Nous avions rencontré l'acteur à l'occasion de sa masterclass à la Cinémathèque française, en 2018.
James Caan est décédé ce jeudi à l'âge de 82 ans. En 2018, il était de passage à Paris pour une leçon de cinéma (à voir sur le site de la Cinémathèque française), et Première en avait profité pour revenir avec lui sa riche carrière. Un entretien sans fard où il revenait sur son embrouille avec John Wayne, sa découverte de Michael Mann, sa relation avec Francis Ford Coppola mais aussi son passage à vide, suite au décès de sa soeur en 1981.
Première : Pour accompagner votre masterclass, la Cinémathèque a projeté Le Solitaire (Michael Mann, 1981)… C’est vous qui avez choisi ce film ?
James Caan : Non, j’aurais préféré qu’ils montrent celui que j’ai réalisé (L’impossible témoin, 1980), pour pouvoir expliquer mes partis-pris, mes choix de mise en scène… Mais Le Solitaire, ça me va très bien !
Vous avez presque découvert Michael Mann, en fait…
Pas « presque ». Totalement ! Ecris ça noir sur blanc : j’ai découvert Michael Mann ! J’étais en train de tourner ce film, Chapitre deux, et il faisait le pied de grue devant ma caravane. Il m’a donné son script à lire… Un sacré truc, tellement dense qu’il n’a pas pu en tourner l’intégralité. Il a fait Heat avec les restes ! A l’époque, il n’avait encore rien signé, à part ce téléfilm, Comme un homme libre. Moi, j’étais un big shot, je faisais ce que je voulais. J’ai appelé Jerry Bruckheimer pour qu’il le produise, avec mon frère Ronnie. J’adore ce film. Michael Mann est complètement accro au boulot. Il peut avoir des attitudes dictatoriales, parfois, mais il est OK.
C’est juste après ce film, alors que vous êtes au sommet, que vous disparaissez des radars…
Tout a merdé. J’étais au top, j’avais fait plusieurs films qui avaient bien marché, peut-être pas au niveau du Parrain, mais bon, ça allait... Mais la mort de ma sœur m’a brisé. Je l’adorais, c’était ma meilleure amie. La seule personne qui me faisait peur. Je ne crains personne, vous savez, je pourrais affronter un lion ! Il n’y a qu’elle qui pouvait me faire baisser les yeux. Alors j’ai tout plaqué. J’ai enseigné le base-ball et le football à des gamins pendant cinq ans. Et pendant ce temps, je me faisais plumer par mon cousin ! Il m’a tout pris, mon fric, ma retraite, tout ! Au bout d’un moment, il a fallu que je retourne bosser. Et j’ai réalisé que quand tu as le dos tourné, les gens de Hollywood ne sont pas en train de se languir de ton absence. Non, ils pensent juste que tu es mort ! J’étais fauché, oublié, j’ai dû accepter des films que je n’aurais pas faits avant. J’adore Arnold, hein, mais L’Effaceur, ce n’est pas forcément mon idéal de cinéma…
C’est votre vieil ami Coppola qui signe le film de votre come-back, Jardins de Pierre, en 88...
Oh, c’est un trop mauvais souvenir, ça, je n’ai pas envie d’en parler. J’aurais préféré que la Cinémathèque ne le montre pas, celui-là, par respect pour Francis. Il faut imaginer : il était en train de faire ce film sur le cimetière d’Arlington, et son fils meurt au beau milieu du tournage… (Gio Coppola est mort dans un accident de bateau, à 22 ans, en 1986). Ce gamin que je connaissais depuis toujours, qui trainait dans la salle de montage du Parrain… Francis a fini Jardins de Pierre, il voulait se réfugier dans le travail, mais il n’a pas pu mener à bien sa vision. Tous les soirs, il écrivait une lettre à Gio. Il n’a plus jamais été le même après ça… Au-delà de cette tragédie, je crois que Francis n’a pas eu le destin de cinéma dont il rêvait. Il voulait une carrière à la Woody Allen, en fait, enchaîner les petits films comme Conversation secrète. Et boum !, le succès monstrueux du Parrain lui est tombé dessus. Ça l’a fait dérailler. Quand je le vois faire ce film avec Robin Williams (Jack, 1996), je me dis : « Non, Francis, pas ça ! Pas toi ! »
Dans quel état étiez-vous après le succès du Parrain ? Ça faisait quel effet à un jeune acteur de trente ans d’être au générique du plus grand succès de tous les temps ?
C’était pas désagréable ! (Rires) Le seul problème, c’est qu’après ça, je ne recevais plus que des scripts où il y avait déjà 20 types dessoudés avant la page 12. « Il faut buter quelqu’un ? Appelons Jimmy ! » (Rires) J’ai chanté et dansé avec Barbra Streisand (dans Funny Lady, 1975) mais tout le monde s’en foutait. Bon, le succès du Parrain, c’est surtout une question pour Al… Moi, j’avais déjà un peu de métier. Je jouais face à John Wayne et Robert Mitchum à 22 ou 23 ans (dans El Dorado, Howard Hawks, 1967).
Vous êtes l’un des rares acteurs de votre génération à avoir fait la transition entre le Vieil et le Nouvel Hollywood…
Ah oui ? Hum. Intéressant. Un critique a dit un jour que j’ai réussi l’exploit de tourner dans un gros carton par décennie depuis les sixties. Bon, le dernier, c’était Elfe (Jon Favreau, 2003), ça commence à dater ! (Rires)
Il paraît que vous avez failli en venir aux mains avec John Wayne pendant le tournage d’El Dorado, c’est vrai ?
Oui. C’est Mitchum qui nous a séparés. Wayne n’arrêtait pas de me chercher, d’essayer de m’intimider, il voulait voir ce que j’avais dans le ventre. Mais je ne me laissais pas faire et je crois que ça lui a plu. Tout ça s’est très bien terminé et je garde un excellent souvenir du tournage. Hawks était impayable, un vrai personnage de cartoon. Il organisait ces diners incroyables tous les soirs. John Wayne avait fait venir le cuisinier de son yacht, on mangeait dans cette immense tente blanche plantée au milieu de notre petite ville western, avec ces putains de verre en cristal… J’en croyais pas mes yeux ! La première semaine de tournage, c’était juste Wayne et moi. J’avais débarqué avec l’énergie des jeunes acteurs, qui abordent tous les rôles comme si c’était Hamlet. Mais on m’a juste demandé de faire le truc le plus dur du monde pour un comédien : écouter son partenaire causer. Et Wayne avait quand même une diction très particulière (il se met à l’imiter). Du coup, je souriais tout le temps en l’écoutant, je ne pouvais pas m’en empêcher ! Mitchum s’est foutu de moi quand il a vu les rushs : « Hey, pourquoi tu souris tout le temps, Jimini Cricket ? » - il m’appelait Jimini Cricket. Et c’est vrai, revoyez le film : j’ai toujours ce sourire idiot. Et ce drôle de chapeau.
Avant El Dorado, Hawks vous avait choisi pour Ligne Rouge 7000 (1965)…
Oui, mais ça c’était horrible. Un ratage complet. Je suis le seul acteur du film à m’en être relevé !
Vous aviez des idoles de cinéma quand vous étiez jeune ?
Non, je m’en foutais complètement ! Mon truc, c’était le football. Je cherchais une échappatoire, tout faire pour ne pas travailler dans le commerce de la viande. Mon parrain et mon grand-oncle possédaient une chambre froide, sur la 14ème Rue. On se les gelait là-dedans, mais moins qu’au bord de l’East River, où on débarquait des carcasses de bœuf de 150 kilos par – 15°C. Je rêvais de faire autre chose de ma vie. Et il se trouve que j’ai toujours aimé faire le clown, faire marrer les copains. Encore aujourd’hui, d’ailleurs. Ma femme dit que je suis cinglé.
Mark Wahlberg adore Le Flambeur (Karel Reisz, 1974), l’un de vos plus beaux films. Vous avez vu le remake qu’il en a tiré ?
Mark est un ami. Un mec bien, vraiment intelligent. Il m’a appelé pour me demander l’autorisation de refaire Le Flambeur. Je lui ai dit : « L’autorisation ? Mais t’es con ou quoi ? Tu fais ce que tu veux ! » Bon… Il se trouve qu’il n’a pas vraiment compris le monde du jeu, ni ce sentiment dostoïevskien que Karel Reisz essayait de faire passer, cette idée que 2 + 2 peuvent faire 5… Il m’a organisé une projection privée. Le genre de truc où tu es coincé. Si tu n’aimes pas, tu risques de te fâcher avec un copain. Si tu aimes, ils vont penser que tu dis ça pour être gentil…
Vieil Hollywood, Nouvel Hollywood, ça avait du sens pour vous ces distinctions, à l’époque ?
Bof. C’est sûr que quand on tournait Les Gens de la Pluie avec Coppola (1969), on sentait qu’un vent nouveau soufflait. C’était un road-movie qui se construisait sur la route, au fil de notre voyage. Une étude de l’émancipation de la femme au foyer américaine. On était une toute petite équipe, on voyageait en caravane, George Lucas était là aussi, tout jeunot… Mais c’est surtout aujourd’hui que Hollywood a changé, je trouve. Avant, les gens à la tête des studios aimaient vraiment le cinéma. Ils gagnaient leur vie grâce à ça. Désormais, pour eux, c’est secondaire, ça passe après les réfrigérateurs ou les téléphones ou je ne sais quoi. Ils ne sont pas dans le monde du cinéma, mais dans le monde des affaires. Et ils produisent des films avec des catcheurs qui jouent la comédie comme des savates.
Et vous, vous vous sentez comment au milieu de tout ça ?
Bah, une chose est sûre : je n’emballe plus la fille à la fin ! Je ne me bats pas non plus contre des animaux préhistoriques géants. Et j’ai la nausée quand on m’accroche à un câble, alors… J’angoisse un peu pour mes enfants. J’ai quatre garçons, dont deux sont acteurs, et je sais qu’ils n’auront jamais les opportunités incroyables que j’ai eues. Bon, j’avoue que j’ai été gâté, j’ai eu droit au Parrain : le meilleur script, le meilleur réalisateur, les meilleurs partenaires. Le meilleur film, quoi ! J’avoue que je suis flatté quand des jeunes gars comme Mark, ou Leonardo, viennent me demander conseil, me témoigner leur admiration. J’ai essayé de faire le moins de mauvais films possibles, même si parfois, il fallait bien faire bouillir la marmite. Aujourd’hui, je ne sais pas… Je viens de l’époque où les films avaient un début, un milieu et une fin.
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