les verts pètent, ça chante, ça danse, ça s’épie, ça dégoise pour découvrir qui a tué le maître de maison. Les rôles sont distribués en fonction de l’importance des actrices dans l’histoire du cinéma français. Danielle Darrieux joue la matriarche, Catherine Deneuve sa fille aînée (comme dans Les Demoiselles de Rochefort), Isabelle Huppert sa fille cadette, Fanny Ardant, l’électron libre... Chic.
18 : Gosford Park (Robert Altman, 2002)
Julian Fellowes, le scénariste de ce polar très british et futur créateur de Downton Abbey, revendique deux influences : le très français Jean Renoir et sa Règle du jeu pour la confrontation dans une grande propriété des aristocrates et des domestiques, et l’incontournable Agatha Christie pour l’enquête de police façon Cluedo. Sur le modèle du « Qui a donc assassiné le maître des lieux ? », Robert Altman maîtrise ici, en virtuose, l’art des faux semblants et des vraies rancoeurs.
17 : Le nom de la rose (Jean-Jacques Annaud, 1986)
L’histoire raconte que c’est pour rendre la scolastique plus fun auprès de ses étudiants qu’Umberto Eco a écrit Le Nom de la rose, thriller médiéval dont le succès a largement dépassé les cercles universitaires. Annaud, qui vient alors de signer un film tout en éructations préhistoriques, convainc James Bond de mettre une soutane pour jouer les Sherlock Holmes moyenâgeux. Du sexe, des morts étranges, des suspects et, en bout de course, le théâtre du crime qui brûle non sans avoir dévoilé tous ses mystères.
16 : Mort sur le Nil (John Guillermin, 1978)
En attendant la version Kenneth Branagh prévue pour 2020 de Mort sur le Nil, vous pouvez passer une soirée sympa devant celle signée par le réalisateur de La Tour infernale, où Peter Ustinov essaie de savoir, au son de la musique de Nino Rota, qui a tué une riche héritière sous le soleil d’Égypte : Jane Birkin, Maggie Smith, Mia Farrow, Bette Davis ? Vainqueur de l’Oscar 1979 des meilleurs costumes.
15 : Le Mystère de la chambre jaune (Bruno Podalydès, 2003)
À défaut d’adapter Les Aventures de Tintin, Bruno Podalydès s’est rabattu sur Rouletabille, le petit reporter enquêteur qui a inspiré Hergé. L’action se situe dans un château, dans la fameuse chambre jaune où une tentative d’assassinat a eu lieu. Comment le meurtrier en puissance a-t-il pu s’échapper de l’endroit, fermé de l’intérieur ? La petite musique décalée des frères Podalydès (Denis joue Rouletabille) se marie à merveille à la mécanique parfaitement huilée du roman de Gaston Leroux.
14 : Piège mortel (Sidney Lumet, 1983)
Un auteur enchaînant les bides, sa femme cardiaque et l’un de ses brillants étudiants à qui il veut piquer sa nouvelle pièce avant de s’en débarrasser... Voilà le trio de départ de ce délicieux film manipulateur qui joue non sans superbe avec les certitudes des spectateurs. Qui veut tuer qui ? That’s the question de cette adaptation d’un triomphe de Broadway signé Ira Levin (Rosemary’s Baby) dans laquelle Michael Caine campe un personnage proche de celui de Laurence Olivier dans Le Limier. Si bien que certains ont cru alors à son remake, que Caine jouera en 2007. Vous suivez ?
13 : Les 8 Salopards (Quentin Tarantino, 2016)
Qui est le complice de Daisy Domergue ? Qui a empoisonné le café de la mercerie de Minnie ? Quentin Tarantino s’inspire d’Agatha Christie et de John Carpenter (The Thing), mais aussi de nombreuses séries western dont il est le seul à se souvenir (Fair Game, le 25e épisode de la première saison de The Rebel), pour enfermer huit crapules (en fait, un peu plus...) dans une cahute en plein blizzard et les faire cuisiner par le major Marquis Warren, rejeton inattendu d’Hercule Poirot et Lee Van Cleef. Après la fin du tournage, QT se fit projeter Le Crime de l’Orient-Express au New Beverly, son cinéma à LA. Incroyable mais vrai : il ne l’avait jamais vu !
12 : Les Invitations dangereuses (Herbert Ross, 1973)
Ce film coécrit par Anthony Perkins et Stephen Sondheim (Sweeney Todd) met en scène un réalisateur qui convie sur son yacht six personnalités de Hollywood pour participer à un jeu servant soi-disant de point de départ à son nouveau projet. Mais il s’avère que c’est un moyen de trouver l’auteur de l’accident qui a coûté la vie à sa femme. Un pur film méta où James Mason, Richard Benjamin et Raquel Welch jouent des personnages inspirés par Orson Welles, Perkins et Ann-Margret. « Une merveille », nous a confié Rian Johnson le mois dernier. On souscrit.
11 : Usual Suspects (Bryan Singer, 1995)
Mais qui est Keyser Söze ? Bryan Singer réussit un brillant polar dont le retournement de situation final laisse le souffle coupé. Cinq délinquants se rencontrent lors d’une parade d’identification pour accomplir le plan d’un génie du crime. Le film révéla au grand public Kevin Spacey et Benicio Del Toro, mais surtout le talent de scénariste de Christopher McQuarrie – futur réalisateur de deux Mission : Impossible – récompensé alors par un Oscar.
10 : Memento (Christopher Nolan, 2000)
« John G. a violé et tué ma femme » est-il tatoué sur le torse d’un héros à la mémoire immédiate défaillante. Ici, le champ d’investigation se limite à quelques lieux : un motel, une chambre, un bout de rue, une grange à l’abandon... qui se réinventent au gré des fluctuations d’un esprit fragilisé. En 2000, l’explosion d’internet et du marché de la vidéo change la manière de « consommer » les images, la structure complexe et ludique du film de Nolan propulse le cinéma dans une nouvelle modernité.
09 : L’Assassin habite au 21 (Henri-Georges Clouzot, 1942)
« Mesdames et messieurs, l’assassin est l’un de vous », pérore Pierre Fresnay en robe de chambre, interpellant les locataires de la pension des Mimosas. Le commissaire Wens va-t-il parvenir à coincer le serial killer qui signe ses meurtres d’une carte au nom de « Monsieur Durand » ? Avec ce premier long métrage, Henri-Georges Clouzot impose son sens « diabolique » du suspense et le cynisme de ses retournements de situation.
08 : Laura (Otto Preminger, 1944)
Et si l’un des chefs-d’oeuvre du film noir n’en était pas vraiment un, du moins, pas seulement ? Laura est un film coupé en deux. D’abord, un récit parsemé de « je me souviens », donc de flash-back et de voix off, où chacun essaie de se consoler de la mort de Laura (Gene Tierney). À mi-film pourtant, Laura revient tel un spectre fatal. Et l’inspecteur amoureux (Dana Andrews) de jouer les Hercule Poirot, invitant bientôt tout le gratin du film dans la luxueuse garçonnière de la supposée victime pour leur annoncer fièrement : « Ça y est, je sais qui a fait le coup ! »
07 : Marie-Octobre (Julien Duvivier, 1959)
Danielle Darrieux face à une pléiade de stars masculines (Meurisse, Blier, Ventura, Reggiani...). C’est toute l’originalité de ce huis clos dont l’objet est non pas la résolution d’un meurtre, mais celle d’une trahison dont se serait rendu coupable l’un des ex-membres d’un réseau de la Résistance envers leur chef, tué par la Gestapo. L’ombre du passé collabo de la France pèse sur cette adaptation du roman éponyme de Jacques Robert, paru en 1948. Un grand thriller en forme de catharsis nationale.
06 : À Couteaux tirés (Rian Johnson, 2019)
Alors que Kenneth Branagh vient de remettre Agatha Christie au goût du jour (Le Crime de l’Orient-Express millésime 2017), Rian Johnson fait péter les coutures du Cluedo movie avec ce film ludique, joyeux, irrévérencieux, où chacun des passages obligés (le huis clos, le suspense sur l’identité du meurtrier, le casting de stars...) est dynamité avec une énergie iconoclaste franchement réjouissante. Rian Johnson rappelle ce faisant que le véritable horizon du genre est le plaisir pur du spectateur. Sinon, à quoi bon ?
05 : Le Crime de l'Orient-Express (Sidney Lumet, 1975)
La plus célèbre, luxueuse et réussie des adaptations d’Agatha Christie. Une intrigue géniale, un aréopage de stars (Ingrid Bergman, Lauren Bacall, Sean Connery...) emmené par un Albert Finney déchaîné. De loin, ça a l’air facile, une récréation pour Sidney Lumet entre Serpico et Un après-midi de chien. Pourtant, dans Faire un film, son bréviaire légendaire où il transmet aux générations futures l’art de la mise en scène, Le Crime de l’Orient Express est l’un des films sur lequel le cinéaste s’attarde le plus, en dévoilant dans le détail les secrets de fabrication. De près, on comprend que ce n’était pas simple du tout.
04 : Lifeboat (Alfred Hitchcock, 1944)
Dans ce film entièrement situé dans un canot de sauvetage, le fan d’Hitchcock se demandait bien par où le cinéaste allait apparaître. Sa malicieuse présence n’en est que plus amusante. Lifeboat est pourtant un film de commande très sérieux censé glorifier la politique des Alliés face au nazisme, sur lequel a même planché John Steinbeck. Le réalisateur contourne l’exercice en signant un thriller retors en diable où, dans ce frêle esquif, l’humanité – du moins ce qu’il en reste –, fait peine à voir.
03 : Dix petits indiens (René Clair, 1947)
C’est bel et bien le Frenchy René Clair qui fut le tout premier à porter à l’écran Dix Petits Nègres pour clore sa période américaine. Une intrigue imparable où les personnages se font dessouder les uns après les autres, et dont le réalisateur sait magnifier l’ambiance mystérieuse et intrigante façon jeu du chat et de la souris en jouant sur les éclairages et les gros plans. Il privilégie aussi une fin « heureuse », celle de la pièce plutôt que celle du roman.
02 : Reservoir Dogs (Quentin Tarantino, 1992)
Une bande de malfrats en costard règlent leurs comptes après un braquage sanglant. Qui les a balancés ? Honnêtement, on s’en tape un peu : ce qui compte, c’est que Tarantino livre l’un des meilleurs premiers films de l’histoire des premiers films, et pose tout son style d’un coup : cinéphilie suraiguisée, dialogues au napalm, acteurs cabotins déchaînés, playlist d’enfer. « Just keep on truckin’. »
01 : Le limier (Joseph L. Mankiewicz, 1973)
Le générique est un spoiler en soi. Pour tromper l’ennemi, Mankiewicz a donc grossi volontairement la liste artistique de noms fantaisistes. Après être sorti lessivé de son Cléopâtre, le cinéaste a affirmé qu’il ne tournerait plus que des films dans une cabine téléphonique avec deux personnages. Il réalise son rêve avec ce Limier, son ultime opus. La cabine téléphonique est certes un beau manoir anglais mais – (presque) seuls au monde – il y a Michael Caine versus Laurence Olivier, soit la classe anglaise venue des bas-fonds contre l’acteur shakespearien de respectueuse lignée. Ici, Caine est un coiffeur et Olivier un auteur à succès. Le jeu est de voir comment ce rapport de classe peut, sinon s’inverser, du moins être contrebalancé. Un crime que l'on croyait pourtant ne pas en être un, va faire imploser de l’intérieur le face-à-face. Le Limier est le genre de film casse-tête dont on cherche inlassablement les clés que l’on n’aurait pas vues la première fois. Un film qui envisage le monde comme un vaste trompe-l’oeil. Ultime. Forcément ultime. Et le piètre remake de Kenneth Branagh n’y a rien changé.
Bienvenue dans l’univers du murder mystery, parfois tragique, souvent drôle et toujours ludique. À l’occasion de la sortie d’À couteaux tirés, qui remet brillamment le genre au centre du jeu, coup de projecteur sur nos whodunit préférés.
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