Xavier Legrand aux César 2019
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La 44ème cérémonie des César fut engagée et a snobé les favoris pour mieux récompenser les outsiders.

Ca commençait bien. Kad imitant Freddy Mercury, parcourant la salle un peu froide avec sa toque fourrure et sa belle moustache chevron : c’était drôle. Une ouverture avec de la gueule, rythmée, à l'ancienne. Surtout, on pouvait voir dans cette référence à Bohemian Rhapsody la promesse d’une soirée qui allait réconcilier public et profession, critique et spectateurs, dans une grande messe électrique et festive. La salle Pleyel allait-elle devenir le Wembley d’un soir ?

Très vite, tout a pourtant pris une direction contraire. Et d’abord à cause des choix de l’Académie.

On le sait. Le palmarès des César a parfois cette faculté de déjouer les hiérarchies, les attentes pour mieux promouvoir des outsiders qui en disent plus long sur l’industrie et l’époque que les favoris. Le cinéma comme témoin de premières loges et principal catalyseur du zeitgeist ? En décernant quatre César - dont celui, suprême, du meilleur film - à Jusqu’à la garde plutôt qu’au Grand Bain, les votants ont récompensé un premier film au sujet fort, clairement moins fédérateur et moins feel good que les séances de natations synchro des quinquagénaires dépressifs. Le plébiscite de ce thriller sur les violences conjugales a évidemment une valeur politique dans un contexte de libération de la parole sur les violences faites aux femmes. De la même manière, les deux César des Chatouilles (meilleure adaptation, meilleure actrice dans un second rôle) viennent récompenser un sujet polémique. 

Et plus que les gags qui émaillèrent la Cérémonie, on retiendra d'abord la force des discours de remerciements qui donnaient une voix, une présence, à ceux et surtout celles qui n’en ont plus.

Il y eut les mots de Xavier Legrand recevant son prix du scénario : « Quand on a tourné le film en 2016, il y avait 123 femmes qui avaient été assassinées par leur conjoint et ex-conjoint. Aujourd’hui, depuis le 1er janvier 2019, 25 femmes ont été assassinées, ce qui veut dire qu’on est passé à une femme tous les deux jours, alors qu’en 2016 c’était une tous les trois jours ».
Le discours de Karin Viard acceptant le César de la meilleure actrice dans un rôle féminin en évoquant « cette mère toxique » qui venait sur scène après sa réalisatrice Andréa Bescond expliquant que « peut-être qu'un jour on va bousculer les tabous, on va rompre les silences, peut-être qu'on va vraiment parler et entendre nos enfants. Peut-être qu'un jour ce ne sera qu'un souvenir lointain et mauvais. »
Ce fut aussi l’émotion de Léa Drucker soulevant son prix d’interprétation féminine avant de rappeler que « la violence commence par les mots. Même les plus ordinaires et les plus banals peuvent constituer le début d'une menace. Ces mots sont le reflet d'une pensée dont on n'a pas conscience mais qu'il faut combattre. Je suis fière de ce récit de l'envol d'une femme raconté par un homme. Je voudrais saluer toutes celles qui défendent la cause des femmes malgré les torrents d'insultes. Elles m'ont éveillée. »
Entre autres.

Les vidéos des discours engagés des César 2019

Les César de l’année n’auraient donc été qu’une prime aux sujets sociaux ? Un spot de prévention contre la pédophilie ou les féminicides ? Pas seulement. Car le César du meilleur film à Jusqu’à la garde, c’est d’abord la reconnaissance de la naissance d’un cinéaste impressionnant. Le film est un coup de maître stylistique, une leçon de mise en scène où le son, le cadre, la direction d’acteurs, le script renforcent sa force vertueuse. Legrand signe un film qui évite constamment le prêche pour muter en pur thriller kubrickien (ou carpenterien), embarquant le spectateur dans l'angoisse quotidienne des victimes.
Le prix pour Léa Drucker récompensait une prestation démente et mettait en lumière une actrice discrète qui trace sa route avec rigueur et constance. Et rien de plus légitime que Karin Viard recevant son troisième César pour un rôle douloureux incarné avec une précision folle.

Accessoirement on notera que les Césars de Jusqu’à la garde sont un beau pied de nez à… Cannes. Le festival avait snobé le film de Legrand ou en tout cas refusé de manière incompréhensible de le prendre en compétition. Le cinéaste a d’ailleurs profité de son temps de parole pour remercier le festival de Venise alors que Thierry Frémaux et Pierre Lescure étaient dans la salle.

Les deux autres heureux de la soirée furent d’un côté Jean-Bernard Marlin dont le Shéhérazade remporte trois statuettes qui récompensent un ovni conjuguant film de genre, réalisme, love story avec une énergie folle. Et de l’autre Alex Lutz qui part avec le prix du meilleur acteur. Une évidence tant son beau Guy est d'abord une performance comme on n'en voit peu dans le cinéma hexagonal. Les taches sur la peau, l’élocution hésitante, ironique et moqueuse, la bouche un peu tordue, cette manière de fumer, les regards vides et lassés, la démarche hésitante… L'interprétation de Guy est le noyau de ce film doux et amer justement récompensé.  


 

Reste l’inexplicable rejet du Grand Bain. Le film de Gilles Lelouche est reparti avec le seul César (mérité par ailleurs) du Meilleur acteur dans un second rôle pour Philippe Katerine (son apparition lunaire fut d’ailleurs l’un des meilleurs moments de la soirée). Trop grand public ? Trop frivole ? Trop de succès ? Idem pour Pupille qui aurait pu repartir primé... Entre les trois César de Shéhérazade, les quatre statuettes de Jusqu'à la garde, on a l'impression que, au-delà des sujets, l'Académie a sans doute cherché à promouvoir du sang neuf, à mettre en avant la diversité d'une nouvelle génération.  

D'ailleurs, au-delà des César du meilleur son, meilleur décor et meilleure image, on s’étonnait un peu du prix reçu par Jacques Audiard qui récupère le César du meilleur réalisateur pour l’un de ses films (les Frères Sisters) les moins audacieux - comme pour l'installer un peu plus dans le rôle du parrain et le consoler de n'avoir rien gagné lors des festivals internationaux... Même lui semblait surpris sur scène. 

Et sinon ? Sinon, comme d’habitude. Des hauts (peu) et des bas (beaucoup), une cérémonie trop longue, avec ses moments gênants – on coupe le discours politique de Michel Barthelemy, le décorateur d'Audiard, on fait monter le père de Kad Merad pour remettre le prix du public, Elie Semoun vient en slip –, les poncifs de circonstance ponctuellement striés par les séquences émotions consternantes consacrées aux disparus de l’année (Michel Legrand et Charles Aznavour massacrés sur scène par Cécile Cassel et Stéfi Selma reprenant La Chanson d'un jour d'été et Eddy de Pretto remixant J'me voyais déjà). Il y eut aussi quelques bonnes vannes et Gérard Darmon ou Philippe Katerine qui restent des valeurs sures pour assurer n'importe quel show télé. Heureusement. 

 

Les moments les plus drôles de la cérémonie des César

Mais pour une fois, vu les rumeurs catastrophiques et l'absence de présentateurs, la cérémonie des Oscars de dimanche pourraient bien être encore moins divertissante que cette 44ème édition des César. On demanderait bien son avis à Robert Redford, qui a quand même eu l'air de s'ennuyer ferme pendant toute la soirée et dont le discours de remerciement pour son César d'honneur était presque le plus soporifique du show. Un comble...