Toutes les critiques de Lilya 4-ever

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    On connaît Lukas Moodysson pour son film Fucking Amal salué il y a deux ans par le public et la critique française. Loué par Ingmar Bergman, il incarne le grand renouveau du cinéma suédois. Il nous offre aujourd'hui son troisième long-métrage. Choc pris de plein fouet, il tente lui-même de le définir en juxtaposant toutes les pulsions qui le traverse. Il voulait faire « un film sur l'envie de partir et de tout quitter. Un film sur l'abandon. Un film sur les gens riches qui pensent que tout s'achètent et sur les pauvres qui doivent vendre tout ce qu'ils ont. Un film sur ce qui se passe loin de chez lui, ou tout près de chez nous... ». Pari tenu.
    Epuisée, cherchant l'ultime force qui lui permettra de s'échapper, Lilya court. Dans une froide banlieue occidentale, encerclée par la grisaille d'un univers hostile, elle cherche une issue. L'âpreté des guitares électriques donnent le ton. Rammstein au son heavy metal assourdit les spectateurs intrigué par la course bringuebalante d'une jeune adolescente. Ici ou ailleurs, nous sommes en Suède, aux Etats-Unis ou en Espagne, sur le pont d'une autoroute trop banale et Lilya qui hésite. Son visage couvert d'hématomes, ses yeux dans le vague, c'est déjà un ange, un personnage intemporel auquel chacun pourra s'identifier : l'innocence de l'enfance injuriée par la connaissance d'un monde adulte trop violent pour être humainement supportable. Solitaire face au monde, elle le regarde en face, comme décidée elle semble prête à l'affronter. Lilya 4 Ever. Les lettres apparaissent en blanc telle une sentence définitive. Lilya pour toujours.Le réalisateur n'hésite pas à brutaliser ses spectateurs. Il nous emmène et on le suit sans même reconnaître ni le temps ni le lieu. Cette histoire et son aboutissement sont un des probables et possibles déroulements. Les personnages semblent toujours libres de choisir leur destin. Grâce à cette indépendance, grâce à cette absence de prédétermination, ils sont plein d'une révolte à fleur de peau qui ne demande qu'à éclater. Nous sommes maintenant dans un no man's land d'Europe de l'Est. Des supermarchés vides, des immeubles délabrés, des usines à l'abandon, rien ne laisse à penser que cette cité était un fleuron industriel. Encouragés par le désespoir cynique, les adultes au chômage deviennent alcooliques tandis que des enfants déjà désabusés sniffent de la colle. Le reste de la population errante ne rêve que d'ailleurs. Rien à perdre tout à gagner, seul le rêve maintient en vie.L'Ange est une adolescente souriante. Petite Lolita fière et désinvolte, elle annonce à tous son départ prochain pour les Etats-Unis, comme victorieuse de la vie : elle va suivre sa mère efflanquée de son nouveau beau-père. Brisant le rêve sur le point de se réaliser, ce dernier s'y oppose à la dernière minute. Malgré les apparences du maquillage et de la cigarette au bec, Lilya n'a pas fini de grandir. En chemise de nuit, la fillette saute soudain au cou de sa mère alors qu'elle la quitte. Les apparences ne comptent plus : elle court après elle, tente de rattraper la voiture qui s'échappe et tombe dans la boue : maculée de pleurs et de terre, elle est seule au monde. Cette image de l'extrême désespoir et de la douleur infinie restera longtemps gravé dans nos mémoires. Parce qu'il reste toujours sobre, Lukas Moodyson touche toujours juste. A voir sans entendre on imagine le pire : l'horreur et l'effroi du cri de l'enfant, bien que masqué par la musique du film, résonne encore trop fort de l'implacable injustice.Commence alors une lente descente aux enfers. Hantée par cette volonté de sortir de la pauvreté et de sa solitude, Lilya se débrouille du cynisme de la vie. De plus en plus exclue, elle se prostitue pour survivre. Entre clients violents et nuits difficiles, elle rencontre un jeune loup. Chaleureux, doucereux, il la charme et lui promet un travail, en Suède. A avoir vu tous ces reportages montrés par les médias, le spectateur ne sait que trop ce qui attend l'innocente adolescente. Toujours il espère, toujours il lutte contre le destin de son héroïne, toujours il l'encourage à prendre conscience, mais la frontière de l'écran est décidément étanche. Sans identité, sans passeport dans un pays qu'elle ne connaît pas et où on lui vole tous les jours son corps, Lilya finira par disparaître complètement comme toutes ces prostituées qui atterrissent sur les trottoirs des riches villes de l'Ouest pour avoir été trop naïves, avoir trop considéré l'ailleurs comme l'idéale solution. Sur le pont de cette autoroute, une fois dans le vide, Moodysson arrête l'hémorragie et montre comment on choisit son destin, comment cette vie bien que tragique aurait pu être différente si elle avait été attentive aux petits riens. Maigre consolation, un ange est passé, et tragiquement ce n'est vraiment pas grand chose, juste un mauvais choix, une mauvaise humeur...Lilya 4 Ever
    Réalisation : Lukas Moodyson
    Avec Oksana Akinshina, Artiom Bogucharskij
    Durée : 1h49
    Sortie nationale le 16 Avril 2003
    - Lire une interview de Lukas Moodysson sur le site Amnesty.org.uk, en anglais.
    - Lire la chronique de Fucking Amal.