Polanski_Cesar2020
45eme cérémonie des César/Canal+

Au cours d’une cérémonie suintant le malaise et la colère, le cinéma français a d’abord récusé Roman Polanski avant de le célébrer.

"Un César pour Roman Polanski serait un mauvais symbole", estimait Franck Riester au micro de France Info à quelques heures du coup d’envoi de la 45ème cérémonie des César. "Par rapport à la nécessaire prise de conscience que nous devons tous avoir dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, c’est à chacun et chacune des votants (...) de prendre ses responsabilités", poursuivait le ministre de la Culture. Les votants ont donc "pris leurs responsabilités" et c’est ce "mauvais symbole" qui a fini par triompher, le prix de la meilleure réalisation ayant été décerné à l’auteur de J’accuse. Un choix qui a déclenché la colère de l’actrice Adèle Haenel, nommée pour Portrait de la jeune fille en feu et figure de proue de la lutte contre les violences sexuelles, qui a quitté la salle en criant : "C’est la honte". Il y a quelques jours, dans le New York Times, l’actrice, visage phare des cérémonies des César depuis des années (elle a été nommée sept fois en douze ans, a remporté deux trophées) disait : "Distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes. Ça veut dire, « ce n’est pas si grave de violer des femmes »." En sortant de la salle Pleyel, elle ironisait : « Vive la pédophilie, bravo la pédophilie. »

Roman Polanski, dont le film était en tête des nominations mais qui avait finalement décidé de ne pas assister à la cérémonie, est donc toujours un champion de l’Académie, récoltant le cinquième César du meilleur réalisateur de sa carrière, après ceux obtenus pour Tess, Le Pianiste, The Ghost Writer et La Vénus à la fourrure. Mais celui-ci est décerné dans un contexte nouveau, où Polanski est devenu, suite aux nouvelles accusations de viol à son encontre, un symbole d’impunité. J’accuse a également remporté le César de la meilleure adaptation (pour Roman Polanski et Robert Harris) et celui du meilleur costume (pour Pascaline Chavanne). Aucun membre de l’équipe n’était présent pour recevoir leurs prix.

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La cérémonie avait pourtant commencé dans une ambiance bien différente, très "anti-Polanski", Florence Foresti s’amusant dans son discours liminaire à "canceler" le réalisateur, refusant de citer son nom, préférant l’appeler "Popol", "Roro" ou "Atchoum", rapport à sa petite taille (pas sa meilleure vanne). La maîtresse de cérémonie a d’ailleurs quitté la remise de prix avant la fin, concluant sa soirée en coulisses, via Instagram, avec le mot "écoeurée", qui résumait bien le sentiment de nombres de participants, dont certains ont emboîté le pas à Adèle Haenel et Céline Sciamma. Au cours de la cérémonie, Jean-Pierre Darroussin avait lui aussi fait mine de ne pas réussir à articuler le nom de Polanski, après avoir ouvert l’enveloppe du César de la meilleure adaptation.

Le cinéma français s’est donc montré plus divisé que jamais entre ceux qui récusent Polanski au point de ne même plus pouvoir dire son nom et ceux qui souhaitent le voir célébrer, sans qu’on sache très bien si ceux-ci refusent de voir le message qu’ils envoient en votant pour lui, s’ils le font au nom d’une application très stricte de la distinction entre l’homme et l’artiste, s’ils veulent ouvertement le soutenir (Polanski avait refusé de venir à la salle Pleyel car il redoutait un "lynchage public") ou juste parce qu’ils sont super fans de J’accuse. Il ne faut bien sûr pas oublier qu’une règle des César empêche automatiquement le César du meilleur film et celui du meilleur réalisateur d’être attribué au même lauréat – Ladj Ly, dont Les Misérables a été sacré meilleur film, était donc peut-être vainqueur aux points, devant Polanski. Cette règle éminemment contestable montre d’ailleurs bien que cette cérémonie a besoin d’être sérieusement repensée. Le show tout entier aura en tout cas mis en scène, des vannes puériles de Foresti et Darroussin jusqu’au flamboyant coup d’éclat d’Adèle Haenel, cette guerre de tranchées politique et culturelle qui divise le cinéma français. Et qui ne risque pas de s’arrêter après une soirée majoritairement consacrée à jeter encore un peu plus d’huile sur le feu.