Première
par Gérard Delorme
Dans leur cinquième long métrage, Kervern et Delépine poursuivent leur exploration de la condition des laissés-pour-compte avec la même énergie lucide, la même inventivité visuelle et le même humour noir qui les ont jusqu’ici préservés de toute lourdeur protestataire. Cette fois, ils se sont installés aux environs d’Angoulême, dans une zone suburbaine remplie de centres commerciaux. Le contraste est frappant entre cet endroit désespérément impersonnel et les gens qui viennent y chercher une illusion de (ré)confort. Ces «survivants» sont interprétés par des habitués qui, comme les membres d’une troupe, changent de rôle de film en film. On reconnaît Miss Ming, Gérard Depardieu, Yolande Moreau ou Bouli Lanners dans des apparitions burlesques. Poelvoorde, jusqu’alors fidèle mais discret, passe au premier plan pour incarner un punk SDF, son rôle le plus senti depuis longtemps. Accompagné de son propre chien, il joue la cassure avec un naturel qui donne le vertige, parvenant presque à éclipser Dupontel, pourtant difficile à concurrencer en matière d’intensité. Ensemble, ils forment le duo de choc d’une comédie de crise, paradoxale, sans espoirs ni illusions, qui fait le constat de l’inutilité des appels à la révolte, simplement parce que le lieu est mal choisi (personne ne veut foutre le feu à un centre commercial). C’est drôle et triste.