DR

Histoire du come-back de la star des 90’s qui n’avait jamais vraiment disparu.

Jennifer Jason Leigh apprécie sûrement à sa juste valeur le retour de carrière inespéré que lui a offert Tarantino en l’engageant dans Les 8 Salopards. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’au fond, elle doit l’avoir un peu mauvaise de voir son nom associé à un come-back ou à une résurrection. De constater que ce qu’il lui faut pour redevenir « pertinente » et attrayante aux yeux du public et de l’industrie, c’est une place à bord de l’express QT. Après tout, on acclame son retour comme si elle était restée cloîtrée chez elle pendant quinze ans (eXistenZ, de Cronenberg, en 1999, son dernier rôle marquant). Pourtant, toutes ces années, elle n’a cessé de faire l’actrice, d’inspirer de jeunes cinéastes-fans et de participer à l’évolution de l’« indépendanterie » US, dans des films comme The Anniversary Party, Greenberg et The Spectacular Now, ou aux bras de l’acteur-dramaturge Alan Cumming et du réalisateur Noah Baumbach. Elle jouait une ado de 13 ans (à 42) dans Palindromes, de Todd Solondz, et une paumée assassinée dans In the Cut, de Jane Campion. Elle était la sœur jalouse de Mary-Louise Parker dans Weeds et la prostituée sensible de The Machinist, face à Christian Bale, le super acteur entraîné, préparé au pire, irrésistiblement attiré par la déglingue et la performance limite.

La reine de l’étrange

C’est ce qu’était Jennifer aux plus belles heures du cinéma 90s : une super actrice. D’abord culte dans les étranges (et conseillés) Heart of Midnight et Miami Blues, puis incontournable, internationale, intrépide, dangereuse, convoitée par les plus grands. Une peau blanche irréelle, des cheveux pas nets, un regard de fêlée... Lorsque Jennifer rentrait dans une pièce, fumait une clope ou cherchait un appartement, on savait que ça finirait mal. Le viol, la profanation physique, était un motif récurrent dans ses films, quand ce n’était pas le sujet (La Chair et le Sang, Dernière sortie pour Brooklyn). La reine de l’étrange s’est récemment trouvé un nouveau partenaire de jeu en la personne de Charlie Kaufman. Après Synecdoche, ils se retrouvent en mode doucereux et mélancolique pour Anomalisa (sortie février 2016), un très beau poème sur l’ennui où Leigh livre une performance vocale bouleversante, à la fois clin d’œil et réponse directe à Scarlett Johansson dans Her... Comme tout le monde, Tarantino a toujours adoré JJL. Ces deux-là viennent du même monde et se sont longtemps tournés autour. Pour son western en forme de réunion d’anciens de Reservoir Dogs, QT a décidé qu’une ombre 90s planait sur l’histoire, et que la fille qui a joué Dorothy Parker à sa période la plus alcoolisée cadrait parfaitement dans le décor. Sept cow-boys enfermés dans une auberge avec une femme dont la tête est mise à prix 10 000 dollars, et cette femme est complètement cinglée...

Notre critique des 8 Salopards

Dans le monde de QT

Tarantino est coutumier de ce genre de résurrections spontanées. Il passe pour un sauveur de carrières, le dieu totem des stars déchues et vedettes oubliées de la série B. Il a remis John Travolta à la mode, « resexualisé » Pam Grier et « recoolisé » Robert Forster. Il en a révélé certains, Christoph Waltz en tête, sauvé d’une vie de salarié dans les entrailles du polar télé autrichien... Mais Jennifer Jason Leigh n’était pas perdue, pas déchue. QT ne l’a pas tiré de l’enfer où elle croupissait. Elle était là, on savait tous qu’elle était géniale. Le sceau de validation « 8 Salopards », pourtant, tombe sous le sens, un certain sens du timing et de la modernité. Quelque part, avec QT, cela fait toujours sens. À travers le filtre de ses goûts et de sa personnalité, tout devient cool, culturel, tendance, peu importe, d’ailleurs, ce qu’on pense de ses films. Il a la main sur une partie de l’imaginaire contemporain, et ce qu’il dit, montre et exprime dans un jet d’hémoglobine funky a aujourd’hui valeur d’idiome générationnel planétaire (de quoi rendre les flics US nerveux quand ils sont concernés)... C’est allé très vite. Dès l’annonce de son casting chez Tarantino, Jason Leigh était de retour sur la A-list. Les 8 Salopards n’était pas encore sorti qu’elle tournait déjà LBJ, un biopic du président Lyndon B. Johnson avec Woody Harrelson, et Twin Peaks saison 3 sous la direction de David Lynch. Attendez-vous à écouter beaucoup d’Ennio Morricone dans les mois qui viennent, à voir beaucoup de pubs avec des cow-boys et de films avec Jennifer Jason Leigh. C’est le monde de QT, vous ne faites qu’y vivre.

Lire notre interview de Quentin Tarantino

Les 8 Salopards est déjà dans les salles